La mésaventure d’un pauvre oiseau échoué sur une plage de Hammamet démasque les insuffisances et les dysfonctionnements de l’administration tunisienne.
Par Dr Salem Sahli *
Dimanche 11 septembre 2016, sur une plage de Yasmine-Hammamet, Mohamed Aouichaoui retrouve un oiseau en bonne santé apparente mais dans l’incapacité de voler. Il s’agit d’un goéland juvénile appelé en arabe «nawras». M. Aouichaoui ramène l’oiseau chez-lui, lui prodigue les soins élémentaires : il étanche sa soif, le nourrit et le chauffe… en attendant de le confier à des personnes qualifiées.
Passé l’Aid Al-Adha, le 15 septembre, il prend contact avec l’Association d’éducation relative à l’environnement (Aere) pour s’enquérir des mesures à prendre pour sauver l’animal en détresse. Nous prenons conseil auprès de deux vétérinaires privés qui nous dirigent vers le Commissariat régional au développement agricole (CRDA) de Nabeul et particulièrement l’Arrondissement de la production animale.
Jetez l’oiseau à la mer, nous dit-il !
Le lendemain, vendredi 16 septembre, nous prenons contact avec le service concerné à Nabeul en espérant que le calvaire du pauvre animal (et du nôtre) allait prendre fin. Que nenni ! Grande fut notre surprise lorsque le premier responsable de l’arrondissement de la production animale, Youssef Tonniche, nous rétorqua qu’il ne peut rien pour nous (et pour le goéland bien sûr), que son service est démuni, qu’il ne dispose même pas de thermomètre pour prendre la température de l’animal. Et cerise sur le gâteau, devant notre insistance, notre interlocuteur finit par nous conseiller, sans états d’âme, de jeter l’oiseau à la mer. Nous déposâmes le pauvre animal devant son bureau en l’invitant à le faire lui-même.
Sur le chemin du retour, je ne pus m’empêcher de songer à l’état de décrépitude dans lequel sombre désormais l’administration publique tunisienne. Et ce mal chronique touche tous les secteurs : la santé, l’éducation, les transports, la police, la poste, les banques, la justice, que sais-je encore… ? Là où votre regard se porte, vous ne voyez qu’une armada de cadres «titularisés» qui se conduisent comme des fonctionnaires inamovibles attendant que l’heure de la retraite sonne, sans se préoccuper le moins du monde de la qualité des services rendus aux usagers.
Un sujet classique me diriez-vous que cette administration publique moribonde et endormie. Certes, mais de grâce, dites-nous au moins comment faire pour réveiller la belle au bois dormant?
Nous ignorons à ce jour le sort qui a été réservé au pauvre goéland. Espérons qu’il n’est pas atteint de grippe aviaire, car, si tel était le cas, notre vétérinaire de l’Arrondissement de la production animale de Nabeul serait coupable de non-respect du plan national de lutte contre l’influenza aviaire. Ce plan l’oblige à prendre toutes les mesures requises à la moindre suspicion de grippe aviaire, y compris dans le cas présent. Mais qui sait? Peut-être que cette stratégie et tout le tralala qui l’accompagne ne sont que de la poudre aux yeux?
* Secrétaire général de l’Aere.
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