L’acharnement sur les réseaux sociaux contre des Nahdhaouis ou des individualités comme Khayam Turki, Kamel Eltaief, Lazhar Akremi… est affligeant. Il n’honore pas ses auteurs. Non seulement ces derniers, en condamnant des citoyens à propos desquels la justice n’a pas dit son dernier mot, méprisent les règles les plus élémentaires du droit, mais aussi, ils font preuve de lâcheté en s’attaquant à des hommes qui se trouvent dans un état peu enviable, éreintés et malmenés, victimes d’une justice fébrile.
Par Salah El-Gharbi *
Cette attitude haineuse et revancharde s’explique par l’héritage culturel et surtout par la faillite de notre système éducatif. En effet, au milieu des années 70, affolé par l’agitation gauchisante au sein de l’université, le pouvoir destourien décide de «purger l’enseignement de toutes les influences subversives venues d’ailleurs» et d’engager une politique éducative «saine» au nom d’une supposée «authenticité», autrement dit, d’adopter une politique débarrassée de tout ce qui incite à la réflexion et favorise l’esprit critique au profit de l’endoctrinement des esprits frêles de toute une génération d’écoliers.
Amplifiée sous Ben Ali, cette politique machiavélique va contribuer à paupériser l’école et à aliéner les écoliers… Désormais, cet espace où l’on devait apprendre à notre jeunesse le vivre-ensemble, la tolérance, le sens du débat, le respect de soi et de l’autre, en l’occurrence, tout ce qui est censé aider l’enfant à devenir un citoyen responsable respectueux de l’Etat de droit, va devenir le lieu de toutes les dérives, un espace où l’apprentissage rime avec mercantilisme et charlatanisme.
Ces voix qui crient en meutes
C’est parce que l’école d’hier était pervertie et dévoyée de sa véritable mission qu’il n’est pas étonnant d’entendre, aujourd’hui, ces voix qui crient en meutes, se laissant abuser par les fausses postures, fourvoyer par les discours manipulateurs, séduire par la logique de la force brutale, tout en restant sourds à la voix de la raison, du droit et de la liberté.
Après des décennies où l’on a vécu sous des régimes où l’on confondait entre l’arbitraire et le droit et où la justice servile était soumise à un ordre capricieux, versatile et cynique, il n’est pas étonnant que, de nos jours, certains esprits applaudissent l’injustice, encouragent les atteintes à l’Etat de droit et se permettent de se réjouir des malheurs de leurs supposés «ennemis», victimes des égarements d’une justice asservie.
Il est plus facile d’être du côté de la force injuste que de tendre la main à ses victimes. Il est plus sécurisant de cautionner l’arbitraire d’un pouvoir inique que de défendre les règles les plus élémentaires du droit.
Du haut de cette tribune, on a longtemps dénoncé l’arrogance du mouvement Ennahdha et la brutalité de ses militants, alors que ces derniers étaient sur la sellette, tenant de main de fer les rênes du pouvoir. Aujourd’hui, alors le «Mouvement» est neutralisé, que certains de ses membres sont dans la difficulté, notre devoir moral consiste à appeler à ce que la voix de la justice l’emporte sur les cris de vengeance, et à ce que la compassion triomphe de la haine.
Malheureusement, ces semblants de procès dont nous sommes aujourd’hui les témoins nous en rappellent bien d’autres que nous avons vécus aussi bien sous Bourguiba que sous Ben Ali.
Manifestement, rien n’a changé, la même arrogance de la force stérile et injuste, la même tendance à manipuler l’opinion et à réveiller les bas instincts du petit peuple et des lèche-bottes du pouvoir en place.
Il semblerait que chaque fois qu’un pouvoir despotique se sent fragilisé, il devienne frénétique et hargneux, et chaque fois que sa légitimité s’épuise, ses nerfs se raidissent avant qu’il ne finisse par perdre de sa clairvoyance et par précipiter, ainsi, sa propre chute.
Restauration d’un ordre arbitraire
Quoi qu’on pense de la dernière décennie, le 14 janvier 2011 reste et restera un moment historique marqué par la rupture. Et même si la transition démocratique continue à trébucher, la restauration d’un ordre arbitraire dont la légitimité reposerait sur la force brute n’aura pas d’avenir puisque, et malgré les difficultés politiques de ces dernières années, on assiste à l’émergence, chez nos concitoyens, d’une nouvelle conscience politique qu’il faudrait nourrir, soutenir et accompagner.
D’ailleurs, jamais, depuis l’Indépendance, la question juridique n’a été aussi débattue qu’au cours de ces six dernières années, et jamais les avocats, les juristes n’ont été tant sollicités par les médias, tant écoutés depuis.
Fait inédit, au cours de cette période, chaque fois qu’une crise politique pointait à l’horizon, les regards se tournaient, non pas vers les politiciens, mais, plutôt, vers les experts en droit dont les arbitrages sont suivis, discutés et commentés avec beaucoup d’attention et de ferveur… Et même si la voix sereine du droit peinait, souvent, à triompher face à l’arbitraire de la force stérile, dans les foyers, dans la rue, comme dans les médias, le débat, à propos d’un article de loi, de la constitutionnalité d’une décision, aussi pointue et aussi subtile fut-elle, continue, malgré tout, à susciter les intérêts et à alimenter les passions.
Même si cette conscience reste embryonnaire, elle reste le garant d’un avenir meilleur où l’on finira par admettre que la démocratie, synonyme de liberté dans un Etat de droit, n’est pas un luxe ou une donnée superflue.
A titre d’exemple, qui se risquerait d’investir dans un pays où règne l’arbitraire et où la vie humaine et les libertés ne sont pas respectées? Personne.
En somme, la prospérité et le progrès, la sécurité et la stabilité ne peuvent se développer que dans un environnement où règnent la confiance mutuelle et la liberté dans toutes ses manifestations.
* Universitaire et écrivain.
Donnez votre avis