Au terme de 30 ans de dégradation de l’environnement et de laxisme des autorités, le paradis de Sidi Ali El-Mekki est en train de se transformer en enfer.
Par Mohamed Ridha Bouguerra *
Les gens de ma génération qui ont connu et fréquenté assidûment la plage de Sidi Ali El-Mekki, à Ghar El-Melh (Bizerte), dans les années 70 et 80, en gardent le souvenir d’un endroit paradisiaque. D’un côté, une plage immense de sable fin et une mer d’azur à l’eau pure et limpide. De l’autre côté, une majestueuse montagne à la ligne de crête d’un vert sombre et aux flancs escarpés, buissonneux et vierges de toute construction, hormis l’antique mausolée du saint protecteur des lieux.
Dommages irréparables à l’environnement
De tout cela, de ce cadre édénique demeuré quasi inchangé depuis des siècles, de ce patrimoine national naturel, de ce paysage qui, sous d’autres cieux, aurait été protégé comme une réserve naturelle, de ce site que ses habitants ont farouchement défendu dans les années 70 lorsque des hommes d’affaires du Golfe, avec la complicité de politiciens irresponsables, avaient voulu mettre la main dessus et en faire un site touristique haut de gamme, de tout cela il va falloir parler, hélas, au passé. La main de l’homme est passée par-là et a causé des dommages, à première vue, irréparables à l’environnement.
Une visite récente à ce site incomparable m’a causé un choc tel que j’ai jugé que le silence devient complicité et grave manquement envers les générations futures qui risquent fort de ne connaître la splendeur de ces lieux que grâce à d’anciennes cartes postales jaunies.
D’où ce cri d’alarme et de détresse avec l’espoir de tirer de leur profond sommeil, que dis-je, de leur léthargie, les autorités locales, régionales et nationales compétentes! Mais, peut-on, au juste, concevoir un instant que les yeux de l’administration n’aient pas constaté les dégâts incommensurables et en tous genres portés à une plage qui, en haute saison, accueillait plus de 4000 voitures le dimanche!
Des autorités incompétentes et complices
C’est pourquoi, et par civisme, au risque d’être poursuivi par une administration qui devient, soudain, tatillonne quand on la rappelle à ses devoirs élémentaires…
J’accuse les autorités locales, régionales et nationales d’incompétence, sinon de complicité, pour n’avoir pas arrêté, voire démoli, toutes les constructions anarchiques qui, progressivement, s’étagent sur les flancs de la montagne presque jusqu’au sommet, défigurant, ainsi et irrémédiablement, le splendide couvert végétal…
J’accuse les autorités locales, régionales et nationales d’incompétence, sinon de complicité, pour n’avoir pas débarrassé la plage de toutes les baraques et autres restaurants et paillotes, pieds dans l’eau, qui l’ont squatté et l’ont réduite comme une peau de chagrin au point que l’on pourrait raisonnablement prédire sa prochaine et totale disparition si rien n’y est rapidement fait…
J’accuse les autorités locales, régionales et nationales d’incompétence, sinon de complicité, pour avoir fermé les yeux sur la privatisation de fait de la plage puisque l’on ne peut plus étendre sa serviette sur le sable sans l’autorisation payante des cafetiers et restaurateurs devenus maîtres des lieux…
J’accuse les autorités locales, régionales et nationales d’incompétence, sinon de complicité, pour n’avoir pas arrêté à temps des constructions en dur qui empiètent dangereusement sur le domaine maritime et sur la plage même…
J’accuse les autorités locales, régionales et nationales d’incompétence, sinon de complicité, pour n’avoir pas protégé la plage et ses environs des saccages qu’on leur a fait subir au point que par endroits le sable a disparu sous des tas de gravas et d’ordures…
J’accuse les autorités locales, régionales et nationales d’incompétence, sinon de complicité, pour n’avoir pas empêché un désastre écologique et environnemental tel que le site de Sidi Ali El-Mekki se trouve mutilé à jamais…
Un trésor national naturel en perdition
Aussi, est-il extrêmement urgent de demander des comptes et de sanctionner toutes les autorités locales, régionales et nationales qui ont laissé faire et, par incurie, laisser-aller, négligence, voire, peut-être, pour de sordides intérêts, selon certaines mauvaises langues, ont, jusqu’ici, fermé les yeux sur la perte de ce trésor national naturel.
Aussi, est-il extrêmement urgent d’agir afin, non seulement, de mettre fin aux dégâts mais aussi et surtout, si encore possible, de rendre justice à Mère Nature en la réinstallant à sa juste place et en lui ôtant toutes les sales verrues qui l’ont gravement enlaidie.
Ne pas agir et immédiatement à Sidi Ali El-Mekki signifierait le recul de l’État de droit et l’avancée de l’anarchie. Ce serait aussi la victoire de la gangrène nommée corruption et le règne, à tous les niveaux de l’Administration, des corrompus de tout poil qui, par leur passivité et leur silence complices et, sans doute, bien monnayés, ont permis à ce désastre urbain, écologique et environnemental de s’étendre comme un chancre mortel.
Aussi, est-il extrêmement urgent de se soucier des générations futures en essayant de remettre un peu d’ordre dans ce gigantesque désordre et en tentant de sauver ce qui pourrait encore l’être afin de transmettre à nos enfants et à nos petits-enfants un legs qui a enchanté notre jeunesse et qui devrait faire toujours honneur à la Tunisie éternelle.
* Universitaire.
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