Lettre ouverte à madame la ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfance à propos du cas de l’adolescente violée Hager, révélé par la chaîne El-Hiwar Ettounsi.
Nous vous adressons cette lettre en tant que citoyen-ne-s, conscient-e-s de l’importance des droits des enfants et des femmes de ce pays, soucieux de voir éradiquée toute forme d’injustice, de violence ou de maltraitance à leur encontre.
Nos enfants sont notre avenir et l’État que vous représentez s’est engagé à préserver leurs droits, notamment à travers la nouvelle constitution tunisienne, mais aussi à travers toutes les réformes prévues du code pénal.
L’État s’est engagé aussi à lutter contre toutes les violences faites aux femmes. Nul n’ignore qu’elles sont victimes de nombreux abus. Et que les agressions sexuelles continuent à être leur lot quasi-quotidien.
Certes, le chemin est encore long pour atteindre ces objectifs, mais devons-nous entre- temps, tolérer des «dépassements» scandaleux autant sur le plan légal qu’éthique ?
Madame la Ministre,
La dernière polémique soulevée par le télé-crochet ‘‘Andi ma Nqollek’’ de la chaîne El-Hiwar Ettounsi ne vous a sans doute pas laissée indifférente.
Le tabou qui entoure le viol, l’inceste et la pédophilie tout autant que les autres violences est loin d’être brisé. En parler uniquement pour une quête d’audimat, sur le dos des victimes, n’arrange pas les choses, au contraire.
Il est vrai que ces émissions de télé-réalité ont pris pour habitude de viser l’audimat et le buzz, cherchant à capter l’attention d’un maximum de téléspectateurs au détriment d’un traitement médiatique correct de plusieurs cas de violences à l’égard des femmes et des enfants qui s’y présentent, allant jusqu’à la banalisation de ces violences et la culpabilisation des victimes.
Madame, la Tunisie s’est engagée à abolir toutes les formes de violences faites aux femmes et votre ministère est tenu de faire respecter ces engagements.
Mais, l’émission du 14 octobre dernier fut un summum de non-respect de la déontologie et de l’éthique journalistiques ainsi que de non-respect des victimes mineures d’abus sexuels.
Hager une mineure de 17 ans affirme avoir été violée depuis l’âge de 14 ans par des membres de son environnement familial. L’animateur (Ala Chebbi, Ndlr), dépassant son rôle, n’a pas hésité à la culpabiliser voire l’humilier en l’absence de spécialistes et de compétences (à partir des militant-e-s pour les droits des femmes jusqu’aux médecins, juristes…) pour constater les faits et prendre note des propos de la victime.
L’animateur s’est même substitué à un moment au pouvoir judiciaire, conseillant à la victime d’épouser l’une des personnes suspectées de l’avoir violée, l’accusant d’être fautive des crimes dont elle est victime. Son non-respect de la justice et des lois est allé jusqu’à se permettre de consulter des documents (le rapport du médecin légiste), leur divulgation (dans une radio privée) et émettre un verdict. Il a enfreint au code de protection de l’enfance et aux engagements de la chaîne quant à l’annexe du cahier des charges relatif aux droits des enfants, stipulé par la Haute autorité indépendance de la communication audiovisuelle (Haica).
Son comportement inapproprié vis-à-vis de la jeune femme a choqué l’opinion publique et poussé la société civile à réagir. La Haica, après enquête, notamment auprès du délégué à la protection de l’enfance, a décidé la suspension de l’émission pendant trois mois et la suppression de l’épisode en question du site et de toutes les pages de la chaîne El-Hiwar Ettounsi.
Mais Madame la Ministre,
Où est l’État dans tout ça, surtout qu’il ne s’agit pas du premier «dépassement» de ce genre?
Un incident semblable a eu lieu la semaine dernière sur une chaîne de télé étrangère et toutes les instances ainsi que la ministre de la Femme ont réagi pour condamner et rappeler combien il est inadmissible de banaliser les violences sexuelles à la télé. Ne sommes-nous pas capables de faire pareil, voire mieux en Tunisie?
L’État tunisien n’est-il pas en mesure de montrer au monde entier qu’il sait faire respecter le droit de ses enfants et de ses femmes en ne laissant pas passer une telle bavure qui banalise les violences sexuelles et culpabilise les victimes?
L’État tunisien n’est-il pas en mesure de défendre ses institutions et punir toute personne qui s’y substitue ?
N’est-il pas temps de changer les choses madame? Surtout qu’un projet de loi, visant à remplacer l’ancien qui permet au violeur d’épouser sa victime pour échapper à la sanction, repose dans les tiroirs de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP)?
L’État tunisien n’est-il pas capable de mettre fin à ces atteintes aux droits fondamentaux des femmes et des enfants?
N’est-il pas temps que les lois soient faites pour punir toutes les agressions contre les femmes et les enfants et non dépendre des enjeux partisans et politiques des uns et des autres ?
Madame la Ministre,
Nous sommes persuadé-e-s que vous êtes tout autant que nous indignée par l’impunité dont jouissent certains violeurs, incestueux, pédophiles , leurs complices et tous les auteurs de toutes les autres formes de violences. Aidons – ensemble – les victimes à surmonter ces traumatismes et à se reconstruire
L’État tunisien n’est pas en mesure de prévenir ces abus sexuels? N’est-il pas temps de lancer une large campagne de sensibilisation à l’égard des violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants dans les sphères privée et publique?
Donneriez-vous raison à des citoyen-ne-s dont le seul objectif est de construire un vrai État de droit ou pencheriez-vous du côté de la chaîne forte par son audimat et ses émissions à gros budget ?
Nous vous rappelons enfin que nous ne baisserons pas les bras et qu’une campagne de boycott à l’égard d’El-Hiwar Ettounsi et de tous les annonceurs complices de l’émission est en train d’être mise en place.
Nous comptons sur votre soutien pour mettre fin à ces «dépassements» récurrents.
* Lettre signée par des centaines d’activistes de la société civile.
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