Un colloque à Tunis sur les conditions du dialogue, de la négociation et du compromis entre les forces politiques et sociales dans le monde arabe pour éviter la guerre civile.
Par Antoine Messarra *
En ce début du XXIe siècle où prolifèrent des guerres par procuration, des organisations terroristes, la politologie de la religion dans la mobilisation conflictuelle, des fanatismes et, plus généralement, des transitions démocratiques pacifiques ou fortement menacées, surtout dans le monde arabe, il est urgent de repenser les modes de régulation de la violence. La politique dans une démocratie est par essence médiation, dialogue, débat public et négociation.
Le colloque international organisé du 28 septembre au 1er octobre 2016, à Tunis, par le Le Centre d’études et de recherches économiques et sociales (Ceres de Tunis), l’Université de Liège et la Fondation Hans Seidel sur le thème : «Grammaires politiques du compromis en Tunisie après la révolution» se propose de poser une problématique urgente et relativement nouvelle dans le monde arabe avec une «absence de perspective» (Adnan Haidar, Ceres). Y a-t-il une culture de compromis dans nos sociétés qui cherchent à se réinventer (Mohammed Nachi, Tunisie). Il s’agit, dans une déliquescence des valeurs, «de résoudre le conflit en dehors de la violence» (Emna Belhaj Yahia, Tunisie), de rechercher «une sortie de crise et une nouvelle légitimité politique» (Driss Abbassi, France). La question est posée : «Avons-nous une culture du compromis?» (Hmida Ennaifer, Tunisie).
Plus de vingt communications et les débats, avec la participation de chercheurs et acteurs de huit pays (Allemagne, Belgique, France, Italie, Algérie, Liban, Maroc, Tunisie) sont axés autour de deux volets : théorie et processus du compromis, et conditions d’une culture de compromis sans compromission.
1. Le compromis, inhérent à toute politique démocratique :
Il s’agit de réhabiliter la notion de compromis en tant que composante du politique «qui ne peut réaliser l’équilibre absolu» (Amor Cherni, Tunisie). Il est en effet une constatation «qu’on ne peut survivre sans compromis» (Pierre Verjans, Belgique). Des fois on se trouve «pris à la gorge dans l’urgence et la pression» (Mohamed Habib Marsit, Tunisie) et contraint de «souscrire à un arrangement pour éviter une guerre civile aujourd’hui» (Fabrizio Tonello, Italie), ou d’assurer «une sécurité nationale au lieu d’une sécurité importée» (Salah Saoud, Algérie).
Il en découle que le compromis, presque absent dans la terminologie arabe, qui évite le pire et le basculement dans la violence, est au cœur de toute réflexion sur le pluralisme, mais il faudra «le manier avec beaucoup de prudence» (Mohammad Nachi, Tunisie). On souligne que le Maroc a été le bon élève dans la Constitution participative et l’écriture de la Constitution. C’est le rejet du réalisme qui explique le manque de compromis (Said Al-Dailami, Fondation Hans Seidel, Tunisie).
Il en découle aussi l’exigence de dresser une typologie qui distingue le compromis, fondé sur des concessions mutuelles et dans le respect des droits fondamentaux (pacte national fondateur, politique publique concertée, alliances politiques…), des compromissions régies par des rapports de subordination ou de partage d’intérêts privés aux dépens du droit.
2. Les conditions d’une culture de compromis :
Que faire afin de promouvoir une culture démocratique du compromis ? Dans un monde de «cacophonie bavarde, d’overdose de dialogue factice, de parole abondante qui impose sa loi, la culture de l’arnaque, la jungle feutrée où chacun se méfie de tout le monde, il faudra promouvoir la culture de confiance» (Emma Belhaj Yahia, Tunisie).
Il faudra aussi dépolluer la vision exclusivement irénique et polémique du politique qui cherche à «clouer le bec de l’adversaire» (Abdesslem Ben Hamida, Tunisie), institutionnaliser le dialogue social en partenariat avec des citoyens conscients de leurs intérêts vitaux. En outre, le dogmatisme clos, avec la mainmise du sacré, ne favorise pas le dialogue et le partage. Un rapport humain au sacré admet «la valeur de la personne et de la raison» (Emma Belhaj Yahia, Tunisie). On relève, en se référant à Emmanuel Mounier, «qu’il n’y a pas de compromis entre le politique et le prophétique» (Hmaied Ben Aziza, Tunisie).
Nombre de qualifications sont contestées. Parler d’islam «obscurantiste», ou «takfiriste», c’est déjà le légitimer en tant qu’islam. Considérer la religion en tant qu’identité nationale comporte d’autres risques (Zyed Krichen, Tunisie), incompatibles avec une tradition séculaire (Youssef Seddik, Tunisie).
Dans des sociétés arabes où «le compromis est en panne» (Hmaied Ben Aziza, Mohamed Mestiri, Tunisie ; Mohamed Sghir Janjar, Maroc) et, plus généralement, «quand la géopolitique devient géofinance», il s’agit de respecter les compromis historiques fondateurs de la nation (Mansour Kedidir, Hassan Remaoun, Algérie; Mohamed Hedi Lakhzouri, Salaheddine El-Jourchi, Tunisie).
L’approche comparée du Liban et de la Belgique montre la grandeur du compromis et les dérives de la compromission surtout «lorsqu’on joue à l’intérieur avec les pressions extérieures» (Pierre Verjans, Belgique).
Que faire ? Quatre perspectives d’action sont prioritaires : la culture de légalité, le sens du public ou de l’intérêt général, la relecture du patrimoine arabe dans la perspective des droits de l’homme et des valeurs humaines, et la revalorisation du patrimoine arabe de pluralisme juridique.
Le colloque permet de dresser des priorités en vue d’orientations futures (Adnan Haidar, CERES) et de scruter l’histoire du monde arabe en vue d’une mémoire collective de dialogue et de négociation (Holger Zapf, Allemagne).
* Membre du Conseil constitutionnel, professeur titulaire de la Chaire Unesco d’étude comparée des religions de la médiation et du dialogue – Université Saint-Joseph.
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