Dans l’avenue Habib Bourguiba au centre de la capitale Tunis, non loin du ministère de la Femme, de l’Enfance et de la Famille, des dizaines d’enfants se promènent avec des paquets de mouchoirs et des fleurs à la main, essayant de persuader les clients de les acheter. (Ph. Nawaat).
Par Wahida Kader
Ces enfants sont de tous âges, dont certains ont moins de dix ans. Ils ont été forcés de quitter leurs maisons par nécessité et pour survivre et ont été jetés à la rue, se trouvant entre une réalité pleine de souffrance et un avenir inconnu qui peut être encore plus dur.
Mendier pour vivre
Non loin de la mosquée Al-Fath, à la station Al-Joumhouria, Noor, quinze ans, dans ses vêtements de garçon couvrant tout son corps, chargés de mouchoirs, tente de persuader les passants de lui acheter ses marchandises à bas prix.
Noor dit à Raseef22 que son voyage commence avant six heures du matin. Elle choisit des endroits bondés où il y a beaucoup de circulation piétonnière pour pouvoir vendre ses marchandises, ajoutant qu’elle rencontre parfois des passants gentils qui lui offrent de l’argent sans lui acheter de mouchoirs, et parfois d’autres qui la traitent avec violence et l’insultent à cause de son insistance à leur vendre ses marchandises.
Noor dit qu’elle est devenue orpheline après la mort de ses parents dans un accident de la circulation il y a des années, que son frère a émigré illégalement, et qu’elle n’a plus entendu parler de lui et ne sait même pas s’il est vivant ou mort. Elle a abandonné l’école après que ses voisins, une famille qui l’avait aidée, ont renoncé à l’aider à terminer ses études. Elle décide alors de sortir dans la rue pour trouver son gagne-pain et gagner de l’argent qu’elle partage avec un homme d’une cinquantaine d’années qui lui fournit quotidiennement des vivres.
«La bénédiction du vendredi»
Chaque vendredi, dès que le muezzin annonce l’appel à la prière du vendredi, Mohamed, Ahmed et Saber se tiennent devant la mosquée Al-Fath, dans l’espoir que le cœur des fidèles s’attendrisse et qu’on leur donne tout l’argent qu’ils peuvent obtenir pour assurer leur subsistance quotidienne.
À la fin de la prière, les enfants se précipitent vers les fidèles qui partent, répétant des supplications silencieuses pour de l’argent. Mohamed dit à Raseef22 que la plupart des fidèles ne refusent pas leurs demandes, mais le problème est que le nombre d’enfants qui viennent à la mosquée a augmenté, il ne peut donc plus obtenir le même montant qu’avant. Il ajoute : «Les fidèles ont commencé à s’énerver contre nous et ne nous croient pas lorsque nous tendons la main pour demander de l’argent.»
Mohamed, qui a abandonné l’école à l’âge de dix ans, raconte à Raseef22 qu’il vit dans la rue depuis six ans après la mort de son père et qu’il doit gagner de l’argent pour aider sa mère et sa sœur cadette, qui a huit ans, et il l’emmène parfois mendier dans les cafés.
Mohamed raconte les épreuves qu’il endure les larmes aux yeux et dit que la pluie chaque hiver rend les nuits qu’il passe dans la rue encore plus dures, le laissant frissonner de froid.
Nombres croissants
Dans une déclaration à Raseef22, la ministre de la Femme, de l’Enfance et de la Famille, Amel Belhaj Moussa, a indiqué que plus de 2 300 enfants à Tunis vivent dans la rue et sont en danger. Elle a ajouté qu’en 2022, les délégations à la protection de l’enfance ont reçu environ 1 750 notifications relatives aux enfants abandonnés et sans-abri, et plus de 500 notifications concernant des enfants exposés à des pratiques de mendicité et à l’exploitation économique. La ministre a indiqué que ce phénomène a augmenté de 10% par rapport à l’année précédente et concerne les nourrissons amenés par leurs parents ou leurs frères et sœurs adolescents.
Plus de 2 300 enfants en Tunisie vivent dans la rue et sont en grand danger. Malgré les tentatives de l’État de créer des refuges pour eux, le phénomène continue d’augmenter
Le président de l’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant, Moez Cherif, a déclaré à Raseef22 : «Il y a aussi des enfants de nationalités non tunisiennes dans les rues, et leur nombre a atteint 400 enfants en 2022, et tous sont sans soutien.»
Concernant les catégories et groupes d’enfants vivant dans la rue, Cherif confirme qu’il existe une catégorie qui n’a pas rompu les liens avec les établissements scolaires et les familles, et un autre groupe qui a rompu tout lien avec l’établissement scolaire mais est resté en contact avec la famille, tandis que la troisième catégorie – dont il dit qu’elle est la plus vulnérable – a complètement rompu ses liens avec la famille et les institutions éducatives. Cela nécessite la mise en place de programmes alternatifs pour leur réinsertion car ils sont dans une situation psychologique fragile.
Refuges pour enfants des rues
La ministre de la Femme, de l’Enfance et de la Famille Amel Belhaj Moussa confirme que le ministère travaille depuis un certain temps pour enrayer ce phénomène, puisqu’il a commencé à renforcer les centres de protection de l’enfance dans la capitale tunisienne avec une capacité d’accueil d’environ 150 enfants par jour.
Moussa indique que cette initiative s’étendra progressivement pour inclure les soins de jour et de nuit pour cette catégorie, et se déplacera vers d’autres zones où ce phénomène est répandu. Le plan permet aux enfants d’accéder à une gamme de services répartis entre l’accompagnement et la prise en charge éducative, sanitaire et psychologique.
Elle précise que ce projet recherchera également des voies alternatives pour les enfants en décrochage scolaire qui se retrouvent dans la rue, afin de les protéger des risques et dangers de la rue, et d’un état d’apathie et de manque de perspectives d’avenir.
La ministre dit qu’à travers cette initiative expérimentale, elle cherche à vaincre le phénomène des enfants des rues sans abri, qui est un phénomène préoccupant en Tunisie, un pays qui fait face à plusieurs crises sur les plans économique et social.
Intervenant sur le même sujet, Cherif souligne que l’objectif de ce plan est de protéger les enfants vivant dans la rue, de les prendre en charge psychologiquement et socialement, ainsi que de les réhabiliter et de leur permettre de s’intégrer et de renouer avec leur famille.
En l’absence d’une famille avec qui reprendre contact, Cherif déclare que l’État peut rechercher des familles d’accueil alternatives pour l’éducation et les soins de l’enfant, tandis que la situation de l’enfant est suivie et contrôlée en permanence.
Les autorités tunisiennes recherchent d’autres solutions visant à secourir les enfants des rues, en coopération avec des organisations de la société civile, afin de réduire les risques auxquels sont confrontés les enfants sans abri dans les rues, après que la crise économique a fait quitter plus d’un million d’élèves des établissements d’enseignement au cours des dix dernières années. Cependant la question demeure : les refuges sont-ils la vraie solution pour freiner le phénomène des enfants des rues en Tunisie, ou la solution est-elle une réforme économique globale qui améliore la sécurité sociale et la sécurité des familles et donc de leurs membres les plus vulnérables, les enfants?
* Journaliste tunisienne.
Source : Raseef 22.
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