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JTC2016 : Le Théâtre fêté à Tunis, conspué à Ksar Ouled Soltane

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Des extrémistes religieux ont décidé: il n’y aura pas de théâtre à Ksar Ouled Soltane!

Au moment où les Journées théâtrales de Carthage (JTC) commencent à Tunis, de jeunes acteurs sont agressés et molestés à Ksar Ouled Soltane, gouvernorat de Tataouine !

Par Mohamed Ridha Bouguerra *

Samedi 12 novembre, après trois mois de travail et de répétitions, une cinquantaine de jeunes comédiens, musiciens, danseurs et techniciens, sous la houlette de Rachid Ben Mustapha, ont présenté, à Ksar Ouled Soltane, une pièce de théâtre où divers arts de la scène et autres expressions artistiques se trouvaient associés. Le spectacle, intitulé ‘‘Histoires du Ksar’’, revisitait l’histoire de la région et se voulait un hommage à ses habitants et à leur résistance, tant à une nature hostile qu’aux aléas de l’histoire.

À la fin de la représentation, les acteurs n’ont pu quitter les lieux qu’escortés par les forces de l’ordre qui ont dû intervenir pour les protéger d’une foule en furie qui les attendait après la sortie des spectateurs pour en faire la cible de projectiles de diverses sortes et leur jeter au visage moult noms d’oiseaux dont ceux de débauchés et de «déviants de la juste voie».

L’imam met en garde les fidèles contre… le théâtre !

Cette agression caractérisée n’avait nullement pour cause la qualité du spectacle, selon divers témoins, si l’on en juge d’après l’article de Moufida Khalil qui a longuement rendu compte de ces graves incidents dans la livraison du jeudi 17 courant du quotidien arabophone ‘‘Le Maghreb’’ (page 17).

L’origine du traitement qui a été réservé aux divers acteurs de cette manifestation artistique se trouve dans le prêche de l’imam du village qui, la veille, un vendredi, a consacré une partie de son sermon au spectacle qui allait être donné le lendemain et qu’il a couvert d’opprobre. Le «saint» homme a mis en garde les fidèles contre le risque de division qui menaçait le village et a appelé ses ouailles à se méfier de l’immoralité des femmes et des jeunes qui participaient à cette pièce de théâtre.

C’est là, diraient certains, un cas isolé qu’il ne faudrait pas exagérer ou monter en épingle. Il n’y aurait donc ici que la manifestation d’une crasse mentalité villageoise synonyme d’enfermement, d’inculture et d’absence d’ouverture. Cela est, certes, vrai, mais en partie seulement.

Car, en prenant la parole, un vendredi, du haut de sa chaire, pour discréditer le théâtre et ses serviteurs, notre imam est sorti de son rôle strict de guide spirituel. Son sermon ne se bornait pas au seul fait religieux mais empiétait sur le domaine de la vie quotidienne et distribuait les bons points selon que l’on pratique ou non le théâtre. Il a dressé par là les habitants les uns contre les autres et a semé les graines de la discorde dans la cité. En vilipendant les arts en général et en se servant d’un critère purement profane pour distinguer les bons croyants des mauvais, il a fait, incontestablement, preuve d’intolérance, de fanatisme même.

Il y a là une ingérence manifeste dans la vie privée des citoyens – ingérence qu’il faudrait, impérativement, dénoncer et appeler les autorités concernées à prendre les sanctions qui s’imposent dans un pareil cas. Il y va de la paix civile mais ce sont là aussi des mesures à l’adresse des esprits rétrogrades afin de mettre un frein à leur prosélytisme de mauvais aloi et afin de décourager leurs émules éventuels.

L’art et l’éducation sont des lignes rouge

Les ennemis de la culture et du savoir devraient être convaincus qu’il y a des autorités qui, jalouses de leurs prérogatives, veillent, constamment, à ce que certaines lignes rouges ne soient pas transgressées. Celles relatives à l’éducation et aux arts sont de celles-là ! Car, la lutte contre le terrorisme ne se fait pas seulement par les armes mais doit être engagée dès l’école afin de former des esprits sains dans des corps sains. Et le théâtre et tous les arts sont, de ce point de vue, en première ligne dans le combat contre l’obscurantisme.

Il faut le dire et le redire, le radicalisme – ou, son frère jumeau, le fanatisme, voire le terrorisme –, gît dans le redoutable et liberticide empiétement du religieux sur le profane ! Nous ne devrions pas cesser de clamer donc que ce qui est à Dieu est à Dieu et ce qui est à César est à César!

Et cela est d’autant plus urgent et nécessaire que les agitateurs patentés, les fauteurs de troubles et de désordres, bras armés des prétendues Ligues de protection de la révolution, sont en train de relever la tête et d’essayer de nouveau d’occuper le haut du pavé comme en 2012 et 2013.

Bref, la vigilance s’impose et la fête du théâtre qui, en ce moment, bat son plein dans la capitale, ne doit pas nous faire illusion car ce qui s’est produit à Ksar Ouled Soltane peut se reproduire, demain ou après-demain, partout ailleurs.

Bertolt Brecht ne nous a-t-il pas avertis : «Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde» ?

* Universitaire.

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