Les opportunités de développement des échanges touristiques entre la Tunisie et l’Algérie sont d’autant plus importantes que les deux pays peuvent, ensemble, attirer les touristes chinois.
Par Habib Trabelsi
Au terme de deux jours de nombreux tête-à-tête de dizaines de professionnels du tourisme d’Algérie et de Tunisie, lors des premières rencontres «BtoB Tourisme», Abdellatif Hamam, le directeur général de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT), a résumé les discussions en ces mots : «Il y a des opportunités de partenariats gagnant-gagnant et de croisement d’intérêts qui s’offrent à la fois aux opérateurs du privé et aux opérateurs institutionnels». «C’étaient des rencontres pour aller au concret, dans un esprit de gagnant, et couper avec les rencontres diplomatico-protocolaires habituelles qui excellent dans le speech mais n’apportent pas grand-chose», ajoute M. Hamam, qui se dit «ravi».
Rêve d’un «déluge touristique»
«L’Algérie est un réservoir d’opportunités touristiques. Je suis tenté de dire que le véritable gisement de pétrole et de gaz de l’Algérie de demain c’est le tourisme», dit le directeur général de l’ONTT, qui annonce la prochaine création d’«une agence spéciale dédiée à la formation continue en tourisme» et «l’organisation sur les frontières entre les deux pays, à Tabarka ou à Tozeur, d’événements destinés à promouvoir l’image de la Tunisie et de l’Algérie en tant que destinations de choix, avec la participation d’artistes algériens».
Abdellatif Hamam.
M. Hamam, qui rentrait d’un voyage en Chine, se dit aussi «agréablement surpris» avant de faire miroiter une manne chinoise. «La Chine, le plus grand pays émetteur de touristes dans le monde, a porté à 50.000 dollars l’allocation touristique, soit un plus grand pouvoir d’achat. Les Chinois sont preneurs de produits exotiques. L’Algérie et la Tunisie regorgent de produits exotiques. Air Algérie a une ligne directe sur la Chine», rappelle M. Hamam. De quoi faire rêver…
Le directeur général du Royal Lido, Slim Ben Miled, qui traite avec le marché algérien depuis des années n’écarte pas la possibilité d’«un déluge de touristes chinois» en Tunisie et en Algérie, avec la concrétisation prochainement des nouvelles opportunités identifiées. Lui aussi, il a un œil sur la Chine et l’autre sur l’Iran. «Le marché iranien est extraordinaire. On a mis le tapis rouge devant les Iraniens puis on le leur a retiré», déplore-t-il, dans une allusion à un accord touristique avec ce pays, diabolisé par des populistes et des salafistes, qui ont dénoncé cet accord dont l’objectif, selon eux, était de propager la doctrine chiite en Tunisie.
La ministre du Tourisme, Salma Elloumi-Rekik, a dû alors préciser que l’accord était «technique» et portait sur «un échange d’expérience et de formation». Selon elle, il n’avait pas pour objectif d’attirer les touristes iraniens.
Si le privé avance, force est pour le politique de suivre
Evoquant le marché chinois. M. Ben Miled se prend à rêver : «Un seule ville en Chine, c’est plus de 300 millions d’habitants! Imaginez le déluge de touristes si on s’ouvrait sur ce marché», confie-t-il en aparté à Kapitalis. «C’est un rêve lucide. Mais est-ce qu’on s’est préparé pour accueillir des touristes chinois très pointilleux sur tout? Est-ce qu’on a une cuisine chinoise? Est-ce qu’on a le personnel approprié? Est-ce qu’on doit faire accompagner chaque touriste chinois par un traducteur à la réception, au bar, et jusque dans sa chambre?», ironise l’homme d’affaires.
M. Ben Miled appelle toutefois le privé à «prendre le bâton de pèlerin et à partir partout à la recherche d’opportunités, mais d’une manière concertée et bien étudiée». «Si le privé met le paquet, le politique suivra», assure-t-il.
Fayçal Batta (Tarek Tours) et Abdessattar Badri (TTS).
Faycal Batta, le directeur général de l’agence de voyages Tarek Tours à Sétif (Algérie) est du même avis. Selon lui, «la politique c’est la politique. Elle n’a rien à avoir avec le commerce».
Son agence est versée depuis une dizaine d’années dans les circuits culturels, en particulier l’organisation pour des touristes du monde entier (Européens, Américains, Canadiens…) de visites de sites archéologiques mondialement reconnus en Algérie et en Tunisie, en partenariat avec des agences tunisiennes.
«Tarek Tours entretient d’excellents rapports avec des partenaires au Maroc, intégré depuis plusieurs années dans les circuits touristiques entre les trois pays du Maghreb», dit Fayçal Batta. «Mais, précise-t-il, au lieu d’aller à Agadir ou à Marrakech… par bus, nos clients y vont par avion», la frontière terrestre entre l’Algérie et le Maroc étant fermée à l’initiative de Rabat en raison de différends entre les deux pays. Alger vient de se déclarer «prête à régler d’une manière pacifique» ces différends vieux de plusieurs décennies, notamment sur le Sahara occidental.
«En été, Air Algérie et Royal Air Maroc affichent complet Alger-Casa dont le billet double de prix et atteint 60.000 dinars algériens», explique M. Batta à Kapitalis.
Des protocoles d’accord à la pelle
Tarek Tours vient de conclure un nouveau protocole d’accord avec Tunisian Travel Service (TTS, le plus grand groupe tunisien opérant dans le tourisme), qui doit renforcer le flux de touristes tunisiens en Algérie, une destination de plus en plus prisée par les amateurs de circuits culturels et aussi de shopping.
«C’est beaucoup moins cher qu’en Tunisie (…) Et puis, l’Algérie est le seul pays de la région totalement sécurisé et les Algériens sont vaccinés contre le terrorisme», argue-t-il. Le dernier rapport de l’Institute for Economics and Peace (IEP) sur les tendances mondiales du terrorisme indique que «l’Algérie a réussi à gérer un mal qui ronge bien d’autres pays environnants, mais continue de figurer parmi les pays constituant une cible pour le terrorisme».
Me Linda Bessaih en action.
Interrogé par Kapitalis, le directeur général de TTS, Abdessattar Badri, précise que l’accord avec Tarek Tours porte sur la mise en place d’«un pont terrestre par des navettes hebdomadaires» entre les deux pays.
M. Badri annonce aussi «la concrétisation de deux autres accords» avec l’Idriss Agence de Voyage et de Tourisme, dont un accord portant sur la formation théorique en Algérie d’agents touristiques algériens qui bénéficieront ensuite de stages pratiques dans les six hôtels de TTS en Tunisie. Que du concret!
Pour sa part, l’avocate agréée à la Cour suprême et au Conseil d’Etat en Algérie, Maître Linda Bessaih, ne cache pas sa satisfaction : «Plusieurs opérateurs m’ont contactée pour avoir un accompagnement. Mon cabinet va leur proposer des packages pour faciliter le montage de leurs entreprises, leur offrir des sociétés clé en mains», confie-t-elle à Kapitalis. «Nous allons aussi signer un protocole d’accord avec un bureau d’avocats en vue d’un échange d’investisseurs», dit-elle, en se frottant les mains.
La culture pour redonner un second souffle au «Grand Maghreb»
Principales professions de foi de l’avocate, qui a fourbi ses armes au Canada : «tirer profit du savoir-faire incontournable des Tunisiens» et «mettre le paquet sur le tourisme culturel, avec l’organisation de circuits thématiques».
Bon nombre de participants aux rencontres estiment eux aussi que les partenariats en matière de tourisme, surtout culturel, favorisent une véritable intégration intermaghrébine sur des bases économiques solides, un vieil idéal entretenu depuis des décennies et demeuré lettre-morte.
Paradoxalement, le vœu des participants tranche avec celui émis par l’ambassadeur de Turquie à Tunis, Ömer Faruk Doğan, qui vient d’appeler la Tunisie sur Radio ShemsFM à… «favoriser davantage le tourisme religieux».
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