Le ministère tunisien des Affaires étrangères commémore aujourd’hui son 67e anniversaire. Que de chemin parcouru mais la machine est fatiguée et a besoin d’un nouveau souffle pour redevenir ce qu’elle n’a jamais dû cesser d’être, à savoir un outil de développement pour une Tunisie post révolution qui se cherche encore, bafouille et bégaie, en faisant du surplace.
Par Raouf Chatty *
Aujourd’hui, mercredi 3 mai 2023, le ministère tunisien des Affaires étrangères commémore son 67e anniversaire depuis sa réhabilitation moins de six semaines après l’indépendance du pays le 20 mars 1956 et quatorze mois avant la proclamation de la République, le 25 juillet 1957.
En ce jour historique pour l’Etat Tunisien indépendant, il sied de rendre hommage aux pères fondateurs dont le leader Habib Bourguiba et ses camarades en particulier Mongi Slim, Habib Chatty, Sadok Mokadem, Taieb Slim, Abdelmajid Chaker, Mohamed Masmoudi, Hassan Belkhodja, Hedi Mabrouk, Beji Caid Essebsi, Rachid Driss, Taieb Sahbani et bien d’autres qui furent de grands politiques et de brillants diplomates.
Si le leader Bourguiba avait à l’époque fonde et conçu avec lucidité les fondements de la doctrine de la politique étrangère de l’Etat nouvellement indépendant, eux avaient le mérite de la mettre en application dans son sillage et sous son autorité.
Ils ont tous ainsi, tout au long des trois décennies post indépendance, construit la politique étrangère de la Tunisie, renforçant, grâce à l’expérience du terrain, ses fondements, élaborant progressivement sa doctrine, affinant sa méthodologie, lui donnant une aura et un lustre dignes d’un grand pays. Ils avaient ainsi su donner au nouvel État une place honorable, une voix audible et une présence effective et efficace sur le plan international.
Le président Zine El Abidine Ben Ali n’a pas changé de méthodologie en faisant avancer le pays sur la même voie lui faisant beaucoup gagner et lui épargnant les soubresauts et les cassures. Et l’évolution des choses durant la décennie tragique suivant la révolution de 2011 lui a donné raison.
Eclat et crédibilité au plan international
Fondée sur l’attachement à la légalité internationale, le respect de la souveraineté des États, la non-ingérence dans les affaires intérieures des États, la défense des causes justes et la neutralité positive, la Tunisie a réussi, grâce à ses choix politiques lucides à l’époque, à se forger une stature internationale dépassant largement ses dimensions géographique et son potentiel politique et économique.
Ses dirigeants ont réussi à accréditer ainsi avec tact et délicatesse, sur le plan extérieur, l’image d’un pays pacifique, stable, réaliste et crédible, servant ainsi d’exemple pour beaucoup de pays nouvellement indépendants de par le monde.
Les réformes engagées par le leader Bourguiba à l’époque, dont essentiellement la promulgation du Code du statut personnel, l’abolition de la polygamie, la libération de la femme, la promotion de la santé publique, la généralisation de l’enseignement, le planning familial, le combat contre le sous-développement, la lutte contre la pauvreté, le bon voisinage avec notre environnement géographique ont grandement aidé à donner éclat et crédibilité à la Tunisie au plan
Aujourd’hui et plus que jamais notre diplomatie est appelée à puiser dans ces fondamentaux et à les cultiver pour être un véritable levier au service de l’image de notre pays et de son développement.
Cet objectif pourrait être atteint si notre diplomatie, malmenée tout au long de la décennie post-janvier 2011, se détermine à sortir de sa léthargie et à faire sans tarder son mea-culpa pour repartir de bon pied.
Il lui incombe pour ce faire de dresser un tableau aussi objectif et réaliste que possible de notre potentiel : nos forces et atouts et surtout nos faiblesses et nos échecs depuis la révolution à tous les domaines.
Comme feuille de route, il convient de fixer les objectifs stratégiques à atteindre, et comme mesures, déterminer les stratégies et les moyens à mettre en œuvre pour la réalisation des objectifs.
Une feuille de route
Pour ce faire, il est primordial de :
1- savoir ce qu’on veut et savoir compter nos billes de façon mesurée et équilibrée, tout en sachant doser nos ambitions en relation avec nos moyens; notre environnement géopolitique immédiat et lointain, compte tenu des changements et mutations majeurs sur le plan international;
2- identifier nos écueils, dont en particulier les compétitions effrénées et très malsaines entre les structures du Département, les doublons, l’absence de coordination, la rigidité des méthodes, la prépondérance du copier-coller, l’accumulation des dossiers restés en suspens, la pauvre exploitation des données…;
3- lutter contre la multiplication des structures chargées des relations extérieures au niveau des départements ministériels, et entreprises publiques, l’outrepassement du ministère des Affaires étrangères par les autres départements ministériels et structures travaillant avec l’étranger;
4- réviser les statuts en vigueur de la maison afin de déterminer leur degré de fonctionnalité au plan pratique et voir si le nouvel organigramme, avec ses nouveaux découpages, a permis ou non au département de fonctionner de manière efficace et coordonnée avec des résultats concrets à la clé. Cela permettra de relever si ce nouveau découpage a permis la création de structures efficaces ou si ces structures sont restées rigides, dépourvues de dynamisme et de vie, et sans réelle coordination entre elles, servant tout simplement d’espaces pour placer de hauts fonctionnaires en mal de postes et soucieux particulièrement de leurs carrières;
5- accorder une importance particulière à tous les personnels du département, toutes catégories confondues (recrutement, formation, grille des salaires, éducation des enfants, soins médicaux, affectation dans l’administration centrale et à l’étranger…) Dans ce cadre, 1- la Direction générale des ressources humaines a un rôle fondamental à jouer. Elle se doit de sortir des sentiers battus, de cesser de travailler mécaniquement. Son rôle est, bien sûr, de connaître la situation administrative de tous les fonctionnaires du département, mais également la situation humaine, financière et sociale de tous les personnels, ceux qui exercent au sein de l’administration centrale et ceux qui travaillent dans les ambassades et consulats de Tunisie. La réussite des diplomates dans leur mission dépend des choix au niveau de l’affectation des personnels en tenant compte de plusieurs critères objectifs (diplômes, pratique des langues étrangères, culture générale solide, compétences professionnelles, facilités de contacts, charisme, souplesse, tact…) ; 2- l’Académie diplomatique récemment inaugurée par le président de la république a également un rôle fondamental à jouer dans la formation de tous les personnels appelés à servir la Tunisie à l’étranger tout comme les fonctionnaires basés à Tunis et qui travaillent sur des dossiers de politique étrangère;
6 – regarder très sérieusement du côté de nos représentations diplomatiques, consulaires, économiques, commerciales et culturelles à l’étranger. Il devra être veillé à l’affectation de responsables les mieux outillés capables de travailler dans des environnements difficiles, maîtrisant les langues étrangères, connaissant les milieux dans lesquels ils seront appelés à évoluer, et possédant le maximum d’atouts pour réussir leurs missions. Avant leur affectation, ces diplomates et fonctionnaires appelés à servir à l’étranger doivent être munis de feuilles de routes avec des objectifs bien précis. Ainsi, dès le départ, ils sauront à quoi s’en tenir et assureront en connaissance de cause leurs choix. De cette manière, ils sauront qu’ils auront des contrats à remplir. Et il incombe à l’administration centrale, notamment la Direction générale de l’inspection et de l’évaluation d’établir ces feuilles de route pour chaque poste à l’étranger compte tenu des réalités politiques, économiques, financières et technologiques de chaque pays. Bien entendu, il ne s’agira pas en la matière de la ma même feuille de route pour tous les pays;
7- accorder toute son importance au dossier capital des Tunisiens à l’étranger et de l’émigration. Notre communauté à l’étranger compte aujourd’hui environ 1 250 000 personnes, dont de plus en plus de compétences avérées dans tous les domaines, outre les travailleurs salariés et ceux qui vivent dans la précarité, en situation irrégulière dans plusieurs pays européens.
Cet énorme dossier, négligé depuis longtemps, gagnerait à être scientifiquement et humainement traité. Les Tunisiens ne doivent pas êtes vus uniquement comme des sources de devises, mais comme de véritables ambassadeurs qui pourront apporter de réels plus-values pour eux et pour la Tunisie.
En somme, des dossiers extrêmement importants attendent notre diplomatie, laquelle doit savoir se mesurer aux autres pays et donner le meilleur d’elle-même pour servir la Tunisie. Le ministre Nabil Ammar s’y emploie sérieusement. Mais la tâche est immense et il faudra bien que tous les intervenants daignent coopérer avec le département des Affaires étrangères et son chef pour faire en sorte que notre diplomatie serve du mieux qu’elle peut les intérêts de la Tunisie.
* Ancien ambassadeur.
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