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 »Andi Manqollek »: L’ultime émission censurée!

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Moncef Marzouki et Rached Ghannouchi lavant leur linge sale dans l’émission de Alaa Chebbi sur Al-Hiwar Ettounsi, ça ne s’invente pas. L’auteur l’a imaginé…

Par Karim Ben Slimane*

Alaa Chebbi, le présentateur vedette du petit écran, croyait tenir le coup du siècle qui hissera son émission au zénith de l’audimat. Qui sait, il pourrait même détrôner son insolent rival Samir El-Wafi. La veille de la diffusion de l’émission, il n’a pas fermé les yeux. Son esprit vagabondait dans ses rêves éveillés de paillettes et de célébrité. Telle Pierrette et son pot au lait, il voyait déjà la gloire qu’il pourrait tirer de cet épisode de son reality show.

Quand il a reçu, deux semaines auparavant, l’appel d’une ex-ministre, il crut au canular. Oui, ce satané de Migalo sévissait de plus en plus, piégeant les stars du showbiz et les couvrant de ridicule. «Migalo arrête, c’est pas marrant tu ne me la feras pas à moi aussi», répond Alaa confiant. Cependant, ses soupçons se sont vite dissipés quand l’ancienne ministre lui avait proposé un rendez-vous le jour même dans un hôtel de la capitale. Elle est apparue dans une robe moulante de couleur fuchsia qui laissait trahir la naissance de ses cuisses quand elle s’asseyait. «Monsieur le président Moncef Marzouki voudrait passer dans votre émission», lui dit-elle, sur un ton direct et déterminé. Alaa ne croyait pas ses oreilles : «Vous vous trompez peut-être d’émission madame, je n’anime pas de talkshow. Que viendrait faire monsieur le Pré…, ou l’ancien Prés., enfin M. Marzouki dans mon émission?», bégaya-t-il.

Le lendemain les membres de l’équipe de  »Andi Monqollek’ étaient sur le pied de guerre. Ils ont passé la semaine de tournage la plus éprouvante et en même temps la plus excitante dans la longue histoire d’émission.

L’accueil réservé à Moncef Marzouki par Alaa Chebbi a été des plus chaleureux. Après les salamalecs de circonstance, M. Marzouki, tout de blanc vêtu et portant son fameux burnous en cape, est installé dans le légendaire canapé en demi-cercle de l’émission.

«Monsieur l’ancien président, dites-nous pourquoi êtes-vous venu à  »Andi Man qollek »», lance Alaa Chebbi d’une voix hésitante, et de renchérir: «Je ne vous cache pas que c’est la première fois que j’accueille dans mon émission un personnage politique de votre rang et que c’est un pari risqué et fou que je prends aujourd’hui.»

Réponse de M. Marzouki: «Ecoute Alaa, je suis un grand fan de cette émission culturelle qui nous permet de mieux connaitre la réalité du peuple des citoyens et nous montre un autre visage que celui des bien-nés, ceux qui se pavanent dans les belles voitures et vivent retranchés dans leurs palais.»

– M. Marzouki vous n’êtes pas ici pour faire de la politique, rassurez-moi? Vous n’êtes pas en campagne. Dites-nous qui avez-vous invité à  »Andi Manqollek ».

– J’ai quelque choses à dire à quelqu’un qui a beaucoup compté dans ma vie et que les esprits malveillants ont manigancé pour nous éloigner l’un de l’autre. Je suis ici pour rétablir une vérité et lui dire mon attachement.

Dans la loge des invités, une belle jeune femme aux jambes fines et élancées, critères primordiaux pour officier dans ce rôle, tenait compagnie à un vieil homme au regard acéré et à la mine franchement peu avenante. La jeune femme lui lance de sa voix suave: «Sidi Cheikh, savez-vous qui vous a invité pour cette émission de  »Andi Man Qollek »?»

Réponse du cheikh Rached Ghannouchi, feignant d’ignorer le généreux décolleté qui laisse entrevoir les seins ronds et fermes de sa gracieuse hôtesse: «Non, ma fille je n’ai aucune idée de qui ça pourrait-être».

Ensemble ils descendent les marches main dans la main. Elle l’installe dans l’autre canapé en demi-cercle auquel font face trois écrans de télévision et quitte le plateau offrant au public un dernier spectacle de déhanché.

«Sidi Cheikh, c’est un honneur de vous avoir parmi-nous aujourd’hui. Dans quelques instants vous allez découvrir qui vous a invité à  »Andi Man Qollek »», lui dit Alaa.

La mine du cheikh s’est abruptement décomposée à la vue du visage de Moncef Marzouki à l’écran.

«- Bonjour Cheikh Rached, lance Marzouki à son invité. Je suis content de te revoir.

– Moi aussi, rétorque le cheikh sur un ton sec qui trahit sa gêne.

– Cheikh Rached, je t’ai invité ici pour te dire que je tiens beaucoup à notre alliance passée et que je souhaite que nous retrouvions le bonheur que nous avons jadis partagé.

– Moncef, tu sais bien que je t’apprécie et te respecte beaucoup mais tu sais bien aussi qu’entre nous c’est fini.

– Tu es injuste et ingrat, Rached. Grâce à moi toi et mon parti, vous êtes devenus fréquentables aux yeux de tout le monde. Elle n’était pas belle l’alliance entre les islamistes pestiférés et le militant de droit de l’homme et laïc que je suis? Avoue que ça serait injuste de prétendre que tu n’as pas profité de cela.

– Admettons que tu ce que tu dis soit vrai, tu as été bien récompensé que je sache. Tu as rassasié ta soif de pouvoir pendant quatre longues et interminables années. C’est moi qui t’es installé au Palais de Carthage et en récompense tu m’as couvert de honte par ton goujatisme, tes sorties incontrôlées, tes sautes d’humeur et tes lubies. Je ne compte plus les embarras et les problèmes dans lesquels tu m’as mis avec les voisins et les amis. Et je ne parle pas des patachons qui t’entourent et de l’autre gourde qui posait avec les chaussures de Leila.

– Je te rappelle que les patachons dont tu parles, c’est toi qui me les as envoyés. Ils sont tous les enfants d’Ennahdha et tu le sais mieux que quiconque. Et puis la gourde dont tu parles, elle t’a bien rendu service auparavant pour accueillir tes amis prédicateurs wahhabites et pour ouvrir les jardins coraniques. Elle aussi tu l’a jetée comme un mouchoir. Et je vais taire les autres faveurs qu’elle t’offrait.

– Balivernes! Tu as perdu la tête Moncef et ça ne date pas d’aujourd’hui.

– Ah bon, espèce d’ingrat. Tu n’es qu’un imposteur et un hypocrite.

– Tout ce que tu as été, tu me le dois à moi et à Ennahdha. Je t’ai assez supporté, aujourd’hui je n’en peux plus. C’est fini entre nous.

– Non, la vérité est que tu as trouvé meilleur parti. Parles-nous de ta nouvelle idylle avec le vieillard. Si Alaa, il m’a trompé plusieurs fois et je lui ai pardonné au nom des sentiments que j’ai pour lui.»

A ce moment, Alaa Chebbi sort sa célèbre formule circonstanciée : «Ce que vous dites M. Marzouki est grave. Cheikh Rached est-il vrai que vous aviez des relations avec un autre parti alors que vous étiez avec Moncef Marzouki?»

«- Non ce n’est pas vrai, il raconte n’importe quoi.

– Et ta rencontre à Paris avec le vieux?, s’empresse d’ajouter Marzouki.

– On s’est vu par hasard, c’est une vieille connaissance et nous nous apprécions beaucoup. Notre relation est amicale je tiens à le préciser.

– J’hallucine !!! Avant tu le traitais de tous les noms; tu disais que c’est une figure de l’ancien régime, un ennemi de la révolution, un contre-révolutionnaire, et maintenant, j’apprends que vous vous êtes amourachés l’un de l’autre. En quoi est-il meilleur que moi?

– Lui, au moins, il est classe, lâche Ghannouchi.»

A court d’arguments, Marzouki fond en larmes. Il plonge sa tête entre ses genoux. Il est inconsolable au point d’émouvoir Alaa Chebbi et le public. Le cheikh, quant à lui, est resté de marbre.

«- Si Alaa, lâche Marzouki, des trémolos dans la voix, je l’aime et je ne peux pas vivre sans lui.»

Imperturbable, le cheikh se lève à la demande de l’animateur qui lui signifie que le moment fatidique de l’émission est arrivé.

«- Sidi Cheikh, acceptez-vous qu’on lève le rideau et que vous retrouviez Moncef Marzouki?

– Non c’est fini, assène le cheikh, toujours le ton tranchant et le regard plus acéré que jamais.»

Le verdict finit par achever Marzouki. Hystérique il s’en prend au public, vociférant les pires insultes contre ce peuple inculte et ignare qui ne méritait pas un génie comme lui. Quatre vigiles aux épaules de déménageurs l’entourent et arrivent à le contenir avant de le conduire à sa loge.

Alaa Chebbi jubilait déjà, il avait du mal à contenir sa joie. Il s’est juré que cette émission serait l’ultime de  »Andi manqollek ». Sa sortie par la grande porte et la première marche vers la gloire.

Hélas, le jour de la diffusion de l’ultime émission, Alaa Chebbi reçoit un coup de fil qui brise son pot au lait. Arguant de raisons de sécurité nationale, la Haica, l’instance chargée de la régulation audiovisuelle, somme l’animateur d’annuler la diffusion de l’émission.

La pire nouvelle dans cette histoire est que  »Andi Manqollek » va continuer, Alaa Chebbi aussi.

*Spectateur rigolard de la vie politique tunisienne.

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