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Coup de gueule d’un médecin tunisien

Medecins

Ce coup de gueule d’un médecin tunisien propose des éléments pour un début de réflexion au sujet du service civil des médecins spécialistes.

Par Dr Karim Abdellatif

1. Plusieurs régions maquent de médecins dans certaines spécialités, c’est un fait.

2. Certains hôpitaux régionaux comportent jusqu’à 6 orthopédistes, ce qui est bien plus que nécessaire.

3. A Siliana, bien qu’il y ait des orthopédistes sur place, des patients modérément «lourds» ne peuvent pas être pris en charge car l’équipe des anesthésistes ne veut prendre aucun risque. De plus, il existe un manque de matériel et les mesures prises par les autorités responsables pour améliorer cet état de fait ne portent pas leurs fruits, c’est un euphémisme.

4. A Tozeur, un anesthésiste-réanimateur tunisois qui y travaille depuis trois ou quatre ans a enchaîné les gardes, faisant jusqu’à un mois entier de gardes ininterrompues, au point de tomber gravement malade. Il a demandé à être muté, mais le ministère de la Santé fait la sourde oreille et ne veut pas le laisser démissionner.

5. A Médenine, un gynécologue tunisien qui avait réussi au concours d’équivalence français (et qui était donc susceptible d’aller travailler en France dans de bonnes conditions et avec un salaire conséquent) a travaillé lui aussi à un rythme infernal (jusqu’à 20 gardes d’affilée). Les infirmiers médeninois lui ont dit, devant moi, que s’il enchaînait ainsi les gardes (alors qu’ils n’étaient que deux gynécologues dans cet hôpital durant le semestre où j’y ai travaillé), c’était par appât du gain.

6. Toujours à Médenine, une ophtalmologue récemment diplômée et qui est allée y effectuer son service civil a demandé à y être embauchée : pas de réponse positive de la part du ministère de la Santé.

7. Des médecins étrangers travaillent dans certains hôpitaux régionaux manquant de médecins tunisiens. Ils ne sont pas toujours compétents et ne maîtrisent bien souvent ni l’arabe, ni le français. Je ne prendrais pas pour exemple ce viscéraliste russe bien sympathique qui a été retrouvé à plusieurs reprises ivre mort au sein de l’hôpital et qui était saoul pendant ses gardes, ni celui de cet anesthésiste-réanimateur iranien de plus de 70 ans qui finira bien par tous nous enterrer et qui travaille toujours dans le nord de la Tunisie.

8. Quand la médecine dans les régions défavorisées ne drainait pas d’argent, c’étaient les résidents en médecine et les nouveaux médecins spécialistes qui avaient la lourde tâche de sauver notre pays (qui paye les conséquences d’une politique de santé désastreuse durant depuis plus d’un demi-siècle). Mais dès qu’il s’est agi de rémunérer les gardes à hauteur de 300 DT, tout le monde était miraculeusement sur le coup, y compris les médecins hospitalo-universitaires et le syndicat des médecins de libre pratique. On peut aussi imaginer dans le futur que des résidents pourraient subir des pressions de la part de leur hiérarchie pour assurer ces gardes sans couverture ni rémunération.

9. Parmi toutes les femmes tunisiennes, seules les femmes médecins sont concernées par le service national. Et aux dernières nouvelles, la grossesse n’est pas considérée comme un critère médical d’exemption.

10. Les dossiers des résidents en médecine qui déposent une demande d’exemption au service national sont volontairement mis de côté en raison de directives gouvernementales.

11. Parce que leurs études se prolongent au-delà de 28 ans, les jeunes médecins spécialistes sont pénalisés et perdent leur droit à bénéficier (dans le cas où ils le mériteraient) des critères d’exemption et de sursis qui restent applicables à tous les autres Tunisiens terminant leurs études avant cet âge.

12. Le 10 février 2010, sous l’ère Ben Ali, le Conseil Constitutionnel a émis un avis stipulant que «le projet de loi [la fameuse loi 2010-17 !] modifiant et complétant la loi n°2004-1 du 14 janvier 2004 relative au service national, ne soulève aucune inconstitutionnalité.» Laissez moi rire ou pleurer…

* Résident en orthopédie.

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