Le sanctuaire du saint soufi Lal Shahbaz Qalandar, à Sehwan Sharif, après l’attentat sanglant.
En Asie centrale le Grand Jeu se poursuit, sur fond de terreur, entre l’Inde, le Pakistan et l’Afghanistan, confusément arbitré par les Etats-Unis.
Par Dr Mounir Hanablia *
Le 16 février 2016, un attentat terroriste a ensanglanté l’un des mausolées soufis les plus connus au Pakistan, celui de Lal Shahbaz Qalandar à Sehwan, dans le Sind. Selon les autorités il s’agit d’une attaque-suicide, un homme (ou une femme?) s’est fait exploser au milieu des milliers de visiteurs qui comme chaque année viennent vénérer la mémoire de ce saint vénéré autant par les musulmans que les Hindous. Il y a eu environ une centaine de morts.
Mis à part le bilan lourd de l’attentat, qui ciblait des pèlerins pacifiques, ce qui a choqué autant l’opinion a été l’absence d’hôpitaux pour accueillir et soigner les blessés dans cette petite localité perdue au fond du Sind, à 150 km de la ville de Hyderabad.
Le temps que les ambulances se rendent sur les lieux de l’attentat, puis transportent les blessés vers les structures sanitaires pouvant les accueillir, beaucoup étaient déjà morts, et cela souligne une fois encore le sous équipement sanitaire tragique de ce pays de 200 millions d’habitants, et la totale indifférence des gouvernements qui se sont succédé à la tête de l’Etat fédéral relativement au bien-être du peuple mais peut être aussi de sa sécurité.
Organes de sécurité et réseaux terroristes
En effet quelques jours auparavant, à Lahore, un attentat suicide avait frappé une marche de protestation organisée par les pharmaciens et des membres de l’industrie pharmaceutique contre… la décision du gouvernement de réprimer la vente illégale de médicaments.
Là aussi environ une centaine de personnes étaient mortes des suites de la violente explosion, mais le plus étonnant avait été que bien que la police eût été prévenue du risque d’attentat, particulièrement élevé devant le siège de l’assemblée régionale du Panjab où se déroulait la manifestation, elle eût échoué à le prévenir.
Ce n’est bien sûr pas la première fois qu’au Pakistan, les organes de sécurité suscitent un soupçon sérieux quant à leurs liens présumés avec les terroristes, surtout quand, en l’occurrence, les attentats sont revendiqués par les talibans pakistanais. Et ceci bien entendu ramène immédiatement au Jihad à la situation prévalant sur les frontières avec l’Afghanistan, et le Kashmir.
Il y a quelques semaines en effet, Hafiz Said, l’un des chefs du Laasker Taiba Le’T, et une ancienne figure du jihad en Afghanistan dans les années 80 contre les Soviétiques, avait été arrêté et mis en résidence surveillée immédiatement après l’accession de Donald Trump au pouvoir. Hafiz Said avait accusé les autorités pakistanaise de s’être soumises au diktat de l’administration américaine inspiré par le gouvernement et le lobby indien d’Amérique, et visant à isoler le Pakistan dans le camp infâmant des Etats parrainant le terrorisme.
C’est que l’Inde avait accusé en 2008 le même Hafiz Said d’avoir commandité l’attaque de Mumbai, en coordination avec l’Inter Service Intelligence (ISI), les services spéciaux de l’armée pakistanaise, et son organisation, Le ‘T, disposant de camps d’entrainements au Pakistan, avait perpétré plusieurs attaques au Kashmir contre l’armée indienne à travers la ligne de démarcation.
En conséquence de quoi et après l’affaire de Mumbai de 2008, Hafiz Said a été jugé plusieurs fois par la justice pakistanaise qui l’avait à chaque fois relâché faute de preuves.
Ce personnage est donc l’incarnation de l’interconnexion entre l’Afghanistan, le Kashmir, l’ISI, et la politique de déstabilisation ouverte adoptée par le gouvernement indien à l’encontre du Pakistan depuis que ce dernier s’est impliqué avec la Chine pour la mise en place du fameux corridor de prospérité économique commune qui reliera le Xin jang Chinois au port géant de Gondhar bâti sur la mer d’Oman.
L’Inde, dans sa volonté de contrecarrer la réalisation de ce projet qu’elle trouve dangereux pour ses intérêts, use de multiples moyens de pressions contre son voisin dont l’entretien de l’inimitié pakistano-afghane constitue l’une des pierres angulaires.
Le lourd poids de l’histoire
Il faut dire que celle-ci ne date pas d’hier, le contentieux est né après la conquête de Peshawar en 1818 par le Maharajah de Lahore Ranjit Singh, et l’annexion du Panjab et de la North Western Frontier Province NWFP par l’Empire Britannique, a entraîné de facto la division des tribus Pachtouns, le long de ce qu’on appelle la ligne Durand, entre celles faisant partie de l’Inde , et celles dominant toujours l’Afghanistan, dont elles constituent la majorité, et auquel elles ont toujours fourni ses principaux cadres dirigeants.
Le Raj britannique avait entretenu des relations très complexes avec l’Afghanistan et, après avoir vainement tenté de l’occuper, s’était borné à y établir son influence, tout en s’assurant qu’il ne tomberait pas aux mains de l’Empire Russe, dont l’ambition était de chasser les Anglais d’Inde en y fomentant des troubles et des soulèvements, particulièrement par le biais des turbulents Pachtouns.
Cette rivalité anglo-russe en Afghanistan avait reçu le nom de Grand Jeu. Et après la partition de l’Inde, l’Etat Pakistanais nouveau né s’était trouvé dans l’obligation de gérer au mieux l’épineux problème Pachtoun, et les tribus de la NWFP contre l’allégeance à Islamabad avaient continué à jouir d’une plaine autonomie, en particulier par l’application du code juridique Pakhtunwala et au détriment des lois de l’Etat pakistanais.
Mais avec l’entrée des Soviétiques en 1979 en Afghanistan, les choses avaient changé, les Pachtouns pakistanais avaient assuré le soutien politique et militaire de leurs frères afghans en lutte contre l’occupation, et la NWFP était devenue un sanctuaire pour les Mujaheedin et le point de passage obligé des volontaires musulmans étrangers et de toute l’aide logistique assurée par la CIA, l’Arabie Saoudite, et les services secrets militaires pakistanais ISI , en faveur des insurgés.
Après le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan, le Pakistan avait soutenu les Taliban, des Pachtouns islamistes dont les principaux dirigeants avaient été formés dans les Medressahs pakistanaises et dont l’idéologie pan islamiste cadrait bien avec les objectifs stratégiques sinon de l’Etat Pakistanais, du moins de ses services secrets militaires, leur objectif avait toujours été de bouter l’armée Indienne hors du Kashmir puis de l’annexer, ce que trois guerres n’avaient pu réalise.
La logique de l’Etat pakistanais a toujours obéi en réalité à des nécessités stratégiques dont l’argument idéologique ne constitue que l’instrument, s’assurer une profondeur stratégique grâce à l’Afghanistan, et contrôler les sources des rivières et de l’Indus, face aux ambitions hégémoniques du grand voisin indien.
Qui cherche à déstabiliser qui ?
C’est exactement la même politique qu’avait suivie au XIXe siècle le Royaume Sikh de Lahore face aux Anglais et aux Afghans. Mais quoiqu’il en soit, et pour revenir à la situation stratégique actuelle, les attentats survenus au cours des derniers jours font avant tout le jeu de l’Inde qui démontre ainsi aux Etats-Unis d’Amérique que le Pakistan ne fait pas partie de la solution, mais plutôt du problème.
Mais beaucoup accusent en contrepartie l’Afghanistan d’abriter les terroristes talibans et de ne rien entreprendre pour faire cesser leurs incursions au Pakistan. Des accusations retournées par les Afghans, soutenus par l’Inde, qui accusent leurs voisins de tenter de les déstabiliser en soutenant les Talibans Afghans.
Mais l’entée en lice de l’Etat Islamique en Afghanistan a entraîné cet effet politique paradoxal: les Américains, dont la politique d’assassinats et de bombardements menés par les drones armés depuis l’époque Obama, contre les talibans sur le sol Pakistanais, dans la NWFP, n’a pas eu les effets escomptés, ont établi des contacts avec ces derniers, en vue de définir les conditions de leur participation au gouvernement de l’Afghanistan pour lutter contre l’Etat Islamique, jugé beaucoup plus menaçant. Est ce un prétexte?
Certaines sources jugent minime la présence dans la région de l’Etat Islamique. Quoiqu’il en soit, il semble s’agir là d’un tournant politique majeur de la part de l’administration Trump par rapport à sa devancière.
Le problème demeure de savoir comment ce changement d’attitude américain sera interprété autant par leurs adversaires, que par les alliés pakistanais.
La nouvelle politique américaine s’apparente plus à une retraite forcée et néanmoins négociée aux moins mauvaises conditions, qu’à l’imposition d’un ordre politique issu d’une victoire militaire. L’enjeu étant donc la définition du contexte général des négociations, les attentats particulièrement sanglants survenus récemment au Pakistan semblent vouloir démontrer que si les Américains n’ont pu remporter la victoire, en Afghanistan, les Pakistanais ne seront pas non plus vainqueurs. Ce qui n’aurait rien d’étonnant: aucune puissance au monde n’a jusqu’à présent réussir subjuguer les peuples de ce pays.
En attendant, le Grand Jeu continue, avec à la place de l’Etat Sikh du Panjab, l’Etat Pakistanais, et à la place du Raj Britannique, l’Etat Indien de New Delhi.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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