Le nouveau responsable des dossiers politiques à Nidaa Tounes est un dangereux propagandiste : c’est un misogyne qui rêve (encore ?) d’un «homme fort».
Par Maître Taoufik Ouanes *
Depuis les élections de 2014, je me suis généralement abstenu de m’exprimer dans les médias, surtout en matière de politique intérieure. Si je sors de ma réserve aujourd’hui, c’est que la nomination du journaliste Borhen Bsaïes pour s’occuper des dossiers politiques au sein de la direction de Nidaa Tounes et d’être son porte-parole me paraît un événement important et dangereux.
En effet, et tant qu’il restait dans la fonction de journaliste, les prises de position de Bsaïes – aussi contestables et dangereuses qu’elles soient – entraient dans les hystéries fatigantes des plateaux de télévision. Dans l’épuisement et la résignation, beaucoup de téléspectateurs – dont je fais partie – s’y sont habitués et n’y prêtent plus qu’une oreille distraite.
Ces derniers temps, plusieurs propos de Bsaïes ont suscité chez moi l’étonnement par leur caractère erroné, la stupeur par leur violence et, plus grave, la colère par leur dangerosité.
Cependant, je me suis retenu de réagir me disant que ce n’était qu’une voix disqualifiée par son passé et sans crédibilité dans sa substance. Au nom de la liberté d’expression et de l’apprentissage que nous en faisons tous, je pensais qu’il ne fallait pas systématiquement relever les errements idéologiques et les hystéries verbales de Bsaïes. Comme on dit, «laissez dire» !
Mais maintenant que Bsaïes devient en charge des «dossiers politiques» et porte-parole du plus grand parti au pouvoir, on glisse dangereusement du «laisser dire» au «laisser faire» et là, mon silence risquait de devenir une complicité coupable, au mieux une abdication passive. Cela me donne, je le crois, le droit et le devoir de revenir sur certains propos tenus publiquement par Bsaïes. Je le ferai sans invective, mais sans complaisance et tout en insistant sur le fait que je n’ai jamais rencontré ce monsieur et que je n’ai aucune animosité contre sa personne. Je me restreindrai à deux idées essentielles.
La théorie de «l’homme fort»
Cette idée dont Bsaïes s’est fait le chantre, et il n’est malheureusement pas le seul, consiste à penser et à affirmer que le salut de la Tunisie ne viendra qu’à travers un homme fort. Cette «théorie» réductrice est, au mieux naïve et au pire malveillante. Prétendre qu’il suffit de «mettre au pouvoir un homme fort» est une garantie pour «faire respecter la loi» et «restaurer le prestige de l’Etat» est un leurre et un mensonge. C’est une rengaine que le peuple tunisien a entendu depuis plusieurs années et qui, lors des élections de 2014, a été utilisée d’une manière effrontée et manipulatrice.
Plusieurs questions se posent !
Qui va mettre cet homme au pouvoir? Qui serait cet homme? Comment cet homme sera «mis» au pouvoir?
Qu’est-ce que cela veut dire «homme fort» ? Fort comment? Par la force ou par des institutions? Quelle force? Quelle institution?
Il faut le demander à Borhen Bsaïes et à tous ceux qui pensent comme lui!
Il est connu, et à travers l’histoire, que les «hommes forts» ne mènent qu’à la violation des principes fondamentaux de la démocratie et de l’égalité. Staline, Hitler, Pinochet, Ceausescu, Sddam, Ben Ali, etc., sont des hommes forts, très forts. Ils n’ont pas fait respecter la loi. Ils ont appliqué leur loi! Ils ont mené leurs peuples (et souvent d’autres) à la dictature, la guerre et la faillite. Et ils sont tombés après avoir fait tant de mal et commis tant de crimes aux dépends de leurs peuples et souvent d’autres. Est-ce qu’à cela qu’on veut mener, ou ramener la Tunisie?
Quand Bsaïes se gargarise de concepts fumeux tels que le «souverainisme» dont il qualifie Ben Ali, ne sait-il pas que cette élucubration conceptuelle n’a jamais le moindre patriotisme noble et ouvert comme nous l’aimons en Tunisie? Sait-il que, bien au contraire, cette étrange idée de «souverainisme» a été à la base d’un nationalisme qui s’apparente plutôt au nazisme hitlérien de triste mémoire? Au lieu d’un «homme fort», la Tunisie n’a-t-elle pas plutôt besoin d’un homme crédible qui suscite l’enthousiasme et l’adhésion du peuple à un projet démocratique et moderniste?
Une autre imposture et une mystification qu’on veut monnayer en Tunisie consiste à nous convaincre que la loi ne peut être appliquée que par la contrainte ou la force… «du bâton» («el-assa»), ajouteraient les plus doctes !!
Savent-ils qu’à 99% des lois et des normes légales dans le monde et dans l’histoire sont appliqués volontairement et non par la force ou la violence. Voudrait-on faire des Tunisiens un peuple de sujets sans capacité civile ou d’esclaves pour les mener au bâton?
Il faut le demander à Borhen Bsaïes et à tous ceux qui pensent comme lui!
La misogynie rétrograde
Notre journaleux caméléon aime se targuer d’être aussi un grand intellectuel. Invoquer Nietzsche comme l’a fait Bsaïes sur un plateau de télévision en lui attribuant la citation suivante : «L’autorité est comme la femme, elle aime l’homme fort !» relève de la supercherie intellectuelle, et révèle une misogynie rétrograde. Une telle citation est littérairement fausse et intellectuellement humiliante pour toutes les femmes tunisiennes. Prononcer de telles paroles sur un plateau de télévision à quelques jours d’intervalle de la Journée internationale de la femme est tout simplement une honte!
En plus, la référence à Nietzche est tout à fait significative pour comprendre la mentalité de Bsaïes. Sait-il que les idées de Nietzche ont constitué la base de la pensée hitlérienne nazie? S’il le sait et qu’il ose s’y référer, c’est de la mauvaise-foi caractérisée; et s’il ne le sait pas c’est de l’ignorance criminelle.
Il faut le demander à Borhen Bsaïes et à tous ceux qui pensent comme lui !
En termes de misogynie insultante, Bsaïes n’est pas à son premier essai. Quelques semaines auparavant, sa langue n’a pas fourché lorsque, parlant de Leila Trabelsi, l’épouse de Ben Ali, il a prétendu qu’elle est l’idole de toutes les jeunes femmes tunisiennes qui ne rêvent que de sa légende; celle de la coiffeuse qui «fait tomber» un directeur de la sûreté nationale et devient la première Dame du pays !!
Ce piètre journaleux ne réaliste-t-il pas l’horreur de cette insulte et la bassesse de ces réflexions? Les femmes tunisiennes ont chèrement payé leurs droits et continuent à se battre vaillamment contre toutes les formes de discrimination et d’avilissement de leur rôle dans la société. Comment oser tenir de tels propos?
Il faut le demander à Borhen Bsaïes et à tous ceux qui pensent comme lui!
Maintenant que Bsaïes va pouvoir essaimer ses idées dangereuses et rétrogrades à travers l’appareil d’un parti – dans la tourmente mais au pouvoir – voilà un acte supplémentaire franchi qui ne fera qu’accentuer la dérive de notre pauvre et chère Tunisie vers les abîmes et les déboires de la régression et de la dictature.
Mesdames et messieurs de Nidaa, quelle recrue !!
*Avocat à Tunis et à Genève.
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