L’exception Tunisie, ce modèle sui generis est plus que jamais menacé par des dangers internes, ceux d’un islam sauvage et d’un syndicalisme voyou, souvent associés sinon complices.
Par Farhat Othman *
Ce que vient de vivre la ville d’El-Jem et les soubresauts qui continuent dans l’Éducation nationale illustrent bien ces deux périls qui menacent la Tunisie, remettant en cause ses acquis, ruinant ses prétentions à la réussite de sa transition démocratique en inaugurant son modèle propre.
Islam sauvage
L’islam est sauvage quand il prétend dicter une loi intolérante niant le principe de liberté que consacre la religion. C’est en fait un faux islam, un anté-islam, et ceux qui s’en réclament bafouent la religion musulmane, la vraie.
C’est le cas des protestataires d’El-Jem qui contestent une décision de justice consacrant la liberté du commerce, sacrée en islam, perturbant l’ordre public, interrompant le trafic ferroviaire, imposant leur loi de voyou.
De quoi s’agit-il ? Du droit pour un commerçant de vendre de l’alcool. Depuis quand le commerce d’alcool est-il interdit en islam authentique? Qu’on proteste contre l’ivresse sur la voie publique peut se comprendre, car la religion la prohibe, mais qu’on s’attaque à la liberté de commercer l’alcool et le boire, cela est une violation caractérisée de l’islam bien compris.
Le plus condamnable dans l’affaire est assurément la complicité des supposées élites qui n’osent pas dire le vrai sur la question en reconnaissant que l’alcool est bien licite en islam. Pourtant, c’est leur devoir, plutôt que d’encourager en douce ceux qui ont intérêt à se réclamer de la religion pour le service de leurs propres intérêts.
Ainsi, au lieu d’appeler à calmer les esprits en recourant à la fermeture du débit en question, ce qui revient à commettre une illégalité, le débit bénéficiant d’une autorisation administrative confirmée par une décision judiciaire, on devait plutôt se prononcer sur la licéité de l’alcool en islam et appeler à s’y conformer.
C’est avec la liberté totale de vente et de commerce des boissons alcoolisées que le vrai musulman sera mis à l’épreuve : il boit ou il ne boit pas; et s’il boit, il le fait sobrement sans s’enivrer, et surtout sans le faire au moment de faire la prière. C’est cela le vrai islam et non l’image sauvage qu’on en donne.
Aussi, si le parti se réclamant de la religion n’arrête pas de jouer avec le feu, encourageant en sous-main une telle sauvagerie dans la lecture de notre foi tolérante et paisible, on finira par tuer dans l’œuf la promesse du renouveau tunisien.
Syndicalisme voyou
Un tel péril est déjà assez avancé dans le domaine de l’éducation, vivier de l’avenir avec une jeunesse sacrifiée aujourd’hui sur l’autel des querelles idéologiques. Le plus grave est que cela est l’oeuvre d’un syndicalisme en activité dans le secteur, ayant renié ses valeurs, se comportant en voyou.
Car le syndicalisme voyou existe bel et bien dans le monde, y compris les pays développés. L’expression n’est d’ailleurs pas de moi; elle est celle de la Commission Charbonneau au Canada ayant dénoncé des dérives syndicales. Un ouvrage publié par un syndicaliste canadien racontant son militantisme en porte même le titre, l’ouvrage s’intitulant ‘‘Syndicalistes ou voyous’’?
Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas ici d’insulter l’esprit syndical, loin de là ! Il s’agit d’en défendre l’esprit en dénonçant les dérives de certains activistes idéologues. Il ne s’agit surtout pas de s’attaquer à des personnes, mais de mettre à l’index la stratégie qu’ils incarnent, celle qui consiste à dicter à un État affaibli sa loi pour imposer une orientation idéologique.
Car c’est de cela qu’il s’agit : c’est moins la personne du ministre de l’Éducation que son action, moins ses erreurs (qui n’en fait pas?) que ses réussites. Aussi crie-t-on à la dignité de l’enseignant, car le ministre a justement pointé des indignités et cherché à en toiletter son ministère.
Est-ce manquer de respect à l’éducateur que de lui rappeler son devoir de donner l’exemple? Est-ce minimiser son rôle éducatif que de relever les insuffisances actuelles du corps enseignant, souvent moins savant que ceux dont il a la charge en un monde où le savoir ne se possède plus, étant à la portée de tous. N’a-t-on pas parlé depuis longtemps de la Docte ignorance, le vrai savant étant l’ignorant qui continue à apprendre.
C’est pour avoir dit cela que le ministre est dans le collimateur de ses détracteurs, supposés faire du syndicalisme quand ils ne font que du voyeurisme sinon du «voyourisme» ou voyoucratie. Ils entendent monter qu’ils sont les plus forts et dispensent pour cela d’appuis dans la classe politique.
À ces forces de l’ombre, il importe de dire haut et fort : arrêtez votre manège ! Le syndicalisme se souciant de l’intérêt des premiers concernés par leurs actions; eh bien, ce sont moins les éducateurs que les élèves, car sans ceux-ci, il n’y a pas d’éducateurs. Que ces derniers veillent au respect de leurs élèves avant les leurs, et ils seront des syndicalistes authentiques et non des voyous !
Un sursaut éthique est nécessaire
Rappelons, pour finir, que nous utilisons le terme voyou dans son sens étymologique dérivant du latin via qui veut dire voie. C’est celui qui enfreint la loi et traîne dans la rue ou, comme le font nos syndicalistes de l’Éducation, enfreint la loi en livrant nos enfants à la rue au lieu de les retenir dans leurs écoles et lycées pour étudier, édifier leur avenir et celui du pays !
Aujourd’hui, qu’on le veille ou non, le pays est sous la férule du parti Ennahdha qui a réussi, durant ses années au pouvoir du temps de la troïka, l’ancienne coalition gouvernementale dominée par le parti islamiste, à noyauter les services et les institutions de l’État de sorte qu’il les contrôle d’une manière ou d’une autre.
Aussi, c’est de l’éthique du parti et de ses dirigeants que dépendront l’évolution des choses et l’assainissement ou l’aggravation de la situation en Tunisie. Il est, par conséquent, impératif que le parti Ennahdha arrête son machiavélique double jeu.
Comme pour l’alcool, il doit tancer ses boutefeux ou sympathisants syndicalistes, les invitant à se concentrer sur les intérêts des enfants qui ont vocation à ne pas être les victimes sacrificielles des luttes idéologiques. L’enseignement, pour redevenir de qualité, n’a ni à être islamique ni laïque, il doit juste être qualité qu’on doit chercher là où elle se trouve. Sans parti pris idéologique.
Aussi, nous ne partageons l’avis, dans une récente tribune, Néjib Chebbi invitant le ministre de l’Éducation nationale à démissionner, présentant cela comme la seule solution possible. Nous dirons que cela revient à encourager Ennahdha dans son mauvais rôle actuel.
La seule solution pour sortir de l’impasse actuelle, aussi bien dans l’Éducation que dans tous les autres secteurs de la vie du pays, est que le parti Ennahdha en arrête avec sa duplicité et ose enfin pratiquer honnêtement la politique en faisant ce qu’il dit et en disant ce qu’il fait, avec honnêteté. Son référentiel islamique le lui commande.
* Ancien diplomate, auteur de ‘‘L’Exception Tunisie’’ (éd. Arabesques, Tunis 2017).
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