La Première ministre tunisienne Najla Bouden a été limogée sans explication mardi 1er août 2023 par le président Kaïs Saïed. Quelles sont les raisons et quels sont les risques pour un pays surendetté qui sollicite l’aide étrangère ?
Le président Saïed était mécontent, selon les médias, de sa gestion de la pénurie de farine, et donc de pain, dans les boulangeries subventionnées. «Le gouvernement est un jeu de fusibles, l’important pour le président, c’est que rien ne soit jamais de sa faute», explique à l’AFP l’essayiste Hatem Nafti, dénonçant «un régime qui vit de boucs émissaires : juges, prisonniers d’opinion et dernièrement migrants subsahariens.»
Selon les économistes, la pénurie de baguettes subventionnées est due à une pénurie d’approvisionnement en céréales car les fournisseurs ne font plus de crédit à la Tunisie, endettée à hauteur de 80% de son PIB.
Depuis les années 1970, l’État a centralisé l’acquisition de nombreux produits de base (farine, huile, sucre, lait, essence) afin de les remettre sur le marché à des prix abordables. Selon Nafti, Bouden, nommée en octobre 2021, était devenue «très impopulaire dans l’entourage du président» et même dans l’opposition car elle était simplement considérée comme une «vitrine rassurante pour les Occidentaux». Face à la crise du pain et à la dégradation de l’économie, «curieusement ce sont le gouvernement et l’opposition qui font les frais de la colère populaire alors que le régime est hyper-présidentiel», estime le politologue Youssef Cherif de Columbia Global Center. Changer de Premier ministre pourrait servir à «montrer que le président est à l’écoute des revendications populaires», a-t-il déclaré.
Élu démocratiquement en octobre 2019, Saied s’est octroyé tous les pouvoirs le 25 juillet 2021 et gouverne par décret. Depuis ce coup d’État, il a déjà limogé une demi-douzaine de ministres.
Quelles sont les intentions de Kaïs Saïed ? Certains experts ont prévu la nomination d’un profil politique pour aider le président à préparer les élections présidentielles de l’automne 2024. Mais le nouveau chef du gouvernement Ahmed Hachani est un ancien cadre de la Banque centrale à la retraite. «Son nom et ses antécédents n’ont pas d’importance. Il n’est là que pour mettre en œuvre la volonté du président», selon Nafti. «Saïed ne croit pas à l’indépendance du gouvernement ni des ministres», souligne le politologue Slaheddine Jourchi. Il est probable, selon Cherif, que «les ministères souverains ne seront pas concernés et que le remaniement sera limité aux ministres qui ont eu des problèmes ces derniers mois. Le ministre de l’Economie Samir Saïed, en pointe des pourparlers avec le FMI sur un nouveau crédit de 2 milliards de dollars, pourrait figurer sur la liste». «Avec Kaïs Saïed, il est sur deux lignes inconciliables, ce serait logique», souligne Nafti.
Quelles sont les conséquences internationales ? Difficile d’imaginer une poursuite des discussions avec le FMI, que Saïed conteste en proposant «un nouveau cadre financier mondial». Des centaines d’entreprises publiques endettées, deux mesures proposées par le gouvernement Bouden en échange du prêt sont rejetées par le président Saïed qui dit qu’il cherche des financements ailleurs. «Cela va dans le sens de sa rhétorique tiers-mondiste et populiste et contribue à consolider sa popularité. Il y parviendra avec l’aide des Européens et de certains pays arabes, comme l’Arabie saoudite qui a récemment annoncé un prêt et un don de 500 millions de dollars ?», ajoute le chercheur.
Mi-juillet, l’Union Européenne a conclu un «partenariat stratégique» avec Tunis, qui prévoit le versement de 255 millions d’euros cette année, dont 150 millions en contribution directe au budget. Bruxelles pourrait également prévoir à l’avenir une «aide macro-financière» de 900 millions d’euros, qui devrait être conditionnée à des réformes politiques et au respect des droits de l’homme qui ont régressé en Tunisie, selon les ONG.
«Ce qui compte le plus pour l’Europe, c’est que Kaïs Saïed continue de protéger ses frontières et de retenir les migrants subsahariens», explique Nafti. Cette aide, ainsi que les recettes touristiques et les envois de la diaspora, «donneront un répit aux finances publiques jusqu’à l’hiver», selon Cherif, mais «d’autres fonds seront nécessaires pour l’avenir» et le risque de «cessation de paiement continuera d’être une option».
Traduit de l’italien.
Source : ANSAmed.
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