Beaucoup de Tunisiens continuent de soutenir le président Kaïs Saïed, mais ils ne peuvent s’empêcher de constater que, malgré la bonne volonté qui l’anime et la sincérité qu’on lui accorde volontiers, il peine à inverser la tendance dans une Tunisie malade et qui continue de sombrer dans la crise, sans aucune lueur à l’horizon. Où se situe le hiatus ?
Par Hssan Briki
Dans un système politique équilibré, les rôles sont clairement définis : les médias informent et critiquent; le pouvoir exécutif élabore et met en œuvre des solutions aux problèmes; et l’opposition s’oppose et propose des alternatives aux actions du gouvernement.
Or, certains analystes estiment que le président Kaïs Saïed a perturbé cet équilibre en se concentrant davantage sur les commentaires et les critiques envers l’administration dont il a la charge plutôt que sur la mise en œuvre de solutions concrètes, endossant plutôt le costume du chef de l’opposition que celui du chef d’Etat. Situation rare sinon inédite dans l’histoire des démocraties, si l’on peut encore classer la Tunisie parmi les pays démocratiques.
Parler n’est pas agir
Très souvent, le chef de l’Etat, qui accapare aujourd’hui plus de pouvoirs que n’en ont jamais eus tous ses prédécesseurs, y compris au temps de la monarchie, semble préférer le rôle du chroniqueur à celui de chef de l’exécutif censé agir concrètement pour résoudre les problèmes du pays. Il se limite à faire de longs constats parfois sans lien avec le problème et à critiquer l’existant, sans apporter de solutions tangibles, tout en attribuant la responsabilité de tout ce qui ne va pas dans le pays à des ombres qui s’agitent dans les chambres noires et qui complotent contre l’Etat, et l’Etat, bien entendu, c’est lui.
En effet, les communiqués présidentiels rendant compte de ses rencontres avec les membres du gouvernement portent sur les questions cruciales d’intérêt public. Parmi ces questions souvent évoqués et jamais vraiment solutionnés, la hausse des prix, le gaspillage des deniers publics, la lutte contre la spéculation, la corruption et la contrebande, etc. Les déclarations présidentielles sont toujours menaçantes et empreintes de fermeté, mais elles sont rarement suivies de décisions concrètes dont les résultats ne tardent pas à être perçus par les citoyens, de sorte que la résolution des problèmes est toujours reportée aux calendes grecques.
Résultats : les spéculateurs continuent de spéculer; les prix poursuivent leur envol; les pénuries se multiplient et touchent de plus en plus de secteurs vitaux; la corruption n’a jamais été aussi prospère; le secteur du phosphate peine à revenir à ses niveaux de production d’avant 2011; les entreprises communautaires (néo-soviétiques), projet du président dont il attend qu’il créera de l’emploi et de la croissance, fait du surplace et les quelques dizaines d’entreprises créées sous cette bannière peinent à exister; et, last but not least, malgré la création d’une commission ad-hoc chargée de récupérer, dans un délai de six mois, l’argent soi-disant spolié au peuple (13,5 milliards de dinars détournés par 460 hommes d’affaires, selon des chiffres avancés par le président lui-même), on peut parier qu’aucun dinar ne sera vraiment récupéré à la fin du premier mandat de Saïed, fin 2024, sauf surprise du chef.
Les bâtons dans les roues
Bien sûr, en accédant au pouvoir fin 2019, le président a trouvé un pays exsangue et il a dû guerroyer pendant 19 mois avant de retourner la situation en sa faveur et de prendre en main la totalité du pouvoir, le 25 juillet 2021, mais depuis cette date, qu’est-ce qui a vraiment changé dans le pays ?
A vrai dire, pas grand-chose. Kaïs Saïed a continué à renforcer sa mainmise sur tous les rouages de l’Etat, marginalisant ses opposants, dont beaucoup croupissent en prison, et créant un immense vide politique autour de lui, mais le pays a continué à s’enfoncer dans la crise, les problèmes s’aggravant et s’additionnant les uns aux autres pour créer une situation jamais connue auparavant.
Les partisans du président de la république ne cessent de répéter qu’il a été empêché d’avancer par de supposés «comploteurs» qui lui mettent le bâton dans les roues, thèse qu’il a développée lui-même et qu’il nous sert dans pratiquement toutes ses déclarations, mais qui ne résiste pas à l’épreuve des faits, lesquels montrent que le président parle beaucoup mais ses paroles restent sans effet sur les réalités qu’il dénonce et qu’il prétend vouloir changer.
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