Dans l’atmosphère étouffante de lourdeur, qui règne aujourd’hui en Tunisie, on ne peut faire l’économie de la clarté pour que les critiques souvent adressées par le président de la république aux hauts responsables de l’Etat et de l’administration publique ne se transforment pas en une chasse aux sorcières qui finira par détruire le peu de crédibilité et de confiance qui reste encore dans les institutions et les entreprises d’Etat.
Par Imed Bahri
La présidence de la république n’a pas cru devoir justifier la décision de limoger par décret présidentiel le PDG de la Société tunisienne de gazoduc trans-tunisien (Sotugat) et de la Société de service du gazoduc trans-tunisien (Sergaz) Moncef Mattoussi, en poste depuis le 9 juillet 2020.
C’est devenu un une méthode de gouvernement : quand un secteur présente des difficultés, on limoge les responsables qui en ont la charge. La ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Energie en a déjà fait l’amère expérience il y a plusieurs mois, sans être remplacée à ce jour, tout comme le ministre des Affaires sociales et de nombreux gouverneurs, PDG et DG.
Des fusibles qui sautent, et après ?
Le communiqué publié vendredi 1er septembre 2023 n’explique pas les raisons du limogeage de M. Mattoussi, qui a fait l’essentiel de sa carrière dans le secteur de l’énergie, puisqu’il était, auparavant, PDG de la de la Compagnie des transports par pipelines au Sahara (Trapsa) et antérieurement PDG de la Société nationale de distribution des pétroles (SNDP-Agil) et de l’Entreprise tunisienne des activités pétrolières (Etap). Il est tout sauf un novice, et on ne peut douter de son expérience du secteur de l’énergie et, plus généralement, de la gestion des affaires publiques.
Pourquoi a-t-il sauté, et de cette manière brutale ? Pour l’instant, on en est réduit à supputer en attendant d’en savoir plus.
L’agence officielle Tap s’est contentée de rappeler que le gazoduc trans-tunisien assure l’approvisionnement en gaz naturel (le gaz algérien représente entre la redevance et les achats environ 65% de la consommation nationale) et mobilise des ressources pour le budget de l’État (524 millions dinars en 2018). Elle rappelle aussi que la Tunisie a conclu avec la partie italienne, à laquelle l’essentiel du gaz algérien est destiné, l’extension de l’exploitation du gazoduc trans-tunisien pour une période de 10 ans approuvé par Loi n° 2019-63, soulignant que la partie italienne supporte le coût des investissements, de la maintenance et du budget des entreprises (Sotugat et Sergaz) et la création de 460 nouveaux postes d’emploi y compris la société de service PMS.
Ya-t-il eu un retard dans le lancement des travaux d’extension du gazoduc en question ou des récriminations de la part de l’un ou des deux principaux partenaires : l’Algérie et l’Italie, ou simplement un retard dans le paiement du gaz importé d’Algérie et dont M. Mattoussi assumerait seul la responsabilité ? Lui reproche-t-on une mauvaise gestion, un laisser-aller ou pire encore, des faits de corruption ? Auquel cas, l’opinion publique est en droit de savoir et des explications officielles seraient les bienvenues, car cette manière de faire sauter à chaque fois des fusibles et de sacrifier des commis de l’Etat sur l’autel d’ambitions électorales, en se défaussant sur eux de notre incompétence et de nos turpitudes et en les donnant en pâture à une opinion publique criant vengeance, cela ne réglera pas les problèmes mais les compliquera davantage en faisant régner un climat de haine, de peur et de suspicion généralisée dont les réseaux sociaux pullulent depuis quelque temps, tout le monde vouant tout le monde aux gémonies, dans une guerre civile qui ne dit pas son nom.
L’Etat donné en pâture
Dans cette atmosphère étouffante de lourdeur, on ne peut faire l’économie de la clarté pour que les critiques souvent adressées par le président de la république aux hauts responsables de l’Etat et de l’administration publique, accusés de sabotage, d’assujettissement aux lobbies et aux groupes d’intérêt voire de corruption, ne se transforment pas en une chasse aux sorcières qui finira par détruire le peu de crédibilité et de confiance qui reste encore dans les institutions et les entreprises d’Etat.
Cette démarche est vraiment suicidaire, car elle détruit plus vite qu’elle ne construit, puisque les responsables limogés ne sont pas souvent remplacés et leurs postes restent longtemps vacants. Les décisions de limogeage étant d’ailleurs souvent prises sous l’emprise de la colère, sur des coups de tête et sans qu’on en pèse réellement les conséquences…
A bon entendeur…
Donnez votre avis