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Bloc-notes : Sortir de la soft guerre civile en Tunisie

Temimi remue de vieilles rengaines pour décrédibiliser Bourguiba : pour le compte de qui ? 

D’un côté, les Tunisiens s’étripent sur les conditions de la sortie du protectorat, et de l’autre, ils s’amusent à organiser des élections municipales n’intéressant pas le peuple qui a, d’abord, besoin de retrouver ses droits et libertés toujours niés.

Par Farhat Othman *

Il est en Tunisie des forces qui agissent pour que dure la situation actuelle de faiblesse de l’État afin de mieux servir leurs intérêts à l’abri de la législation de la dictature toujours en vigueur. C’est dans ce but qu’on organise les élections municipales malgré le maintien de cette législation nationale scélérate.
Un tel état instaure dans le pays une sournoise guerre civile qui, pour être soft, n’est pas moins périlleuse, divisant de plus en plus le peuple. Elle occulte les questions principales, comme la réforme législative impérative, par des questions de détail et accessoires faussement pertinentes.

Polémique anachronique

C’est dans ce cadre qu’entre en ligne la mauvaise polémique autour de la question des conditions d’indépendance de la Tunisie ayant impliqué des voix d’habitude clairvoyantes comme celle du directeur de la Fondation Temimi. Aussi l’a-t-on vu s’interroger sur les raisons véritables de l’occultation de l’acte d’indépendance par Bourguiba et ses fidèles, assurant que la Tunisie a cédé une part de sa souveraineté sur les richesses de son sous-sol, outre la maîtrise de sa langue et donc sa culture, ainsi que sa sécurité civile et militaire. Il est même allé jusqu’à contester la légalité de la présence onusienne de la Tunisie, assurant l’existence d’agendas servant des visées précises contraires à l’intérêt national.

Si M. Temimi a raison, c’est juste sur ce dernier point; mais les agendas et les forces dont il parle ne sont pas nécessairement étrangers, concernant aussi des acteurs nationaux sans lesquels aucune manœuvre extérieure n’aurait la moindre chance de réussir. Et de tels complices objectifs ne se recrutent pas seulement dans un camp ou un bord idéologique, étant unis par une même obédience mercantiliste qui solidement les lie aux intérêts du capital international.

Certes, M. Temimi a raison aussi de regretter l’absence d’objectivité dans le traitement des éléments sensibles relatifs à l’acte d’indépendance de la Tunisie, déplorant la confusion extrême qui marque les esprits de nos jours en Tunisie à ce sujet. Ce faisant, il ne fait qu’accabler un camp (celui des artisans de l’indépendance) au profit d’un autre (celui des profiteurs du coup du peuple, la dite révolution du jasmin) et qui n’est pas indemne lui-même de reproches. Avec cette différence, en plus, que le premier a servi, malgré tout, son pays et son unité, tandis que le second les dessert, agissant pour la désunion du peuple en suscitant le doute sur le patriotisme des artisans de l’indépendance et leur sens de l’État.

Le pis est qu’on tombe dans le travers de l’anachronisme, jugeant les faits passés avec les yeux d’aujourd’hui. En effet, pouvait-on espérer mieux que ce que la Tunisie a obtenu à l’époque de l’indépendance? Et quel intérêt, autre que théorique, que de s’interroger sur la légalité de l’adhésion de la Tunisie à l’Onu du moment qu’elle est effective depuis si longtemps ? N’est-ce pas une flagrante preuve d’irréalisme en plus de l’anachronisme?

Confusion axiologique

Pour le moins, cela dénote d’une terrible confusion des valeurs touchant tous les domaines de la vie politique, et tous les acteurs, y compris ceux qui se veulent être de bonne foi, dont M. Temimi. Ainsi se retrouve-t-il, de fait, complice objectif des acteurs de cette soft guerre civile tunisienne. Une telle fausse polémique ne fait que détourner l’attention des menées actuelles d’atteinte à la souveraineté nationale qui est le maintien de l’ordre du régime déchu.

Soyons clairs ! La première des souverainetés est d’abord celle de la loi qui doit être juste et égale pour tous. Or, il n’en est toujours rien alors que, d’un côté, on s’étripe sur les conditions de la sortie du protectorat, et de l’autre, on s’amuse à organiser des élections n’intéressant pas le peuple qui a, d’abord, besoin de retrouver ses droits et libertés toujours niés.

Ainsi, on a encore des juges gardant la mentalité de l’ancien régime et qui osent appliquer des lois devenues illégales, nulles de nullité absolue, au lieu de se retenir d’en user pour forcer à leur rapide abolition.

En face, d’autres magistrats tiennent aussi à de telles lois pour d’autres raisons, idéologiques cette fois-ci, se prétendant islamiques, mais ne servant que leurs visées du maintien de la dictature en Tunisie, devenue morale et islamiste.

Cela se fait dans un pays où le commerce ne s’est jamais mieux porté, les supermarchés, les cafés, en un mot les affaires s’y multipliant. Le produit turc est roi et la fête bat son plein, y compris des manifestations pour les gays, un festival par ici, une rencontre par là. Et c’est la dolce vita pour les profiteurs en Tunisie, anciens et nouveaux !

Regardons donc à quel point ces nouveaux riches, pour asseoir leurs privilèges et consolider leurs immunités, commercent de tout, y compris du sacré, comme les anciens profiteurs du pouvoir !

Ghannouchi ne s’est-il pas amnistié par un subterfuge juridique alors qu’on oublie les vraies victimes, comme ces jeunes dont l’avenir a été détruit pour un joint, à cause de la loi scélérate du dictateur sur le cannabis, ou ces gays innocents martyrisés par une loi coloniale toujours en vigueur?

Ne l’oublions jamais ! L’ordre de la dictature est toujours en place; on ne tient pas à le réformer, y compris en appliquant des lois devenues illégales, ayant été annulées par la constitution. Comment dans ces conditions demander le respect de la loi à qui est exclu de sa protection?

Condition géostratégique

Outre la souveraineté d’une légalité enfin toilettée de sa scélératesse, peut-on raisonnablement, aujourd’hui, faire abstraction de la condition géostratégique de la Tunisie et des contraintes de l’interdépendance mondialisée qu’elle subit?

Ce qui se passe dans le pays est l’exacte réplique de ce qui se fait dans le monde. Peut-on ne pas se soucier de la cause des drames, comme de ce désordre mondial, et ne concentrer l’attention que sur les effets, insignifiants qui plus est, dont le traitement est sans intérêt ni conséquence sur les causes de la situation d’ensemble qu’on tient à garder? Car elle consacre l’ordre international actuel, devenu un véritable désordre, mais qui est celui de certains intérêts d’Occident et d’Orient qui ne sont pas prêts à céder la moindre once de leurs privilèges.

Aussi, comme on le voit, tout est permis en Tunisie au nom d’un libéralisme dévergondé. Ainsi, on s’évertue à multiplier les actions supposées célébrer la liberté et on voit les fêtes de toutes sortes; mais cela ne concerne qu’une minorité et se tient dans un cadre d’injustice sociale et de répression légale dont on ne veut pas se soucier.

Ce qui revient en quelque sorte à se désintéresser de la faim dont souffre un peuple privé de ses droits et de ses libertés, notamment dans sa vie privée, pour lui donner juste des bonbons. Ne dévalue-t-on pas le dinar dans le cadre d’une stratégie concertée au nom des intérêts du grand capital sans se soucier de la paupérisation de plus en plus grande des masses ?

Il est temps d’en finir avec une telle inconscience qu’encourage un faux libéralisme ayant oublié ses fondamentaux, et qui ne se soucie que de ses affaires, et devenu d’autant plus sauvage qu’il s’est allié à son alter ego islamiste dans cette alliance capitalislamiste sauvage. Et il nous faut tenir compte de la condition géostratégique de la Tunisie qui en fait un pan essentiel de la stratégie globale d’Occident en Méditerranée.

S’il n’y a pas moyen d’échapper à pareille contrainte ontologique, il n’y a aucune fatalité pour en faire les frais. Car il suffit de tirer la conséquence de la mondialisation, du positionnement de la Tunisie et du diktat des intérêts occidentaux pour servir ses intérêts propres. Cela suppose d’agir à la transformation d’une telle condition subie de dépendance informelle en une condition choisie, moins de dépendance formelle que d’adhésion en bonne et due forme en tant que membre de ce concert d’Occident incontournable. Et c’est à commencer avec l’Union européenne, et même l’Otan pourquoi pas ?

Voilà comment la Tunisie assurera véritablement sa souveraineté et non celle, illusoire, des slogans creux et des mensonges du faux-semblant de souveraineté et de libre arbitre ! C’est aussi cela qui sortira le pays de l’impasse où il se trouve de la soft guerre civile qui le secoue et le secouera encore plus gravement tant qu’il ne sera pas passé de l’état actuel de simili-droit à l’État de droit véritable. Ce qui ne saurait se faire sans articulation structurelle au système légal qui marche, voisin qui plus est, qui est celui de l’Europe.

C’est ce qui lui assurera l’aide absolument nécessaire d’un Occident aujourd’hui arrogant et qui profite de la Tunisie bien plus qu’elle ne profite de lui. Faut-il avoir le courage d’oser aller dans ce sens. Que la Tunisie devienne donc membre actif de son horizon occidental fatal et non ce simple abacule passif qu’elle est aujourd’hui dans la mosaïque du désordre mondial !

* Ancien diplomate, écrivain.

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