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Bloc-notes : En finir avec la violence et l’État de non-droit en Tunisie

L’articulation de la Tunisie au système de droit européen est impérative pour réussir sa démocratie et vaincre la violence appelée à durer, qu’illustre le dernier crime terroriste sur fond de polémique sur la fiabilité des institutions.

Par Farhat Othman *

La Tunisie dépend déjà informellement de l’Europe et les intérêts de cette dernière y sont immenses; aussi l’adhésion formelle est tout autant bénéfice, sinon plus, pour l’Europe. D’ailleurs, celle-ci, que cela soit à travers l’Union ou le Conseil, ne lésine pas sur les moyens financiers pour soutenir les instances indépendantes supposées incarner la démocratie.

Pourtant, ces dernières ne le seront que dans le cadre d’une législation enfin toilettée de ses obsolescences scélérates, et ce dans un système où le droit s’impose à tous et ne relève plus du similidroit auquel on a affaire aujourd’hui. On le réalise bien à voir nos politiques simuler le respect de la règle de droit tout en la violant allègrement, comme c’est le cas avec l’Instance Vérité et Dignité (IVD) ou ces machiavéliques manœuvres tendant à ne pas installer la cour constitutionnelle.

Le dernier attentat, aussi artisanal et primitif qu’il a pu l’être, l’a de plus démontré amplement : la violence physique, mais surtout morale, est en passe de s’installer durablement en notre pays. Il n’est ni innocent ni sans conséquence que d’aucuns, dissimulant à peine des intentions malignes, évoquent le risque (certains parlent même de menace) de bain de sang dans le pays; ce qui finit bien par donner réalité aux pires scénarios voulus ou pas, conscients ou inconscients.

Quel antidote efficace contre la violence ?

Il est bien vain d’appeler à plus de lois répressives comme celle à laquelle a fait allusion le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour une illusoire protection des sécuritaires.

En effet, la meilleure protection des vaillants serviteurs de l’ordre dans la cité est la paix publique, donc la paix dans les esprits; ce que ne génère que la confiance à cultiver entre les sécuritaires et la population.

Or, c’est loin d’être le cas avec les lois liberticides actuelles, héritage de la dictature et même du protectorat, brimant les libertés basiques, s’immisçant même, honteusement, dans la vie intime des gens, suscitant défiance et rancœur, donc haine et violence.

Doit-on rappeler encore que la violence est multiple, qu’elle n’est pas seulement cette forme basique physique, étant d’abord morale et mentale? Les propos de Dom Helder Pessoa Câmara, archevêque de ce Brésil qui vient de renier sa pourtant jeune et prometteuse démocratie avec l’élection d’un président d’extrême droite, sont d’autant plus d’actualité qu’ils démontrent à quel point la démocratie reste fragile face à l’offensive mondiale des dictatures de tout poil.

L’archevêque d’Olinda et Récife, dans le Nordeste, plus pauvre région du Brésil, disait ceci : «Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue.»

C’est bien avec des lois justes qu’on luttera le mieux contre la violence et sa pire forme qu’est le terrorisme. Il est illusoire de croire qu’on viendra à bout — sans la réforme législative d’ampleur, impérative plus que jamais — d’un terrorisme d’abord mental, se nourrissant de la dictature et du dogmatisme servis par les lois scélérates toujours en vigueur, au service de leurs nouveaux profiteurs.

Il nous faut donc nous convaincre enfin que la première violence, la plus terrible, est celle de la loi liberticide, car se voulant légitime et morale en plus, se prétendant conforme à la loi, aux traditions du pays.
Voilà la cause de nos malheurs avant tout le reste. Elle impose d’agir à toiletter notre législation de ses scories, ces textes antiques et obsolètes, afin d’espérer assainir quelque peu la situation explosive dans le pays.

Or, que voit-on au parlement : des actions pour plus de lois liberticides ! Même les députés supposés démocrates et humanistes s’y mettent, jouant le jeu des dogmatiques intégristes, de droite comme de gauche.

Articuler la Tunisie à un système de droit

Quoi qu’on dise, la Tunisie est encore soumise à l’ordre ancien, non seulement dans ses lois et les habitudes de ses dirigeants, mais aussi dans tout son système, ce qui est évident dans les mentalités et les réflexes générés par la longue soumission à l’autoritarisme.

Aussi, le pays ne saurait seul s’en sortir; sa transition démocratique ne réussira point si elle n’est pas articulée à un système de doit qui marche et qui viendra l’épauler spectaculairement pour avoir quelque effet sur l’imaginaire populaire et l’inconscient collectif. Ce qui va au-delà de ce qui se fait actuellement, se limitant aux aspects formels des institutions, négligeant le cadre législatif où elles se meuvent. Ce qui revient à placer la charrue avant les bœufs.

Nombreux, en une Tunisie dont l’esprit populaire est pastoral, nos agriculteurs le savent bien : une plante jeune, pour ne pas mourir, pousser mieux, a besoin d’être soutenue par un pieu, en étant adossée à une plante mûre. Notre pays a donc besoin d’une palée, d’une sorte de pieu fondation, cette pièce de métal ou de béton armé formant le fondement de l’ouvrage de construction. Cela ne saurait qu’être ce système de droit à sa porte, l’Union européenne dont elle relève nolens volens.

L’ambassadeur de l’Union européenne (UE), Patrice Bergamini, l’a d’ailleurs rappelé : l’UE exprime son «entière solidarité avec la Tunisie et tout son peuple pour assurer le succès de la jeune démocratie tunisienne et l’aider à relever les nombreux défis auxquels elle fait face, y compris dans sa lutte contre le terrorisme». Il a aussi cité les propos du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker qui, lors de sa récente visite, a affirmé que «l’Union européenne — ses États membres et ses institutions — se tient résolument aux côtés de la Tunisie dans sa marche vers la démocratie.»

À nos amis d’Europe, il nous faut alors dire, de nouveau, que la seule solidarité de l’UE qui soit utile est de transformer la dépendance informelle de la Tunisie à l’UE en une dépendance formelle, et ce en l’invitant à y adhérer. Tout le reste n’est que paroles vides de sens ou de portée; au mieux un simple cautère sur jambe de bois.

Pour revenir au dernier attentat, au-delà des manipulations qui ont pu être à l’origine de l’acte fatal, qu’est-ce qui a amené une jeune femme diplômée à se suicider si ce n’est son désespoir de vivre normalement sa vie; ce qui en a fait une proie facile à ce lavage de cerveau dont elle a fait l’objet sans nul doute ?

Imaginons un instant qu’elle ait eu la possibilité, non seulement de travailler, enseigner la belle langue de Shakespeare, son esprit et ses valeurs, mais aussi de voyager, circuler librement; est-ce que cela n’aurait pas agi sur elle positivement, ouvrant son horizon mental, la préservant de la désespérance qui en a fait de la munition à la disposition des haineux et des terroristes mentaux, une chair à bombe ?

C’est contre un tel terrorisme mental que l’adhésion de la Tunisie militera, car elle aura pour principale conséquence de déverrouiller les mentalités en libérant les mouvements humains, surtout celui des jeunes, avec un libre mouvement sans contraintes sous visa biométrique de circulation, parfait outil sécurisé, respectueux à la fois des droits de l’homme et des réquisits sécuritaires.

Assurément, c’est cela qui aidera à la mise à niveau nécessaire des lois du pays, ayant le plus grand besoin d’un toilettage radical afin d’être au diapason des normes humanistes universelles. Car cela est impossible sans révolution mentale devant commencer par l’enracinement de la Tunisie, sur de saines bases, en son milieu naturel qu’est la Méditerranée occidentale, celle de la solidarité et des droits humains, dont la première manifestation aujourd’hui, étant la plus visible, ne peut être que la libre circulation humaine.

* Ancien diplomate et écrivain.

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