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Remaniement : Habib Essid fait ses emplettes

Habib-Essid-chez-Rached-Ghannouchi

Habib Essid joue un petit rôle mais fait un grand mal au pays en voulant s’attaquer avec les mêmes armes aux défis d’une époque troublée et incertaine.

Par Yassine Essid

Habib Essid s’en va de bonne heure faire ses courses en vue du prochain remaniement ministériel «imminent» comme l’orage est imminent dans les nuages, sans que l’on voie  clairement comment un tel événement est sur le point de se concrétiser. Son maroquin sous le bras, le Premier ministre a repris le chemin des conciliabules.

C’est que chaque fois qu’un gouvernement se retrouve à court d’idées ou de courage, pour lancer d’indispensables réformes ou améliorer le sort de ses citoyens, il recourt à des subterfuges. Parmi ces moyens permettant de se tirer d’embarras, il y a l’expédient du remaniement qui constitue une échappatoire commode pour évacuer les questions qui fâchent ainsi que les responsabilités qui gênent.

Promesses toujours renouvelées

Alors Habib Essid bat les rues, arpente la ville, reçoit les nombreux prétendants ou prétendus, lira leurs CV, multiplie les rencontres, consulte tous azimuts, accumule les entretiens,  négocie les propositions et entame le raidillon des marchandages. Il confortera certains dans leur fonction, évincera ceux dont il estime les résultats insuffisants mais gardera, parfois contre sa volonté, ceux qui ont pris goût au pouvoir. Tel Neji Jalloul, ministre de l’Education, qui déclare sans ambages que son destin politique relève exclusivement de l’autorité souveraine de Béji Caïd Essebsi et qu’il ira là où celui-ci lui demandera d’aller.

La recomposition d’un gouvernement, réalisée à travers des réaménagements partiels, sert d’abord de bilan de compétences. Elle rappelle aux titulaires de portefeuilles que dans ce domaine personne n’est protégé par une heureuse immunité qui le dispenserait d’un limogeage possible.

Certains ministres se retrouvent ainsi dans le collimateur car jugés effacés, insuffisamment doués, non recyclables, accusés d’avoir osé remettre en question des décisions économiques ou politiques du gouvernement ou ne constituent plus un poids politique autre que celui que leur confère leur appartenance à un parti dont les idées n’ont jamais valu grand-chose.

Un remaniement partiel suppose également assurer, à l’adresse de l’opinion et par des démonstrations par ailleurs factices, qu’un redressement économique et social est plus que jamais nécessaire et qu’il faudra par suite insuffler un nouvel élan décisif aux réformes en tous genres par-dessus les clivages politiques et les divergences partisanes.

Alors on recadre, on rafraîchit, on resserre pour repartir du bon pied après tant de temps et d’efforts perdus et tant d’échecs accumulés.

Enfin, le recadrage d’une équipe gouvernementale se fait sur la base d’un projet de société et non pas uniquement pour séduire une opinion publique lassée de voir des ministres archi-usés traiter sans succès les problèmes persistants. Une opinion publique découragée des paroles sans actes, dégoûtée des promesses toujours renouvelées et jamais tenues.

En affectant chacun  au poste que lui vaut sa valeur et son expérience professionnelle, comme on le prétend, les Tunisiens peuvent dormir tranquille car le pays aurait enfin un gouvernement qui possède tous les atouts pour perdurer et éviter d’être mis en danger.

Vers l’avenir le dos tourné

En matière politique, et sans l’ombre d’un remords, nous sommes passés, peut-être trop précipitamment, d’un régime de parti unique au multipartisme en croyant naïvement que des formations se revendiquant de la modernité seraient capables de gouverner dans la sérénité, la responsabilité et l’intérêt général. Mais la coalition gouvernementale, qui avait succédé à la Troïka (l’ancienne coalition dominée par Ennahdha), donna le jour à un gouvernement trop hétérogène pour constituer une alternative crédible et efficace. Cacophonie, chahut, démentis des décisions ou des dispositions prises étaient fréquents, sans parler des ministres qui sortent de leur domaine de compétence, oublient la solidarité gouvernementale, se cachent derrière des annonces approximatives et imprécises, ou simplement se prélassent avec leur titre et leurs privilèges sans jamais rien produire de significatif.

Le triste état de Nidaa Tounes, en proie depuis quelques mois à des dissensions violentes  entre ses éléments, qui a perdu ses structures hiérarchiques et n’est plus capable de traduire en actes les espoirs de celles et ceux qui avaient cru en lui, bouleverse de fond en comble un paysage politique déjà profondément fragmenté. Car les partis politiques ont tous cette fâcheuse tendance de marcher vers l’avenir le dos tourné. Ils ne contemplent que le passé et  leurs souvenirs sont tous en ressentiments. L’un veut aller sur le chemin de Bourguiba et Tahar Haddad, l’autre sur la voie des califes, un troisième sur les pas de Marx et Engels et le reste ne font qu’apporter du discrédit au politique réduit presque à l’antagonisme entre le travail et le capital. On assiste alors à une progressive migration du pouvoir vers des corps intermédiaires indépendants et autonomes. Syndicats et patronat, s’interposant entre l’individu et l’État et entendent aujourd’hui transformer la société en dehors du suffrage universel. D’où l’émergence, en dehors du champ des partis politiques conventionnels et du gouvernement qui les représente, de mouvements sociaux, de manifestations de colère incontrôlées, d’importantes mobilisations populaires, sans parler des médias, de l’internet, et de ses réseaux sociaux.

Le premier parmi les égaux

C’est ce qui explique qu’un tel remaniement soit si curieusement  suspendu à l’aval des islamistes et leur confère le statut de conciliateurs, d’associés, de partenaires ou d’arbitres souverains.

Ce fut d’ailleurs l’objet d’un déplacement de Habib Essid, en total irrespect des normes et des convenances, au siège même d’Ennahdha pour faire part à Rached Ghannouchi de ses intentions et envisager avec lui une sortie de crise par la formation d’une équipe gouvernementale de compromis qui dépasserait les clivages partisans. Une entrevue qui se ramène en réalité à deux volontés complices: l’une cherche un contrat de survie et l’autre une revanche tant attendue.

Mais ces incessants efforts d’ajustement demeureraient sans conséquence tant que la question du leadership sera occultée. Car dans un gouvernement il n’y a pas que des ministres. Il y a surtout un chef censé assurer la cohérence, maintenir la cohésion, diriger en fonction des pouvoirs qui lui sont conférés.

Or, que constatons-nous depuis un an? Une équipe hétéroclite en rupture avec le concret et des décisions ponctuelles censées constituer un gage d’efficacité. Curieusement, le Premier ministre ne semble nullement concerné par le remaniement, encore moins affecté par ses lamentables résultats. Il ose même promettre une année supplémentaire pour renverser la tendance à l’image d’un pilote incertain, qui, encore balloté par une mer orageuse, demande à son équipage si par hasard il ne voudrait pas reprendre la mer.

Habib Essid relève de cette espèce d’hommes qui ont encore le malheur de ne pas se rendre suffisamment compte des changements apportés par les événements, donne l’impression de n’avoir jamais connu la vie réelle et, bien que premier parmi les égaux, joue un petit rôle mais fait un grand mal au pays en voulant s’attaquer avec les mêmes armes aux défis d’une époque troublée et incertaine qui exige des hommes nouveaux et des énergies nouvelles.

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