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La Tunisie au Salon du livre de Genève : Les éditeurs se disent marginalisés

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Dans cette «Lettre ouverte», les éditeurs tunisiens interpellent la ministre de la Culture sur sa gestion très contestable de la participation tunisienne au Salon du livre de Genève.

Madame la ministre de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine;

Nous sommes un groupe d’éditeurs tunisiens; nous souhaitons, à l’occasion du Salon du livre de Genève, attirer votre attention sur quelques faits qui nous paraissent importants pour le secteur de l’édition en Tunisie.

La Tunisie est l’hôte d’honneur du Salon du livre de Genève (27 avril – 1er mai), avec comme thème «Les révélations de la révolution». Un stand de 650 m2 nous est offert. C’est là une occasion inédite de présenter la production éditoriale tunisienne des 5 dernières années, ses «révélations» post 14 janvier 2011, et l’évolution des contenus et des politiques éditoriales dans notre pays; l’occasion aussi pour les éditeurs tunisiens de rencontrer les collègues du nord et nouer des collaborations éditoriales porteuses d’avenir.

Au salon du livre de Genève, il s’agira de livres; de livres produits essentiellement par les éditeurs privés, comme cela est le cas dans toute démocratie. Et la Tunisie a beaucoup à dire et à présenter aux lecteurs et aux professionnels du livre en Suisse. Ils n’auront malheureusement pas la possibilité de nous entendre.

Nous apprenons en effet – par la presse – que le stand Tunisie sera essentiellement composé d’institutions officielles, et qu’une nombreuse délégation de fonctionnaires du ministère fera le déplacement. Des institutions comme la Bibliothèque nationale, le Centre national de traduction, l’Institut national du patrimoine, le Centre des musiques arabes et méditerranéennes ou l’Agence de mise en valeur du patrimoine, aussi compétentes et prestigieuses soient-elles dans leurs domaines respectifs, ne sont pourtant pas représentatives de l’édition tunisienne; on pourrait même affirmer que l’activité éditoriale, dispendieuse et incontrôlée de certaines de ces institutions, est un problème majeur de notre secteur.

Il semble, certes, que certains collègues aient été invités (lesquels? selon quels critères ?), la presse étrangère annonce même la présence de certains livres d’éditeurs tunisiens. Qui les présentera? Avec quelles informations? Est-il normal que les auteurs et les éditeurs primés lors de la dernière Foire du livre de Tunis n’aient pas été associés? Participent-ils au programme?

Quand au thème de la présence tunisienne, «Les révélations de la révolution», en quoi est-il servi par des interventions autour du centenaire de Tahar Haddad, de la «Trilogie agraire» ou encore de l’abolition de l’esclavage? Quel est le rapport au livre de conférences sur la Constitution, le Prix Nobel de la Paix, «Le cinéma tunisien à travers les temps», «La Tunisie de Paul Klee à travers les tissages», ou encore d’un atelier de céramique pour enfants?

Comment concilier le projet «Sfax, capitale culturelle arabe 2016» avec le thème de notre présence: «Révélations de la révolution»? Etonnante absence des éditeurs tunisiens, qui laisse accroire qu’ils n’ont rien à présenter de pertinent, de nouveau et d’intelligent dans le secteur où l’on nous invite, celui du livre.

L’argumentaire officiel de la participation tunisienne rappelle le désir de la Tunisie «de se démarquer des visions folkloriques mystificatrices, longtemps alimentées et véhiculées par la propagande touristique. Ce pays ne veut plus être réduit aux images splendides de ses plages, ni à son climat revigorant, et encore moins à quelques sites célèbres; il vaut certainement davantage que ces stéréotypes.» Ce à quoi nous souscrivons totalement. Nous rappelons cependant qu’il ne s’agit pas d’un salon dédié au tourisme et qu’il revenait aux auteurs et aux éditeurs de révéler ici cette autre Tunisie.

Madame la Ministre, nous déplorons que la Tunisie se présente au Salon du livre de Genève avec un profil étatiste, fait d’institutions dépendant du ministère, qui n’ont ni vocation ni qualité pour représenter l’édition tunisienne à un salon international du livre.

Nous déplorons que les éditeurs et l’union des éditeurs n’aient pas eu à l’avance connaissance du programme tunisien du Salon du livre de Genève, qu’ils ont découvert avec le public, sur le site suisse du salon.

Nous déplorons que les invités du ministère, ainsi que les «événements» prévus sur notre stand, n’aient, dans leur majorité, pas de rapport avec le livre ni avec le thème de notre présence à ce salon.

Nous déplorons que le ministère n’ait pas engagé – comme les circonstances l’imposaient – une consultation plus large du secteur du livre en Tunisie, et qu’il choisisse de gérer en interne et au profit de ses institutions, une invitation qui s’adressait à travers lui à toute l’édition tunisienne.

Madame la Ministre, cette invitation au salon du livre de Genève est une occasion exceptionnelle de faire connaitre et apprécier à sa juste valeur, sur une scène professionnelle internationale, l’énorme travail éditorial accompli depuis la révolution et durant ces 5 dernières années. Ce rendez-vous, nous le ratons; et ce n’est là que la énième illustration d’un dysfonctionnement historique du ministère de la Culture avec le secteur de l’édition.

Il ne s’agit nullement ici de vous imputer la responsabilité d’une situation qui perdure depuis des décennies. En revanche, nous vous appelons à ouvrir un «chantier livre», centré sur la question du rôle et de la place de l’éditeur dans notre pays, et des partenariats et divergences privés/publics dans l’édition tunisienne, dans la transparence et selon les règles de la concurrence loyale.

Il est temps de redonner à notre profession sa place dans la sphère culturelle publique et de définir en Tunisie une nouvelle politique du livre.

Nous espérons vivement, Madame la Ministre, que vous serez sensible à cet appel et attentive à nos préoccupations, et vous prions d’agréer l’expression de nos respectueuses salutations.

Editeurs signataires:
Nouri Abid, Med Ali, editions;
Med Salah Bettaieb, Alif;
Ashraf Azzouz, Dar Ashraf éditions;
Moncef Chebbi, Arabesques éditions;
Belgacem Belgaroui, éditions Kitabi;
Elisabeth Daldoul, Elyzad;
Riadh Ben Abderrazak, éditions Alyssa;
Nicolas Fauqué, Lalla Hadria éditions;
Karim Ben Smail, Cérès éditions;
Monia Masmoudi, Sud éditions;
Abdelaziz Belkhoja, Appolonia;
Raouf Raïssi, RMR.

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