En Tunisie, on peut mettre le gouvernement que l’on veut, qu’il soit islamiste, de droite ou de gauche, il jettera vite l’éponge face à une population d’assistés, impatients et égoïstes.
Par Mohamed Rebai *
Trois présidents et cinq premiers ministres épaulés par une armée mexicaine de députés, de ministres, de secrétaires d’Etat, de conseillers, de gouverneurs, de maires et de délégués se sont relayés durant les cinq dernières années avec des salaires mirobolants sans que le pays n’avance d’un iota, notamment sur les plans économique et social.
Un aveu d’échec
Juste après la révolte du 14 janvier 2011, la troïka, l’ancienne coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha, qui s’est vue offrir le pouvoir sur un plateau d’argent, s’est distinguée par une inertie et un laisser-aller affligeants, dont les conséquences n’ont pas tardé : montée du terrorisme islamiste et aggravation de la crise économique.
Depuis une année, un quartet de partis politiques domine l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et le gouvernement (Nidaa Tounes, Ennahdha, UPL et Afek Tounes), craquelé par les divisions et les querelles d’alliances et de désaveux mutuels. Les résultats, encore plus décevants, précipitant notre pays dans la ruine.
Au lieu de chercher les véritables causes de l’échec, on a vite trouvé un bouc émissaire en la personne du Premier ministre pour le faire démissionner et mettre en place une nouvelle coalition avec un quintet, un sextet voire plus. Le changement de discours de Caïd Essebsi (BCE) en est l’aveu.
La proposition du président de la république de former un nouveau gouvernement d’union nationale rappelle, à juste titre, une petite histoire de Joha, personnage mythique du bassin méditerranéen, qui mérite d’être rappelée ici.
Un jour, le gouverneur confia à Joha la charge de juge de son village. Sa femme, sous-estimant sa capacité, se cacha derrière le rideau de la salle du tribunal. Deux plaideurs se présentèrent. Le plaignant exposa son cas et Joha lui dit: «Tu as raison». Il écouta ensuite le défenseur et lui dit : «Tu as raison». Choquée, la femme chuchota derrière le rideau: «Idiot, ils ne peuvent pas avoir tous deux raison. Tu es le juge et tu dois décider». Sur quoi Joha se tourna vers le rideau et murmura à sa femme: «Toi aussi, tu as raison».
Les enseignements tirés de cette histoire drôle nous poussent à troquer la devise chère à BCE : «La patrie avant les partis» contre celle-ci, plus adaptée à la situation tunisienne: «Tous les partis ont raison» ! Notre président a du style et ne pouvait être vachard.
La faute est en nous mêmes
La crise dans laquelle nous nous enlisons depuis cinq ans, illustrée par la dette et le chômage qui ne cessent de croître, ne provient pas des étoiles mais des Tunisiens eux-mêmes qui ne travaillent plus, font tout pour mettre à sac les institutions de l’Etat et pratiquent au final une overdose de libertés individuelles et oublient l’essentiel : le respect de l’intérêt public.
Ils sont égoïstes, gourmands et impatients. Ils veulent beaucoup de choses souvent contradictoires et tout de suite.
La faute n’est peut-être pas au gouvernement, qui fait de son mieux pour rétablir l’Etat de droit, mais d’une bonne frange de la population tunisienne qui prend la fâcheuse habitude de quémander des subsides à l’Etat providence sans fournir aucun effort. D’autres, encore plus futés, préfèrent le court chemin de la corruption, de la délinquance fiscale et de la contrebande.
On a tout essayé
Mettez le gouvernement que vous voulez, qu’il soit islamiste, de droite ou de gauche, il va vite jeter l’éponge face à une mentalité d’assistés, notamment celle des «victimes de la révolution» (sic !) et des exactions de l’ancien régime demandant réparation en monnaie sonnante et trébuchante.
Les problèmes de la Tunisie sont particulièrement complexes et enchevêtrés et ne peuvent être réglés pas par un oui ou par un non. Et personne ne peut prétendre pouvoir en faire le tour complet. Et puis tous ces responsables qu’on a vus défiler dans des postes importants ne sont pas forcément les meilleurs du pays.
On a tout essayé, notre modèle est épuisé. Tout s’est délité. Il s’agit maintenant de trouver d’autres outils pour engager sans trembler les réformes nécessaires avec beaucoup plus de rigueur. Le pari n’est pas pascalien.
Il a été démontré, durant ces cinq dernières années, que la Tunisie est ingouvernable avec un gourou tuniso-britannique intouchable presque divin (Rached Ghannouchi, président du parti Ennahdha, Ndlr), et peu importe qu’il soit accompagné ou non par un coach américain, anglais, français, saoudien, turc ou qatari. Son ombre plane encore dangereusement sur nos vies, notre présent et notre avenir.
C’est triste d’être, aujourd’hui, Tunisien en Tunisie.
* Economiste.
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