Habib Essid a reconnu avoir «fait face à de multiples pressions» pour le pousser à démissionner, lors d’une interview diffusée mercredi soir sur la chaîne privée Attassia.
«J’ai accepté la responsabilité (de diriger le gouvernement) avec ses côtés positifs et négatifs et je ne peux démissionner car je ne suis pas un soldat déserteur. Cette position je l’ai réaffirmée au président de la république», a souligné le chef du gouvernement, qui a sollicité, mercredi, un vote de confiance à son gouvernement au parlement, indiquant que «le président de la république ne lui a pas demandé directement de présenter sa démission».
«Toutefois, plusieurs parties, essentiellement des intermédiaires de partis et parlant parfois au nom du président de la république, qui m’ont rendu visite à mon bureau au palais du gouvernement et se sont employés à me persuader de démissionner», a précisé le chef du gouvernement. «La communication au sein des institutions de l’Etat ne se fait pas par des allusions mais par des demandes directes et claires», a-t-il ajouté à ce propos.
Habib Essid a souligné que l’appel à «la formation d’un gouvernement d’union nationale est une initiative purement tunisienne et n’a pas été lancé sous la pression extérieure et imposée au président de la république», affirmant que «la souveraineté tunisienne est sauve».
Au sujet de sa détermination à passer par le parlement pour quitter le gouvernement, il a estimé que «la démission implique une responsabilité personnelle», indiquant qu’il assume la sienne «mais à condition qu’elle soit collective». Traduire : tous les membres du gouvernement, dont la plupart exigent aujourd’hui son départ, assument chacun sa part de sa responsabilité dans ce qu’on considère aujourd’hui comme un échec.
«J’ai opté pour la voie la plus facile car je ne suis pas attaché à mon poste», a ajouté le chef du gouvernement, qui a répété à ce propos qu’il est pour l’accélération du processus de mise en place d’un gouvernement d’union nationale, estimant que «le recours à d’autres voies, comme la motion de censure ou le retrait de confiance exigent un long processus et le retarde ne manquera pas d’influer négativement sur la situation dans le pays».
Sur ses relations avec le président de la république, Habib Essid a souligné qu’elles sont «clairement définies par la constitution et qu’il n’existe pas de conflit concernant les prérogatives de chacun», rappelant qu’il a des rencontres hebdomadaires avec le chef de l’Etat «qui a ses conceptions personnelles et peut selon la constitution proposer des initiatives».
Interrogé sur le véritable détenteur du pouvoir de l’Etat, M. Essid a répondu : «Ce sont le président de la république, le gouvernement et le parlement, selon les dispositions de la constitution qui est respectée par toutes les institutions de l’Etat».
«J’ai bien accepté l’initiative du président Beji Caid Essebsi tant qu’elle sert l’intérêt du pays, mais ma seule réserve porte sur la méthode de sa présentation, qui aurait été mieux étudiée pour gagner du temps en procédant à des consultations à son sujet. Son timing n’était pas aussi approprié, en période d’été et en plein ramadan lorsque les menaces terroristes sont très grandes», a-t-il ajouté.
Le chef du gouvernement ne s’est pas senti d’autre part offusqué par l’appel lancé par certains membres de son gouvernement pour son remplacement. «Le comportement des ministres qui tentent de conserver leurs postes au gouvernement est normal étant donné qu’ils l’ont rejoint par l’intermédiaire de leurs partis et font de la politique», a-t-il estimé. «Ces pratiques peuvent paraître étranges en Tunisie, un pays démocratique de fraîche date, mais ils sont communes dans des pays de grande tradition démocratique comme l’Allemagne», a fait remarquer le chef du gouvernement.
Il a affirmé que le gouvernement s’emploie toujours pour servir les intérêts de la Tunisie, indiquant que le gouvernement doit être présent et solidaire, tous les ministres accomplissant leurs missions pour assurer la continuité de l’Etat.
Se sent-il victime d’une lutte d’intérêt au sein de l’Etat ? Réponse du chef du gouvernement: «Il n’y a pas d’indications sûres mais il y a des interprétations».
M. Essid a, par ailleurs, rejeté les accusations sur sa tendance à prendre seul des décisions portant sur les désignations sans en référer aux partis. «Tous les sujets sont soulevés lors des réunions de la coordination des partis de la coalition et les désignations des hauts responsables de la sécurité sont faites sur ma proposition mais après la consultation du président de la république», a-t-il précisé.
Il a aussi démenti les informations selon lesquelles il aurait mis sur table d’écoutes le président de la république et sa famille. «Cette allégation est fausse, le président de la république m’en a parlé et je lui ai expliqué que cette procédure n’est possible que sur autorisation judiciaire», a expliqué le chef du gouvernement qui n’a pas exclu que cette question «ait été une des causes de la tension avec lui».
Habib Essid a également démenti l’existence d’échanges d’accusations avec le fils du président de la république, Hafedh Caid Essebsi. «Toutes les accusations dont j’étais l’objet au sujet des nominations des gouverneurs et le changement des ministres ont été formulées par tous les partis et non le mouvement Nidaa Tounes seulement», a-t-il répondu, en assurant que ces nominations étaient décidées en concertation et avec l’accord du chef de l’Etat.
Habib Essid n’a pas précisé si la cause de cette tension avec Hafedh Caïd Essebsi était sa concordance de vues avec le l’ex-secrétaire général de Nidaa Tounes Ridha Belhaj. «Mes bonnes relations avec Belhaj remontent à 2011 et se sont développées lorsqu’il était devenu directeur de cabinet du président de la république pour traiter les questions portant sur les affaires de l’Etat qui n’exigent pas nécessairement de consulter le chef de l’Etat», a expliqué M. Essid.
Niant que les partis aient voulu faire de lui un objet de manœuvres politiques, le chef du gouvernement a affirmé que «celui qui accepte le jeu politique doit se préparer à tous les scénarios».
A propos de son avenir politique, M. Essid s’est dit «prêt à servir la Tunisie». «Si on fait appel à moi de nouveau même après cette expérience je n’hésiterai pas à l’accepter, à quelque niveau que ce soit y compris la présidence de la république, tant que je suis en bonne santé», a-t-il précisé.
Tout en refusant de donner son avis sur le document de synthèse auquel a abouti le dialogue sur la formation d’un gouvernement d’union nationale, suggérer des noms pour sa succession ou évaluer certains membres de son gouvernement cités pour lui succéder, le chef du gouvernement a nié que l’Etat soit en faillite. «L’Etat ne peut pas être en faillite et dispose de multiples moyens pour faire face aux difficultés», a-t-il expliqué.
Tout en reconnaissant l’existence de difficultés à plusieurs niveaux, notamment la garantie du paiement des salaires, il a assuré que «l’Etat n’a jamais été dans un état de cessation de paiement des salaires grâce à des ressources propres et d’autres ressources extérieures», par allusion aux prêts contractés auprès des bailleurs de fonds internationaux.
«La Tunisie n’a jamais était incapable de rembourser ses dettes et le gouvernement dispose d’un programme à ce sujet et d’une importante réserve de devises étrangers jusqu’à la fin de l’année et un programme approprié sera mis en place l’année prochaine», a-t-il assuré, en faisant remarquer que l’année 2017 devrait être difficile, mais «des mesures ont été prises et des accords conclus pour surmonter les difficultés financières».
I. B. (avec Tap).
Donnez votre avis