Un colloque international, le 15 octobre, à Paris, portera sur les conséquences de la politique de la Turquie d’Ergdogan sur les mutations géopolitiques actuelles.
Par Habib Trabelsi
Alors que le président Recep Tayyip Erdogan poursuit son ratissage à grande échelle dans tous les corps de l’Etat turc et continue à faire chanter l’Union européenne (UE) sur l’adhésion de son pays et sur l’exemption de visas des résidents turcs, d’éminents conférenciers s’apprêtent à Paris à passer au crible cette «puissance régionale aux aspirations impériales et néo-ottomanes».
Les conférenciers – d’anciens ministres, diplomates, députés, des universitaires, des chercheurs, des géopoliticiens, des écrivains, des journalistes… de six pays (France, Italie, Chypre, Tunisie, Egypte, Libye) et de Palestine – décrypteront, le 15 octobre, «les conséquences de la politique turque sur les mutations géopolitiques et les grands défis stratégiques contemporains», lors du 2e colloque du Centre international de géopolitique et de prospective analytique (Cigpa), un «think tank» fondé et présidé par Mezri Haddad, ancien ambassadeur de Tunisie à l’Unesco.
Une puissance régionale qui inquiète et exaspère
Le colloque se propose, sinon de répondre à de nombreuses questions ayant trait à la géopolitique, à la prospective, à la diplomatie, à l’idéologie, à la sécurité, au terrorisme, à la civilisation…, du moins de suggérer des pistes de réflexion. «Des questions que se posent les milieux géopolitiques, les instances onusiennes, les Etats arabes et occidentaux, les observateurs, les Ong, les médias et la société turque elle-même» sur la Turquie d’Erdogan, «une puissance régionale qui inquiète ses voisins arabes et exaspère ses alliés occidentaux», selon le Cigpa.
«Considérée jusqu’en 2015 comme le pays modèle de la ‘‘démocratie islamique’’ et de l’islamisme ‘‘modéré’’, la Turquie s’est enlisée, depuis le putsch de juillet 2016, dans une dérive nettement autoritaire et despotique. Usure du pouvoir ou épuisement idéologique, le bon modèle turc n’est plus attrayant et ce désenchantement affectera inévitablement l’internationale islamiste et plus exactement les Frères musulmans», précise le «think tank» dans le préambule d’un programme (*) copieux et prometteur en trois séances: 1- Aux sources de l’impérialisme turc, du Califat ottoman au panislamisme Erdoganien : la question du leadership au sein du l’espace arabo-musulman ; 2- Tensions dans les relations entre la Turquie et les pays arabes : la fin de l’équilibre stratégique post-accords Sykes-Picot ? 3- Turbulences dans les relations entre la Turquie et le monde occidental : La quadrature du cercle.
Le colloque est organisé en partenariat avec l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (Ipse), un laboratoire d’idées dédié aux questions internationales et stratégiques. Il se tiendra dans l’hôtel particulier de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, à Saint-Germain-des-Prés.
La dialectique ami-ennemi
Le premier colloque, sur le thème «Printemps arabe cinq ans après : bilan sécuritaire, économique et géopolitique. Comment faire face au péril global du terrorisme?», a été organisé le 7 mai à la Sorbonne en partenariat avec le Centre Abhath (Abu Dhabi) et la revue ‘‘Afrique-Asie’’. De l’aveu de nombreux participants, dont de nombreuses anciennes personnalités politiques, il fut un franc succès.
Intervenant brièvement à la fin du colloque, Mezri Haddad avait alors prononcé ces paroles sibyllines sur la crise migratoire: «Lorsque l’Europe a des amis comme la Turquie, elle n’a plus besoin d’ennemis».
Philosophe de formation, Mezri Haddad semble vouloir remettre la philosophie à l’honneur : sur le carton d’invitation au colloque, qui comporte le programme et les intervenants, il met en exergue cette phrase : «L’essence du politique est dans la relation ami-ennemi», extraite de la thèse soutenue en 1965 par le sociologue et philosophe français Julien Freund, son œuvre majeure de philosophie politique, ‘‘L’Essence du politique’’ (bien LE politique, qui, selon Freund, «relève du domaine du conflit, de la polémique et éventuellement de la guerre». A distinguer de LA politique, «une activité pratique et contingente, qui s’exprime dans des institutions variables et dans des événements historiques de toutes sortes»).
Mais il serait prétentieux et fastidieux d’expliciter la phrase en exergue dans le cadre d’une présentation sommaire du colloque qui s’apprête à en découdre avec Erdogan.
Celui-ci poursuit inlassablement son travail de sape entamé en tant que Premier ministre (le 14 mars 2003), renforcé après son accession à la présidence, en août 2014, et décuplé depuis le coup d’État manqué, en juillet dernier, qui a fait vaciller son pouvoir pendant quelques heures, avant de le consolider et faire de lui le «nouveau père de la Turquie» (*).
«La fin du jeu»
Outre la chasse aux Gülenistes (les partisans du prédicateur Fethullah Gülen, exilé aux Etats-Unis depuis 1999, que le pouvoir d’Ankara ne s’embarrasse pas d’accuser de responsabilité du putsch manqué), Erdogan continue à défier l’Europe.
L’homme fort de Turquie vient de mettre en demeure l’Europe de se prononcer clairement pour ou contre l’adhésion de son pays et de lui rappeler, dans un discours devant le Parlement à Ankara, que l’obligation de visa imposé aux citoyens turcs pour se rendre dans l’UE devait être levée en octobre, un «mois qui sera important» pour les relations de la Turquie avec les Européens, selon lui.
«Il n’y a aucun obstacle pour que la Turquie devienne un pays membre» ; «On est arrivé à la fin du jeu», a lancé sèchement le leader turc à l’adresse de l’Europe.
L’homme fort de Turquie veut forcer la main à l’UE en menaçant de revenir sur sa promesse d’arrêter le flot de migrants venus principalement de Syrie, si les Etats membres ne garantissaient pas aux 78 millions de citoyens turcs le droit de voyager sans visa, en vertu d’un accord signé en mars entre les deux parties.
De quoi enrichir les analyses et nourrir les débats de ce 2e colloque du Cigpa.
Note:
(*) «Nouveau père de la Turquie» : en référence à l’essai biographique ‘‘Erdoğan, nouveau père de la Turquie?’’, de Nicolas Cheviron et Jean-François Pérouse, paru en mars 2016 aux éditions François Bourin, à Paris, France.
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