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Rouvrez-les, bordel !

La volonté d’interdire la prostitution légale est souvent sous-tendue par une idéologie inquisitoriale qui vise à contrôler rigoureusement le comportement sexuel des Tunisiens.

Par Mohamed Sadok Lejri *

J’ai rédigé ce texte à la suite d’une conversation que j’ai eue avec un intellectuel et sympathisant d’une association qui se trouve à Sousse, l’Union culturelle Sidi Yahia.

Depuis quelque temps, d’anciennes pensionnaires du bordel de Sousse fréquentent la place Sidi Yahia – c’est une place qui est située à l’entrée de la ville médiévale de Sousse – et les membres et sympathisants de l’Union en sont indignés.

L’intellectuel évoqué ci-dessus avait même publié, il y a de cela quelques semaines, un article dans la rubrique Forum des lecteurs de ‘‘Tunis Hebdo’’ sur ces femmes qui fréquentent la place Sidi Yahia pour y exhiber leurs charmes au vu et au su de tout le monde.

Cet article m’a semblé un peu sévère à l’endroit des prostituées. Je lui ai avancé quelques arguments pour défendre ces femmes. Ce sont des arguments qui font également appel à la réouverture du quartier réservé de Bab El Finga de Sousse. Il était entièrement d’accord avec ce que je disais et m’a proposé de rédiger un article sur ce sujet dans l’espoir de susciter un débat, quitte à ce que ce dernier soit circonscrit aux colonnes d’un journal.

Comme j’ai mené plusieurs études sur les prostituées, et comme l’appétit vient en mangeant, j’ai rédigé un long article et effectué une mise au point qui me semblait nécessaire à réaliser. Dans ce texte, je reviens sur la prostitution qui se pratique depuis longtemps dans les quartiers réservés à la prostitution légale, mais sans m’y attarder.

Toutefois, ce texte a pour principal objectif de déceler les motivations réelles qui se cachent derrière la fermeture des maisons de passe… (Note de l’auteur).

* * *

De Bab El Finga à la place Sidi Yahia

Depuis la fermeture du quartier réservé aux prostituées légales de la ville de Sousse, d’anciennes pensionnaires du bordel de Bab El Finga se sont mises à fréquenter la place Sidi Yahia, sise à l’entrée de la ville médiévale de la capitale du Sahel tunisien, pour y exhiber leurs charmes au vu et au su de tout le monde.

Certains intellectuels Soussiens, notamment ceux qui se consacrent depuis plusieurs années à la sauvegarde de la Médina, ne voient pas d’un bon œil ces femmes qui se sont invitées à la place Sidi Yahia alors qu’elles n’étaient pas spécialement désirées.
Un article est même paru, il y a de cela quelques semaines, dans les colonnes d’un vieil hebdomadaire francophone qui jouit d’un large lectorat pour parler de ces femmes. Parmi ceux qui ont manifesté leur désapprobation à l’égard de la présence de ces prostituées à la place Sidi Yahia, il y a les membres et amis de l’Union culturelle Sidi Yahia, laquelle est une vieille association qui offre aux élèves et étudiants la possibilité de fréquenter une bibliothèque riche en ouvrages et de se connecter gracieusement à internet.

L’Union Culturelle compte dans ses loges des hommes dignes de mérite. Ces derniers soulignent que, depuis l’arrivée inopportune des prostituées de Bab El Finga, le monument historique de Sidi Yahia, dont la coupole abrite le siège de leur association et sa bibliothèque, s’est vu déserté par les étudiants et les élèves qui fréquentaient assidûment ce lieu historique.

prostituée

Une belle à sa fenêtre, Quartier réservé, Tunis, 1947 . **

Le fait que les prostituées aient élu domicile à la place Sidi Yahia, qui est en effet un monument chargé d’une valeur hautement symbolique, semble les déranger pour des raisons tout à fait compréhensibles. Les membres et amis de l’Union Culturelle Sidi Yahia semblent être gagnés par le souci de compréhension certes, néanmoins ce dernier ne les a pas empêchés de condamner les prostituées squatteuses, non sans une certaine rudesse, par le biais d’un article, paru dans l’hebdomadaire évoqué ci-dessus, qui prône l’évacuation des lieux pour que «le nom de Sidi Yahia ne devienne pas un jour un lupanar à ciel ouvert» (extrait de l’article en question).

Au lieu de prendre pour cible les prostituées qui squattent la place Sidi Yahia de la ville historique de Sousse, les membres de l’Union Culturelle Sidi Yahia et les défenseurs de la Médina de la capitale du Sahel auraient dû dénoncer l’offensive moralisatrice qui a eu lieu lorsque la Tunisie était en ébullition au lendemain du 14 janviers 2011.

Ces attaques à caractère moraliste ont, finalement, abouti à la fermeture du quartier réservé de Sousse. Sous la pression des riverains, constitués en ligue de moralité, ce haut lieu de la prostitution légale du Sahel a fini par fermer ses portes. Cette péripétie a eu pour conséquence la mort de la prostitution légale à Sousse et l’affluence de quelques ex-pensionnaires du défunt quartier réservé aux prostituées légales, communément appelé Karti, vers la place Sidi Yahia.

Faisons une brève récapitulation à propos de ce qui s’était passé dans plusieurs Médinas de Tunisie, notamment à la Médina de Sousse, à Bab El Finga plus précisément, quelques années auparavant.

Au lendemain du 14 janvier 2011, les habitants des Médinas se sont violemment opposés à la présence des quartiers réservés en envoyant pétition sur pétition aux autorités compétentes. Des voisins et quelques commerçants soucieux de «nettoyer» leurs quartiers avaient demandé de manière pressante la fermeture des maisons closes. Ces esprits crédules ont probablement été réduits au rôle d’objets manipulés par des forces rétrogrades sous l’impulsion de circonstances particulières. Les autorités ont vite fait de courber l’échine devant les «nouveaux dépositaires de la haute expression de la moralité publique» et la plupart des quartiers réservés n’ont plus rouvert depuis cette croisade abolitionniste. Par exemple, au quartier réservé de la Médina de Sousse, comme dans celui de l’impasse Sidi Abdallah Guèch de Tunis, des salafistes y avaient donné l’assaut à plusieurs reprises au lendemain du 14 janvier et commis des actes de pillage et de dévastation. Pour rassurer les extrémistes religieux et ramener la tranquillité dans les familles bien pensantes, les autorités se sont compromises en se pliant aux diktats des missionnaires des temps modernes. Le laisser-aller de l’Etat a été interprété par les extrémistes religieux comme un aveu de faiblesse et de crainte. Ce laxisme a conforté les pourfendeurs du péché de la chair que leur cause était juste et sur le point de triompher.

Ces péripéties ont conduit fatalement à la prostitution clandestine, elles n’ont fait qu’augmenter le péril sanitaire et sécuritaire que représente la prostitution non soumise au contrôle médical et policier.

Un sentiment mitigé à l’égard des prostituées

Je pense que vous ne seriez pas surpris, chers lecteurs, si je vous disais que la compassion pour les prostituées existe. En effet, elle existe, cependant elle est toujours de courte durée. La prostitution, avec son lot de violences et de malheurs individuels, avec la stigmatisation dont les femmes publiques sont victimes, provoque, même parmi les franges les plus «progressistes» de la société tunisienne, un sentiment de commisération de pure forme et sans lendemain. Elle ne provoque pas de tollé et encore moins une remise en cause des idées reçues. L’opinion publique est toujours tiraillée entre deux sentiments contradictoires : celui de la compassion envers le sort de ces jeunes femmes traitées comme des forçats du sexe, des femmes chargées le plus souvent du poids d’un passé difficile et souvent mères d’adolescents ou d’enfants en bas âge, et la secrète et vénéneuse certitude qu’après tout elles l’ont bien cherché et qu’elles se sont punies elles-mêmes en optant pour le choix de vie le plus «scandaleux» et «immoral» qui soit, et cela pour des raisons vénales.

Les prostituées attirent la pitié du commun des mortels, mais elles demeurent toujours gênantes. Leur présence au cœur de la Médina demeure troublante car elle est perçue par les plus conservateurs comme une incitation à la débauche. Malgré l’évolution des mœurs, leur activité est toujours perçue comme une menace aux valeurs culturelles et à l’ordre moral de la société tunisienne, un ordre moral qui en l’occurrence diabolise la sexualité extraconjugale. Au mieux, on accepte l’existence des prostituées du quartier réservé car, après tout, elles sont là depuis longtemps, mais on les tolère pour mieux les transformer en mécaniques de désir, en ignorant leurs itinéraires personnels et expériences personnelles, on les tolère afin de mieux annuler leur identité.

Depuis la réalisation du projet des quartiers réservés par l’autorité coloniale, les prostituées se perdent dans les dédales obscurs de ces quartiers que l’on voulait invisibles et à l’abri du regard des «gens honnêtes». D’ailleurs, on ne retrouve leur trace que dans certains documents du ministère de l’Intérieur ou qu’en termes de visites médicales et de maladies vénériennes.

Ce qu’il faut savoir, c’est que pour un grand nombre de nos compatriotes, le Karti, et je pèse bien mes mots, se vit surtout comme une annexe de la voirie. Le discours de bon nombre de Tunisiens, notamment des riverains des quartiers réservés et de certains agents de la police, est on ne peut plus clair à ce propos, avec toujours en toile de fond cette question lancinante : comment se débarrasser des prostituées aussi efficacement que des ordures? Comme si les gens voyaient dans le quartier réservé un gigantesque égout séminal, creusé en plein cœur de la Médina, où les prostituées viennent s’y confondre et non une multitude de destins individuels.

Prostituées

 L’entraide, Quartier réservé, Tunis, 1947. **

Le Karti, lieu historico-symbolique de la prostitution légale

L’existence des quartiers réservés part d’une philosophie propre au puritanisme bourgeois du XIXe siècle : de la dissémination des filles de joie, naît le désordre des passions et des maladies. Les autorités aidait et protégeait toute localisation de la débauche. Le règlement draconien qui régit le Karti vise essentiellement à contenir les excès et à contrecarrer les maladies vénériennes. Manifestement, l’Etat tunisien n’agit plus à dessein de concentrer le «vice» et de permettre la transparence et la surveillance de la «débauche».

En matière de prostitution légale, la politique de l’Etat post-indépendance se traduisait par une volonté de rester fidèle au système réglementariste français qui avait pour ambition de fixer le vice dans des lieux aux frontières bien délimitées. Ces quartiers réservés des Médinas tunisiennes sont l’expression d’une obsession bien définie : faire des prostituées des mécanismes éjaculatoires invisibles aux yeux chastes et placées sous la houlette de l’Etat.

Les filles qui vivent de leurs charmes au quartier réservé sont répertoriées. Elles sont consignées sur un registre au ministère de l’Intérieur et disposent d’une carte. Les prostituées qui se livrent à la prostitution au quartier réservé sont en contact permanent avec les autorités qui la leur délivre et subissent régulièrement des visites médicales. Enregistrées officiellement, les filles sont tenues, en cas de contrôle, de présenter certains documents aux agents de police. Elles sont soumises à de nombreuses interdictions et ne peuvent entrer en circulation sur la voie publique, c’est-à-dire en dehors du quartier réservé, sans permission des autorités de tutelle.

Les missionnaires des temps modernes sont dénués de tout pragmatisme et dans l’idéologie la plus impérieuse. La présence de bordels dans les Médinas les rend littéralement fous, ils veulent purifier la société entière de cette vue puante que sont pour eux les quartiers réservés. Leur obstination obsessionnelle d’éradiquer le vice coûte que coûte en fermant les maisons closes relève du nihilisme et aboutit à un effet inverse. Ils veulent faire disparaître la prostitution légale pour une raison que j’ai exposée ci-dessous (cf. Les desseins non avoués des islamo-conservateurs). On leur parle santé, ils répondent morale. L’argument sanitaire fondé sur la communication du mal vénérien les laisse de marbre.

En outre, l’on s’acharne sur les prostituées comme si elles pouvaient, à elles seules, infester la ville en semant la «gangrène du vice» et entraîner l’homme dans la spirale du libertinage et le péché, alors que l’on oublie souvent que la prostitution, la légale comme celle qui se pratique dans la clandestinité, est une histoire de couples avant toutes choses : prostituée/client, prostituée/maquerelle, prostituée/maquereau, prostituée/flic…

Pour finir cette partie, j’aimerais ouvrir une petite parenthèse relative au profil de la clientèle qui fréquente le Karti. La clientèle du quartier réservé n’est pas composée exclusivement de gens dignes de la plus vile canaille. En effet, des hommes respectables s’y rendent, notamment des petits bourgeois, des gens du peuple et de la classe moyenne: fonctionnaires, commerçants, boutiquiers, garçons de café, artisans, ouvriers, étudiants… Mais aussi les débutants, les timides, les disgracieux de nature, les époux sexuellement insatisfaits, les hommes mariés à des femmes à la santé fragile, les hommes qui ne sont pas assez fortunés pour fonder un foyer ou entretenir une maîtresse. Chacun a ses raisons.

Les desseins non avoués des islamo-conservateurs

Il faut également parler du rôle ou du statut que veulent attribuer les islamo-conservateurs aux prostituées. Ils refusent de comprendre la philosophie qui régit le quartier réservé et balaient toute tentative de réhabilitation en ayant recours aux clichés, à la diabolisation de l’activité prostitutionnelle (ou plutôt de la fornication, de la sexualité extraconjugale) et aux arguments fallacieux (la prostitution est une forme d’esclavage et la gangrène du vice une menace à l’équilibre social). Il faut savoir que ceux qui sont derrière la fermeture des lupanars des Médinas, ceux qui prônent l’interdiction de la prostitution légale, n’en ont cure de celle qui se pratique dans la clandestinité.

En réalité, la prostitution clandestine et déguisée n’inquiète pas ces moralistes inquisiteurs car, pour eux, l’essentiel est que l’Etat ne cautionne pas cette activité licencieuse, le haram, une activité qu’ils redoutent comme la peste.

Sous la pression des ligues de moralité, et à grand renfort de citoyens manipulés, ils ont fini par obtenir gain de cause, ou plutôt par imposer leurs diktats. En effet, outre les deux quartiers réservés qui font encore de la résistance, en l’occurrence celui de Tunis et de Sfax, les autres ont tous fermé leurs portes. Le message des autorités était clair : nous ne pouvons plus cautionner une activité moralement répréhensible et résister à une pression sociale culpabilisante.

Les moralistes estiment que, dans un pays musulman, l’Etat doit s’inscrire dans une logique prohibitive concernant la prostitution et les pratiques de sexualité extraconjugales d’une manière générale. La fermeture des quartiers réservés ne s’est pas faite parce que des bigots se sentaient investis de la mission de veiller aux bonnes mœurs, elle est motivée par la stratégie d’islamisation de l’Etat tunisien et de l’espace public.

En réalité, ceux qui désirent interdire la prostitution qui se pratique au sein des quartiers réservés ne sont pas vraiment abolitionnistes, ils ne réclament pas la disparition du métier de prostituée en Tunisie, mais prônent la fin de la prostitution légale, celle qui est reconnue et réglementée par l’Etat. La philosophie liberticide doit, selon eux, prévaloir dès lors qu’il s’agit de fornication et l’Etat doit mettre un point d’honneur à réprimer toute sexualité extraconjugale.

Cette volonté d’interdire la prostitution légale est également sous-tendue par une idéologie inquisitoriale qui vise à moraliser la vie publique pour que l’on puisse à terme contrôler rigoureusement le comportement sexuel de l’ensemble des Tunisiens dans l’espoir de néantiser à terme la «débauche».

Prostituée

L’aguicheuse et le bédouin, Quartier réservé, Tunis, 1947. **

Dans la clandestinité à leur corps défendant

La fermeture du bordel de Sousse a poussé les prostituées à exercer leur activité dans la clandestinité. Quoi qu’il en soit, même si les conditions du quartier réservé étaient très difficiles (le quartier a été incendié et saccagé, il s’écroule de vétusté, et les agents de police les brutalisent et les terrorisent régulièrement), les filles du Karti de Bab El Finga ne voulaient pas passer dans la clandestinité.

Elles se rendent à présent dans des bars, des hôtels ou battent le pavé le jour comme la nuit pour poursuivre la seule activité qui leur permette de gagner de l’argent, du moins qui leur permette de gagner des sommes plus ou moins respectables, sans oublier celles qui ont rejoint les maisons de débauche clandestines.

Les quartiers ont fermé et le nombre de filles qui travaillent au quartier réservé de Tunis a curieusement diminué, alors que l’on pensait que l’abolition non officielle et quasi tacite de la prostitution légale dans la plupart des régions de Tunisie allait conduire à une conséquence inverse. Le bordel de Tunis par exemple recrute de moins en moins de filles, alors que, d’après certaines sources, la prostitution, dans sa conception la plus vaste, a pris plus d’ampleur ces dernières années. La prostitution légale, celle qui s’exerce dans les maisons closes, décline et disparaît. Et, pourtant, la prostitution augmente.

L’Etat tunisien a laissé faire les extrémistes au lendemain du 14 janvier 2011, eu égard à l’incertitude et la fébrilité qui avaient envahi le pays suite au grand bouleversement qui s’était produit après la fuite du dictateur. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis lors. Les circonstances jouent aujourd’hui en défaveur des islamistes, lesquels font le gros dos dans l’attente d’un meilleur avenir.

Cette stratégie de fermeture des quartiers réservés s’est révélée, quelques années plus tard, dans les faits, un échec total. A part ceux de Tunis et Sfax, les quartiers réservés ont fermés, mais le nombre de prostituées clandestines augmente et la répression qui s’abat ponctuellement sur elles relève de l’arbitraire et est totalement dépourvue d’efficacité. En d’autres termes, la fermeture les maisons closes des Médinas ne rime à rien, elle est contre-productive.

La prostitution légale meurt. La fermeture des quartiers réservés des Médinas a modifié et dissocié spatialement l’offre et la demande prostitutionnelle. Les mentalités et le prix des terrains ne permettent plus la reconstruction de bordels, mais rend possible la location de garnis (notamment des petits studios et appartements) ou de maisons de passe. C’est un phénomène qui a pris beaucoup d’ampleur au cours des six dernières années. Se dirige-t-on vers une privatisation totale de la prostitution?

Qu’elles pratiquent à l’intérieur ou hors du quartier, les prostituées sont battues et fustigées. Les prostituées ont le sentiment de leur «abjection». En se livrant à la prostitution, elles estiment s’être rendues indignes. Par le fait même de leur métier, elles sont dans l’impossibilité de réclamer leurs droits. Leur «mauvaise vie» leur fait perdre le titre de citoyennes à part entière et leurs droits à la protection publique. Cela encourage tous les abus et violation de droits. Chacun peut imaginer le sort réservé à celles qui exercent aujourd’hui dans la clandestinité, dans la rue, à la suite de la fermeture des quartiers réservés, notamment celui de la Médina de la ville de Sousse.

Revenons aux membres «indignés» de l’association Union Culturelle Sidi Yahia : qu’est-ce donc exhiber ses charmes à deux pas du mausolée Sidi Yahia? Cette place n’a guère été aménagée pour accueillir des femmes publiques certes, toujours est-il que ces femmes ne peuvent s’encombrer des nobles sentiments liés au respect du patrimoine culturel. Elles gagnent à leur manière leur pain quotidien. Elles ne sont pas peut-être pas d’une exquise politesse, cependant il ne s’agit pas non plus de femmes hystériques qui agressent sauvagement de paisibles passants. Loin de recourir aux propositions obscènes ou aux regards appuyés, et encore moins aux attouchements indécents, ce sont des femmes qui viennent des maisons de tolérance de la vieille ville de Sousse et ont été victimes d’une radiation collective, pour des raisons idéologiques et encouragée par la lâcheté et le silence complice des Tunisiens.

Il ne s’agit pas de tomber dans le piège des clichés les plus romantiques de la prostitution réglementaire des quartiers réservées qui a perduré dans les Médinas tunisiennes pendant plusieurs décennies, certaines évidences méritent toutefois d’être rappelées : aujourd’hui, les femmes qui squattent la place Sidi Yahia sont, avant toutes choses, de malheureuses victimes d’un Etat démissionnaire et d’une politique de connivence avec l’islamo-fascisme. Mais elles sont surtout victimes de la lâcheté et de l’hypocrisie de toute une société.

Aujourd’hui, elles sont dans la dèche et ont besoin de gagner leur vie. Et c’est une vérité de La Palice de dire que le manque d’argent reste la raison unique de la prostitution. Alors, de grâce, faites preuve d’indulgence envers ces femmes, ne vous perdez pas en considérations moralisatrices et exhortons les autorités à rouvrir les bordels…

* Universitaire, chercheur. 

** Photos tirées d’un livre de Denise Bellon, ‘‘Tunisie photographies, 1947-1960’’, paru en 2009 aux éditions Cérès.

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