L’argument démocratique de Chahed a peu de chance de séduire l’isolationniste et militariste Trump.
A propos du voyage officiel aux Etats-Unis effectué du 9 au 12 juillet 2017 par le chef de gouvernement tunisien Youssef Chahed.
Par Nejib Ayachi *
En prévision de son voyage officiel aux Etats-Unis, le Premier ministre tunisien Youssef Chahed a publié une tribune sur le site de l’agence de presse internationale UPI, traduite de l’anglais au français par le quotidien en ligne tunisien Kapitalis, sous le titre ‘‘Les leçons de l’expérience démocratique tunisienne’’, paru le 8 Juillet 2017.
Dans sa tribune, le Premier ministre réagit à la décision des Etats-Unis de réduire de manière substantielle leur aide économique et en matière de sécurité, en tentant de convaincre ses lecteurs américains de l’importance de la Tunisie et de sa transition vers la démocratie, et par conséquent de la nécessité de maintenir, sinon d’augmenter, cette aide.
Trump est plus favorable aux dictatures arabes
Outre le fait que malheureusement très peu de gens lisent UPI et qu’il aurait été bien plus payant de publier cette tribune dans un quotidien de grande circulation et influent comme le ‘‘New York Times’’ ou le ‘‘Washington Post’’, la présomption que «l’expérience démocratique tunisienne» continue à susciter une sympathie toute particulière aux Etats-Unis, qu’elle est importante pour l’administration Trump, et que pour ces raisons elle mériterait d’être soutenue et aidée, est erronée.
Il faut rappeler que l’orientation générale en matière de politique étrangère de Donald Trump est isolationniste, et qu’au plan militaire, il privilégie en tout premier lieu la sécurité américaine, comprise dans un sens beaucoup plus restrictif et traditionnel que l’administration précédente. Sa politique consiste à rationaliser et réduire les aides militaires et autres aux pays étrangers quels qu’ils soient, y compris aux alliés européens de longue date membres de l’Otan. En outre, son approche en matière d’aide aux pays en développement est encore plus égoïste que celle de ses prédécesseurs.
Par inclination personnelle, de même qu’idéologique, Donald Trump est plus à l’aise avec, et plus favorable aux dictateurs (arabes). En tous cas, ce que cherche le président Trump, comme d’ailleurs tout dirigeant américain, ce sont des alliés, y compris bien sûr dans la région Afrique du Nord/Moyen Orient, afin de pouvoir réaliser sa propre vision de la préservation et de la promotion des intérêts de son pays.
Pour atteindre ses objectifs concernant cette région, le président Trump privilégie d’abord et essentiellement une approche sécuritaire et militaire, sans chercher à promouvoir, ou à imposer, la démocratisation des systèmes politiques des pays arabes, comme ce fut le cas pour les deux administrations précédentes, agissant sous l’influence idéologique des néo-conservateurs.
Ces derniers militaient en effet activement en faveur de la démocratisation, même forcée, des pays arabes, en incluant les Frères musulmans dans le jeu démocratique afin qu’ils puissent mieux «contrôler» leurs peuples, dans l’intérêt ultime des Etats-Unis et d’Israël. Les néo-conservateurs ont beaucoup perdu de leur influence, y compris au sein du Parti Républicain de Donald Trump, et leur approche idéologique n’est pas du tout partagée par le président actuel, qui est plus en phase avec les thèses xénophobes, islamophobes, isolationnistes et militaristes de l’extrême droite traditionnelle.
Instituer l’Etat de droit pour attirer des investissements américains
Ni Donald Trump, ni le Parti Républicain, majoritaire au sein du congrès, ne s’intéressent vraiment à la Tunisie et à son «expérience démocratique». Pas plus qu’ils ne s’intéressent à une démocratisation des pays arabes qui soit inclusive des islamistes. Au contraire, il est souvent question que le gouvernement américain déclare le mouvement des Frères musulmans organisation terroriste, comme ont pu le constater à leur détriment les lobbyistes islamistes, comme ceux du CSID, qui essayent de rester actifs à Washington.
Ainsi, étant donné les orientations générales en matière de politique étrangère du président Trump, il est bien possible que l’assistance sécuritaire et militaire à la Tunisie soit préservée, car il y va de la sécurité des Etats-Unis eux-mêmes telle qu’elle est conçue par la nouvelle administration américaine, mais on peut douter que l’aide économique sera maintenue au niveau qu’elle a atteint sous l’administration Obama, et encore moins qu’elle sera augmentée.
Si la Tunisie souhaite attirer des investissements américains conséquents, il lui faudra commencer par véritablement instituer le règne de la loi (Etat de droit), et sans compromis aucun ! Il lui faudra aussi développer une campagne de communication, sérieuse, bien conçue, argumentée et ciblée, auprès d’investisseurs potentiels. Et ceci pour attirer des investissements qui s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie de développement économique bien conçue, véritablement nationale et inclusive, qui favorise d’abord les intérêts bien compris de la majorité des Tunisiens, et non pas seulement celles des prête-noms (représentants) tunisiens des monopoles industriels et financiers transnationaux, dont il faudrait accepter la domination sous prétexte que l’adhésion à la mondialisation dans sa forme actuelle est inévitable…
* Universitaire, Washington.
Source : Blog ‘‘Herillos’’, publié avec l’accord de l’auteur.
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