Le calife ottoman Erdogan et son vassal maghrébin.
Les Tunisiens, qui ont eu leur dose avec Marzouki, un président provisoire vassal du Qatar, ne doivent pas se laisser imposer Ghannouchi, un vassal de la Turquie d’Erdogan.
Par Chedly Mamoghli *
Il y a une décennie, en Tunisie, dans la région mais surtout en Occident, beaucoup d’individus qu’ils soient acteurs politiques ou observateurs nous vendaient le «modèle turc». La grande mode était de saluer et de montrer en exemple Erdogan et son parti l’AKP.
Le joug d’une dictature islamiste
Aujourd’hui que la pauvre Turquie bascule dans l’autoritarisme, que tous les jours la démocratie est bafouée et que son président dévoile sa sale gueule de dictateur islamiste, les laudateurs d’Erdogan et les idiots utiles qui l’érigeaient en référence pour le monde arabo-musulman et qui le considérait comme «un islamiste modéré et démocrate» ont disparu en abandonnant au passage le peuple turc à son propre sort et en le laissant subir les frasques et les dépassements du régime désormais bien installé et enraciné. Un régime qui a utilisé la tentative du putsch raté de juillet 2016 comme prétexte afin de conduire des purges et des arrestations arbitraires dans tous les milieux: armée, police, services de renseignements, magistrature, administration, milieu des affaires, monde académique et scientifique et bien évidemment les médias. Erdogan se débarrasse de toute personne susceptible d’entraver son projet idéologique et sociétal.
D’ailleurs, il faut souligner que la tentative de putsch de juillet 2016 soulève encore beaucoup de questions et reste sujette à débat vu les zones d’ombre qui persistent. Par exemple, lors de l’enquête diligentée par le parquet sur cette tentative, le chef d’état-major des armées et le chef du renseignement ont été interdits par le pouvoir de témoigner devant la Justice. Y aurait-il des éléments à cacher et qui pourraient gâcher l’image du président fils peuple, du héros sorti vainqueur d’une tentative de coup d’Etat?
Tout ce que la précieuse leçon turque peut nous enseigner, c’est que ceux-là mêmes, surtout en Occident, qui aujourd’hui font l’éloge d’Ennahdha et de son leader historique Rached Ghannouchi, en nous disant «ce sont des démocrates», «des gens qui ont évolué», «des islamistes modérés» ont dit la même chose d’Erdogan il y a dix ans. Ils rejouent le même numéro avec nous tunisiens et une fois Ennahdha bien établi, bien enraciné et débarrassé de tous les obstacles et qu’il révélera son vrai visage, aucun de ces donneurs de leçons ne se manifestera et nous subirons dans la solitude la plus extrême le joug d’une dictature islamiste.
Ennahdha rêve d’une conquête erdoganienne du pouvoir
Depuis 2011, les islamistes tunisiens travaillent et tracent leur sillon vaille que vaille, certes lors des deux années catastrophiques qu’ils ont passé au pouvoir (2012 et 2013), ils se sont heurtés à ce qu’ils appellent «addawla al-âmiqa» (Etat profond), le terme est erdoganien mais il a été traduit en arabe et est très utilisé par les Frères musulmans égyptiens et tunisiens. Lui avec ses purges s’en est débarrassé mais ses frères de secte tunisiens pas encore. Leur objectif est une conquête erdoganienne du pouvoir qui leur permettra de s’en débarrasser et de mettre ainsi en place leur projet idéologique et sociétal. Ceci passe en partie par l’accession de Rached Ghannouchi à la magistrature suprême en 2019.
Certaines personnes croient que Ghannouchi est le patron, le maestro, le chef incontestable et incontesté. Faux. Il fait partie du Tandhim Addawly lil Ikhwén Al-Moslimin (Organisation internationale des Frères Musulmans) dirigé officieusement par Erdogan et implanté en Turquie depuis que l’Egypte leur a coupé l’herbe sous le pied en 2013. Donc le patron c’est Erdogan. Le Qatar reste un sponsor médiatique et financier mais la tête pensante se trouve à Ankara. Pour sa stratégie expansionniste dans le Maghreb et pour avoir une base arrière qui lui est totalement acquise, il veut un frère de secte président à Tunis. Ghannouchi a reçu à Ankara l’ordre de briguer la présidence en 2019 et de s’y préparer. Ses allées et venues en Turquie sont incessantes et à chaque fois il est reçu par le président turc, jamais par un cadre dirigeant de l’AKP ou un ministre ou le Premier ministre. C’est toujours Erdogan en personne qui le reçoit.
Ils veulent absolument faire de la Tunisie une base arrière car au départ, c’était l’Egypte – colonne vertébrale du monde arabe qui était destinée à jouer ce rôle – mais l’éviction de Morsi du pouvoir a changé la donne et explique pourquoi Abdelfattah Al-Sissi est vu comme le diable en personne par Erdogan. Il a tendance à personnifier mais Al-Sissi n’est pas un cavalier seul. C’est l’armée égyptienne et lui en tant que chef qui ont décidé de déposer les Frères Musulmans soutenus, n’en déplaise aux islamistes, par des millions d’Egyptiens.
Cette éviction que certains considèrent comme un putsch est considéré de l’autre côté comme un acte motivé par une raison d’Etat, notion inventée par Machiavel et reprise plus tard par Richelieu et bien d’autres.
Par conséquent, Erdogan éprouve une haine viscérale à l’égard du président égyptien non pas par amour pour la démocratie – lui-même la bafoue tous les jours en Turquie – mais parce qu’il lui a brisé son rêve. Donc, celle qui doit devenir la base arrière c’est la Tunisie. Jamais la Libye, car cette dernière est le théâtre d’une «proxy war», une guerre par procuration et où la situation est anomique, absence d’Etat et de toute règle juridique.
Donc la base arrière doit être la Tunisie afin de faciliter la mainmise sur la Libye et surtout pour se tenir prêt à s’emparer du gros morceau à savoir l’Algérie, le jour où une brèche s’ouvrirait. Certes le jeu est diabolique mais c’est la réalité.
En briquant Carthage, Ghannouchi veut une revanche sur Bourguiba et Ben Ali
La responsabilité qui nous échoit est de tout faire afin de faire capoter ce projet. Ghannouchi est poussé par Erdogan pour devenir président afin de faire de la Tunisie, une Turquie bis et une base arrière pour la concrétisation des ambitions erdoganiennes. L’idée n’est pas pour déplaire à Ghannouchi qui a une revanche à prendre sur le destin. Jadis condamné à mort sous Bourguiba puis exilé sous Ben Ali, rien ne serait plus beau que de s’asseoir dans leur fauteuil un beau jour et réécrire le roman national.
Erdogan est en train réécrire le roman national turc par ressentiment contre les laïcs en modifiant l’ADN de la république kémaliste en la rendant islamiste. Ghannouchi fera de même en devenant président et en s’enracinant mais lui par ressentiment contre Bourguiba et contre les partisans d’une nation séculière. Ces dernières années, il a fait semblant de tourner la page du conflit avec Bourguiba, il lui a même reconnu quelques réalisations. Il préfère jouer à la victime collatérale de Ben Ali et faire de l’ancien président son pire ennemi mais c’est malhonnête parce que Rached Ghannouchi doit sa survie au 7 novembre. S’il n’y avait pas eu de 7 novembre, peut-être que la condamnation à mort aurait été appliquée. Même sa sortie du territoire tunisien est sujette à débat, elle n’était pas clandestine comme ils veulent la faire croire. Son passeport, il l’aurait obtenu des mains de l’ancien président, passé sa dernière nuit à l’Hôtel International de l’avenue Bourguiba puis conduit le lendemain par une voiture du protocole aux frontières. Par conséquent, il doit sa vie au 7 novembre et ce jeu de dupes de jouer au pire ennemi de Ben Ali ne fonctionne pas. Son pire ennemi, c’est Bourguiba.
Ghannouchi fera tout pour devenir président, ça sera une belle revanche qui lui permettra de réécrire le roman national et de concrétiser son projet sociétal et idéologique. Quant à nous Tunisiens, nous avons déjà eu notre dose avec Moncef Marzouki, un président provisoire vassal de l’émirat du Qatar et valet de la Cheikha Mozah, il ne faut pas qu’on se laisse imposer un vassal d’Erdogan maintenant.
* Juriste.
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