Les Djeridi veulent préserver leurs oasis de la pollution phosphatière.
Les «Djeridi» ont opposé un niet catégorique à l’exploitation du gisement de phosphate Tozeur-Nefta. Et ils n’ont pas tort…
Par Khémaies Krimi
Signe de l’évolution des mentalités : au moment où partout dans le pays des indignés demandent, à gorge déployée, des projets de développement, sources de revenus et d’emplois, l’Union régionale des agriculteurs et de la pêche de Tozeur vient d’opposer un non catégorique au projet d’exploitation du gisement de phosphate Tozeur-Nefta. Ce projet prévoit, une fois achevé, la création de 500 emplois permanents outre la dynamique économique et commerciale qu’il peut créer en accompagnement.
Dans un communiqué publié le 29 septembre 2017, l’Union a justifié son rejet par son souci de préserver l’environnement oasien de la pollution que pourrait générer ce projet industriel.
Eviter le sort du bassin minier de Gafsa
En d’autres termes, les oasiens ne veulent pas voir leur écosystème se dégrader et connaître le mal-vivre dont leurs compatriotes de Gafsa, Sfax, Skhira et Gabès ont souffert, des décennies durant, par l’effet de l’extraction du phosphate et de sa transformation, à cause notamment du rejet du phophogypse.
Sans fermer la porte au dialogue avec la Compagnie de phosphate de Gafsa (CPG), promoteur du projet, l’Union relève que «ce dossier mérite de faire l’objet d’études d’impact multidiscilinaires (sociale, culturelle, environnementale, historique et économique). Ces études devraient aboutir à l’élaboration d’un modèle de développement durable adapté à la spécificité de l’écosystème oasien».
Aref Neji, président de l’Union a rappelé que les palmiculteurs des deux oasis (Nefta et Tozeur) avaient manifesté leur opposition à ce projet depuis le lancement des études préliminaires en 2001, qui avaient montré les incidences catastrophiques que pourrait engendrer l’exploitation de ce gisement sur l’agriculture dans ces oasis en compromettant l’emploi permanent de 14.000 personnes, sans oublier l’emploi saisonnier de milliers d’autres lors des récoltes.
Les oasiens craignent trois choses
Les oasiens craignent la raréfaction des ressources en eau, car l’exploitation du phosphate étant réputée pour être une activité hydrovore (lavage du phosphate et exploitation excessive des nappes phréatiques). C’est du moins à cause de la technologie humide qu’utilise, jusqu’ici, la CPG. En Algérie, les entreprises de phosphate utilisent la technologie sèche plus coûteuse.
Les oasiens craignent également la destruction pure ou simple de leurs palmeraies par l’effet de la poussière. C’est que le phosphate du gisement Tozeur-Nefta est enfoui à 10 mètres de profondeur sur une superficie de 4 hectares et à 13 kilomètres seulement à l’ouest de la ville de Tozeur. Pour l’extraire et l’exploiter à ciel ouvert, il faut creuser, creuser, creuser… avec comme corollaire l’enlèvement avec des engins bruyants de centaines de milliers de tonnes de sable et leur échappement dans l’air.
L’exploitation du phosphate a été une malédiction pour l’environnement dans le bassin minier de Gafsa.
Ce sont ces énormes quantités de poussière dans l’air qui inquiètent les oasiens de Tozeur et ses environs. Cette poussière, voire cette pollution aérienne, serait, selon eux, non seulement très nocive pour les palmeraies de la région (74 oasis sur 8400 hectares) mais également pour les établissements touristiques, deuxième ressource de la région après les dattes.
Ils aiment rappeler à ce sujet la déstructuration du paysage oasien dans le bassin minier et signaler que Gafsa, avant d’avoir une vocation minière, était au départ une oasis prospère qui a disparu, petit à petit, par l’effet de la rareté de l’eau et de la pollution atmosphérique. Il y voient ce qu’ils appellent «un marqueur biologique» qui annonce la disparition d’autres espèces dont l’espèce humaine. D’où l’enjeu de leurs craintes.
Moralité: au regard de ces justificatifs compréhensibles, cette réaction de l’Union des agriculteurs de Tozeur, est, le moins qu’on puisse dire, légitime et mérite d’être soutenue par la société civile, et ce, pour une raison simple.
A l’origine, des décideurs centraux incompétents
Les décideurs centraux du pays, particulièrement ceux des industries extractives, ont, constamment, eu cette tendance génétique et assassine à privilégier, lors de la conception des projets dans des «bureaux fermés», la seule étude d’impact de rentabilité économique et à faire fi des autres études d’impact sur l’environnement et la santé des gens.
Pour preuve, lors de la Conférence internationale sur l’investissement «Tunisia 2020», (29-30 novembre 2016), le projet de gisement de phosphate Tozeur-Nefta n’a été présenté aux investisseurs et équipementiers étrangers que sous l’angle exclusif de sa rentabilité économique.
Sur la fiche technique du projet, on lit notamment au chapitre «Impacts escomptés: création de 500 postes d’emploi permanents, renforcement de la production nationale de phosphate de 4 millions de tonnes par an (pour des réserves estimés à 400 millions de tonnes), renforcement de la part de la Tunisie dans le marché mondial des phosphates, développement des activités chimiques de transformation, contribution au rééquilibrage de la balance commerciale».
Revoir les process industriels
La CPG n’a pas daigné esquisser en accompagnement de cette fiche les grandes lignes du rôle que pourrait jouer ce futur gisement dans le développement des zones environnantes et dans la protection de l’environnement naturel et humain.
Elle n’a évoqué que les externalités positives pour l’économie du pays et fait abstraction des externalités négatives que les communautés locales et régionales allaient subir.
Certains pourraient dire que la fiche était destinée à des étrangers mais ils oublient que ces derniers sont tenus, par la loi et les exigences du marché, de faire preuve de responsabilité économique et sociétale (RSE). Selon des directives sévères d’institutions internationales comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il y va de leur crédibilité et de leur rendement en bourse.
C’est pourquoi, pour la CPG qui n’a jamais pris, depuis sa création, l’initiative de mener une étude d’impact de l’extraction du phosphate sur la santé des gens, c’est tout simplement scandaleux, après le soulèvement du 14 janvier 2011.
Au final nous pouvons dire que le phosphate demeure certes une richesse nationale qui joue un rôle capital dans les équilibres financiers du pays mais pas à n’importe quel prix. Autrement dit, pas aux dépens de l’homme et de sa santé.
D’où l’enjeu de revoir sur de nouvelles bases et de nouvelles technologies l’extraction du phosphate, sa production et sa transformation. Quant au niet des «Djeridi», nous nous pouvons que le saluer haut et fort.
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