Béji Caid Essebsi à Dubaï, en septembre 2015, avec Cheikh Mohamed Ben Rached Al Maktoum.
Quand les dirigeants émiratis mènent en bateau leurs homologues tunisiens et les font mariner, ce sont tous les Tunisiens et les Tunisiennes qui sont humiliés.
Par Khémaies Krimi
Une évidence : la décision de la compagnie aérienne Emirates d’interdire aux Tunisiennes d’embarquer sur ses vols en direction des Émirats arabes unis (EAU) et de leur refuser, carrément, l’accès au pays, est une grave offense pour la femme tunisienne et pout tout le peuple tunisien. Plus grave que cette décision, la mollesse et l’indulgence avec lesquelles la diplomatie tunisienne et ses porteurs d’encensoir de la présidence ont traité cette affaire.
Cette tendance de l’establishment politique tunisien à temporiser, voire à minimiser l’affaire et même à la banaliser n’est pas fortuite. Pour certains analystes, il y a anguille sous roche. Plusieurs indices montrent que les Emiratis tiennent en otage plusieurs décideurs et hommes politiques tunisiens qu’ils auraient corrompus avant et après le soulèvement du 14 janvier 2011.
Le premier indice consiste en le fait que ce n’est pas la première fois que les Emirats osent narguer les Tunisiens. Jusqu’au 11 février 2017, tous les Tunisiens étaient interdits de visa pour les EAU avant une réconciliation qui n’a duré que 10 mois. Face à cette provocation, qui aurait pour origine une «toquade princière», la diplomatie tunisienne a pratiqué la politique de l’autruche et n’a pas daigné réagir, ni même demandé des explications.
Le projet Sama Dubaï reporté aux calendes grecques.
Des mégaprojets en stand-by, ce n’est pas un hasard
Le deuxième indice serait l’assurance d’être en terrain conquis avec laquelle se comportent les investisseurs émiratis en Tunisie en reportant, unilatéralement, à des dates sine die, la poursuite de mégaprojets touristico-immobiliers pour la réalisation desquels ils s’étaient pourtant engagés et ont même reçu des concessions et des facilités de la part du gouvernement tunisien.
C’est le cas du projet touristico-immobilier «La porte de la Méditerranée», cette ville d’au moins 250.000 habitants que le groupe émirati Sama Dubaï s’était engagé à édifier, depuis 2007, au lac sud de Tunis, voire à l’entrée sud de Tunis sur 1000 ha (un véritable bijou foncier), moyennant un investissement à terme de 25 milliards de dollars. Ce projet est, hélas, toujours en stand-by.
Pis, ce site assaini par l’Etat tunisien au prix fort, 120 millions de dinars tunisiens (MDT), cédé au dinar symbolique à Sama Dubaï, et entretenu, depuis 10 ans environ, par l’argent du contribuable, attend toujours que son promoteur émirati poursuive les travaux. L’Etat tunisien serait tenté de résilier le contrat, mais les dirigeants émiratis le laissent mariner, souhaitant exploiter l’affaire pour en tirer, à terme, un gain géostratégique.
Ainsi, selon certains observateurs, les dirigeants émiratis auraient refusé, délibérément, de poursuivre la réalisation de ce projet qui prévoit de créer 150.000 emplois, pour se venger du président de la république Béji Caid Essebsi qui n’a pas accepté d’écarter du pouvoir, en 2015, le parti Ennahdha comme cela a été fait avec les Frères musulmans en Egypte.
Pour d’autres, Sama Dubaï aurait exigé, en contrepartie de la résiliation du contrat, la récupération des grosses sommes d’argent qu’il aurait octroyé à des dirigeants tunisiens sous forme de pots de vin et de commissions lors de l’obtention du marché en 2007.
Face à cette situation, les décideurs tunisiens, apparemment embarrassés par la tournure que pourrait prendre cette affaire, préfèrent la régler diplomatiquement. Seulement, le temps passe et la solution risque d’être renvoyée aux calendes grecques.
Le gagnant dans cette affaire est pour le moment Sama Dubaï qui se ferait un plaisir de faire chanter les dirigeants corrompus.
Le grand perdant est la Tunisie, qui se donne en spectacle et rate l’exploitation d’un bijou foncier comme le lac sud de Tunis, lequel, pour peu qu’il soit construit, peut créer 150.000 emplois et promouvoir la capitale en grande métropole méditerranéenne.
Le projet Tunis Sport City presque oublié par son promoteur Boukhater.
Le magnat émirati Boukhater veut imposer sa loi
C’est le cas d’un deuxième mégaprojet, à savoir «Tunis Sports City», sur les berges nord du lac de Tunis. Ce projet, qui coûtera plus de 5 milliards de dollars, et dont on a commencé à parler en 2008, est également en stand-by.
L’investisseur émirati, le magnat Boukhater, n’a pas encore repris les travaux parce qu’il veut renégocier le plan d’aménagement de la zone considérée. Son souhait est de transformer une partie du lot destiné à abriter la cité sportive en composante urbaine, alors que la Société de promotion du lac de Tunis (SPLT) tient justement à la composante sportive, car elle constitue un complément à haute valeur ajoutée pour son offre globale sur les berges du lac. C’est une des raisons majeures qui amené la SPLT, en 2007, à vendre le terrain (252 hectares) sur 3 tranches, à l’investisseur émirati, qui plus est, à un prix préférentiel, soit 70 dinars le m2.
Cela pour dire que cette tendance arrogante des investisseurs émiratis à retarder, dans l’impunité la plus totale, la poursuite des travaux de réalisation de ces mégaprojets, dont les terrains ont été obtenus au dinar symbolique et pour des subsides, n’est pas innocente, d’autant plus que les Marocains, qui ont connu le même scénario avec leur projet dans la vallée du Bouregreg à Rabat, ont vite exproprié le terrain vendu au holding Sama Dubaï et opté pour un autre investisseur.
Nous sommes, hélas, loin de l’ère Bourguiba où le visionnaire «combattant suprême» tournait carrément le dos aux pays du Golfe où prévalent, toujours, bédouinocratie, autosuffisance démesurée et richesse artificielle. Pour lui, il n’y avait rien à tirer de ces pays. La Tunisie a plus que jamais besoin d’un leader de son gabarit pour rendre aux Tunisiens leur fierté et à la Tunisie sa souveraineté.
Mansar à l’origine de la crise entre la Tunisie et les Emirats
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