Tel des caméléons, Rached Ghannouchi et les islamistes tunisiens changent d’alliances au gré des intérêts du moment : des Frères muslmans, au Qatar et à la Turquie.
Par Rachid Barnat
Curieux personnage que ce Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha, qui dès son retour de son exil doré londonien n’a cessé de rappeler aux Tunisiens leur identité «arabo-musulmane» pour accaparer la scène politique par des discours identitaires en chevauchant une «révolution» à laquelle il n’avait par participé mais dont il a dévoyé les revendications premières «Liberté, Dignité, Travail» pour centrer les débats sur l’identité ethnique et religieuse des Tunisiens, leur reprochant de s’être éloignés de la leur, pour mieux leur fourguer le modèle sociétal importé d’Arabie avec son corollaire, le wahhabisme, les préparant ainsi à la mainmise de l’émir du Qatar sur leur pays !
Ennahdha, du Qatar à la Turquie
Or depuis que le Qatar, et son boulimique émir Hamad Ben Khalifa Al Thani, cette grenouille qui voulait devenir un bœuf, s’est retrouvé mis à l’index par les pétro-monarques et mis au ban des nations par de nombreux pays pour cause de terrorisme et de soutien aux Frères musulmans dont le monde découvre la violence à la faveur du «printemps arabe», Ghannouchi a été jusqu’à renier son appartenance à l’organisation internationale des Frères musulmans et semble mettre en veilleuse, du moins en apparence, sa relation avec le Qatar qui les sponsorise et les instrumentalise.
Ayant milité dans un esprit de vassalité, il lui fallait se trouver un nouveau chef pour poursuivre sa politique de combines dans les coulisses. Ça tombe bien ! Depuis l’échec du prétendu coup d’Etat en Turquie, Recep Tayyip Erdogan va révéler son vrai visage de dictateur au grand jour; ce qui convient au timoré Ghannouchi qui a besoin de chef pour exister.
La vassalité à la Turquie d’Erdogan érigée en stratégie pour la prise du pouvoir en Tunisie.
Avec les positions d’Erdogan de plus en plus affirmées sur la scène internationale dans les guerres du Moyen Orient, voilà que Ghannouchi se met à glorifier la Turquie et rappelle aux Tunisiens leur passé ottoman pour mieux les rapprocher de la Turquie dont il veut leur apprendre la langue; et que ‘‘Le Harem du Sultan’’, ce feuilleton turc, sirupeux à l’eau de rose, prédispose leur inconscient à l’avènement du califat dont Erdogan se rêve le sultan pour mettre la main sur la Tunisie, cette ancienne colonie turque !
Et une fois de plus, Ghannouchi pense pouvoir instrumentaliser l’Histoire de la Tunisie pour mieux la soumettre au «Frère» Erdogan, cette fois-ci; après ses discours sur l’arabité pour rattacher la Tunisie à l’Arabie et la soumettre au Qatar!
Ce faisant, il a montré à quel point il méprise les Tunisiens et ne maîtrise ni leur culture ni leur histoire, quand il déclare à un journal turc que s’il est musulman, c’est à Sinan Pacha qu’il le doit et si la Tunisie est un pays musulman, c’est aux Ottomans qu’elle le doit !
Curieux qu’il n’ait pas précisé que son islam est kharijite, un schisme comme le wahhabisme, celui-là même qui a servi à mettre fin à l’empire Ottoman, à l’opposé de l’islam des Ottomans dominé par le soufisme que combattent les Frères musulmans. Ce que les Tunisiens ont vu à l’œuvre lors du saccage des mausolées de Sidi Bou Saïd, de Saïda Manoubia, en 2012 et 2013, en plein règne de la «troïka», la coalition dirigée par Ennahdha… Mensonge et populisme dont il a l’habitude.
Les mensonges historiques
Heureusement que certains ont relevé les énormités qu’il débitait pour les corriger. Ainsi Jafar Mansour Lakhal le reprend et lui rappelle certains faits et certaines dates importantes de l’histoire de la Tunisie.
Tout d’abord, que les Turcs n’ont connu l’islam qu’après la chute de Constantinople et de l’empire Byzantin, c’est à dire 1000 ans après la Tunisie.
Si les Ottomans ont chassé les Espagnols de la Tunisie en 1574, c’était pour en faire une colonie ottomane. Sinan Pacha, chef de l’armée de Selim II, n’avait pas islamisé les Tunisiens d’alors puisqu’ils étaient déjà musulmans et bien avant les Turcs, les Espagnols n’ayant pas cherché à les christianiser ni à leur imposer la langue espagnole.
Les Turcs n’étaient que des colonisateurs comme le furent longtemps avant eux les Arabes venus d’Arabie et comme le seront après eux les Français.
Si, au début, les Turcs ont adopté la langue arabe du Coran comme langue officielle, c’était pure stratégie pour mieux dominer des peuples déjà arabophones. Mais petit à petit la langue turque l’a supplantée. Ce qui a fini par inquiéter les arabophones face à la marginalisation de la langue arabe.
Un mouvement arabiste va naître alors parmi les intellectuels mécontents. Dans un premier temps, c’est pour défendre la langue arabe mais très vite leur mouvement va prendre une tournure politique pour devenir un mouvement anticolonialiste contre les Ottomans d’abord, puis contre leurs successeurs, les Européens !
Dans sa foulée va naître aussi Ennahdha (traduire : renaissance), un mouvement islamiste à visée anticolonialiste lui aussi! Mais voilà les pan-arabistes tout comme leurs pan-islamistes vont dévoyer ces mouvements politiques de décolonisation pour en faire des instruments de recolonisation; jusqu’à dévoyer leurs concepts tel qu’«ennahdha» que Ghannouchi adoptera pour son parti et qui devient synonyme d’obscurantisme et de perte de souveraineté.
Les pan-arabiste veulent dissoudre la nation tunisienne dans un magma qu’ils nomment «Oumma Arabia», et les panislamistes dans un autre magma qu’ils nomment «Oumma Islamiya». Dans l’un comme dans l’autre cas, la Tunisie perdant toute souveraineté !
Or si Bourguiba les avait combattus à juste titre, c’est qu’il savait le danger que ces deux mouvements politiques représentaient (et représentent toujours) pour la Tunisie à laquelle il voulait rendre sa souveraineté.
Alors à quelle identité les Tunisiens doivent-ils se raccrocher ? A l’arabe ou à la Turque ? Sachant que les Turcs n’ont rien à voir ethniquement avec les Arabes.
De toute façon, dans les deux cas, il souhaite revenir à l’ère des colonisations en remettant la Tunisie sous tutelle.
Ainsi donc la culture de Ghannouchi se le limiterait à ces deux ethnies colonisatrices de la Tunisie? Ignorant ou semblant l’ignorer que l’identité du Tunisien est plurielle et riche de toutes les ethnies qui ont croisé l’histoire de cette terre tunisienne, ce que les Tunisiens revendiquent fièrement en parlant de leur «tunisianité». Ce que Bourguiba aussi avait compris quand il a avait adopté le bilinguisme en décidant d’’enseigner le français sans complexe aux petits Tunisiens leur ouvrant ainsi les portes du savoir, des sciences et de la technologie.
Il faut être aigri et complexé pour ne pas dire malade mental pour vouloir soumettre les Tunisiens au Qatar ou à la Turquie et vouloir leur apprendre la langue turque en rejetant l’anathème sur la langue française.
Et c’est cet aventurier, sans foi ni loi, que suivent Béji Caïd Essebsi et son parti Nidaa Tounes, héritiers, nous disent-ils, de Bourguiba, le libérateur des Tunisiens ?
Curieux Béji Caid Essebsi et curieux sont les hommes de Nidaa qui se laissent mener par le bout du nez par un tel personnage !
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