Changer une énième fois de gouvernement serait une absurdité et une infantilisation de l’opinion publique. C’est au système politique paralysant en place en Tunisie qu’il faut sérieusement s’attaquer.
Par Chedly Mamoghli *
Le problème actuel de la Tunisie n’est pas un problème de gouvernement, même si des incompétents notoires doivent partir et au plus vite. Nous avons changé 36.000 fois de gouvernement depuis 2011 et la descente aux enfers continue et à vitesse grand V. Même si on nomme Sir Winston Churchill ou le général de Gaulle à la tête de notre gouvernement, il ne pourra pas faire grand-chose car sa marge de manœuvre sera réduite.
Le problème de la Tunisie qui la paralyse n’est pas un problème de gouvernement. C’est plus profond, c’est un problème de système. Ce problème de système inclut quatre éléments:
1/ D’abord, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). La centrale syndicale, qui a certes toujours eu son mot à dire dans l’Histoire contemporaine du pays, n’est plus importante ou puissante. Elle est devenue hégémonique («itghawlit»). Elle est devenue plus puissante que l’Etat (avec ses 3 pouvoirs: exécutif, législatif et judiciaire). Elle bloque tout, empêche toute réforme et se mêle de questions stratégiques qui ne sont pas de son ressort et qui lui échappent. Les syndicalistes n’ont pas le niveau pour s’atteler sur ces questions stratégiques qui sont du ressort des commis et des hommes d’Etat et des experts qui doivent les conseiller.
2/ Ensuite, il y a le problème de la Constitution qui crée un réel conflit de compétences entre les deux têtes de l’exécutif et on le vit aujourd’hui avec un président et un chef de gouvernement qui sont de la même majorité alors que dire si on était en cohabitation avec un président et un chef de gouvernement de bords politiques opposés?
Ajoutons à cela le fait que Béji Caïd Essebsi, qui a toujours évolué dans un régime présidentiel, considérera toujours que c’est le président qui est le patron. Appelez le titulaire de la primature, Premier ministre, chef de gouvernement ou que sais-je encore, pour lui il restera toujours un numéro 2 dont il est le patron. Il a été formé comme ça, il est formaté comme ça. Dans sa logique, le pouvoir ne se partage pas.
3/ Egalement, il y a le grand problème, l’immense problème du mode de scrutin qui ne permet pas de dégager une majorité stable qui puisse gouverner. Le mode de scrutin proportionnel plurinominal que nous avons est un véritable boulet que nous traînons.
4/ Enfin, le quatrième élément, c’est Ennahdha. Le parti islamiste a été durant des décennies non pas un parti d’opposition mais un parti de contestation (et en plus dans la clandestinité). Il est loin d’être un parti de gouvernement et loin de l’être devenu et malgré ça, il a exercé et incarné le pouvoir en 2012 et en 2013 et depuis 2015, il est revenu aux affaires dans le cadre de l’alliance avec Nidaa Tounès. Et par conséquent, on a vu et on continue de voir les dommages collatéraux qu’il a causés et qu’il continue de causer. Le fait qu’un parti qui ne soit pas encore un parti de gouvernement, qui n’a pas encore mûri et qui exerce le pouvoir, c’est comme si on donnait le volant d’une voiture à un enfant.
Donc, ces quatre éléments composent le système qui paralyse la Tunisie et qui est à l’origine de tous ses maux. Il faut s’attaquer à ces quatre éléments de ce système paralysant. Changer une énième fois de gouvernement serait une absurdité et une infantilisation de l’opinion publique. Cela créerait peut être un espoir – de courte durée – puis les citoyens déchanterons de nouveau car nous serons rattrapés, une énième fois, par les démons de ce système qui ne cesse de prouver ses limites.
* Juriste.
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