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Qu’a dit Jourchi, membre de la Colibe, à la fondation Temimi ?

Dans une guerre sale, tout est permis, non seulement l’à peu près, mais le mensonge aussi. Ainsi est la guerre engagée contre la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), ce qui impose d’y mettre fin par un projet de loi.

Par Farhat Othman *

C’est une guerre sale qui est déclarée en Tunisie contre la Colibe. Et il n’est pas étonnant que l’on détourne ou exagère les propos de Slaheddine Jourchi, membre de la Colibe, lors de sa communication à la fondation Temimi, samedi 7 juillet 2018.

Cela indique bien que les ennemis des propositions de cette commission entendent faire feu de tout bois pour empêcher la moindre réalisation de ces non seulement judicieuses, mais fatales propositions. Qu’a dit au juste M. Jourchi chez M. Temimi ?

Ce qu’a vraiment dit M. Jourchi

Rien de bien spécial de ce que l’on sait déjà de celui qu’on pourrait qualifier d’islamiste de gauche. Ses propos ont été mal interprétés, sinon déformés. Nous passerons en revue ce qu’on rapporte de lui, le resituant dans son contexte tout en le commentant.

Il a bien parlé de la venue aux auditions des ambassadeurs occidentaux dont d’aucuns ont parlé de l’abolition de l’homophobie. Qu’est-ce de plus normal dans le cadre de la mission diplomatique et de celle de la commission auditionnant tous ceux qui ont un avis à donner et souhaitant être entendus?

Certes, M. Jourchi formule une critique que nous avions faite dès la publication du rapport, à savoir une certaine tendance par trop laïque — et moi je dis carrément laïciste — qui l’a surpris. Mais il laisse bien entendre avoir pesé de tout son poids pour contrebalancer cela. On doit lui attribuer la mise en préambule du rapport la dissertation sur la faisabilité de l’égalité successorale en islam qui devait figurer en fin de rapport.

J’ai déploré, au demeurant, qu’on n’ait pas reproduit une telle démarche impérative pour les autres droits évoqués dont particulièrement l’homosexualité. Surtout que la littérature existe désormais prouvant que l’islam n’a jamais été homophobe.

Assurément, cela aurait évité la position bancale de la Commission sur la question qui appelle à la reconnaissance de l’homosexualité dans son projet de Code tout en admettant, par ailleurs, qu’elle soit passible d’une peine pécuniaire.

Malgré cette critique, M. Jourchi ne regrette ni sa participation ni ne juge injustifiée cette commission ou de la nécessité de parler des sujets qu’elle a traités. Il estime même que c’est fatal et que cela s’impose. Il reste certes la question de savoir si c’est le moment, mais il ne la tranche pas, laissant ouverte l’appréciation.

Par contre, il est catégorique sur deux points essentiels à ses yeux : la nécessité d’impliquer les experts de la religion, ce qui a fait défaut à la Commission, et le fait que l’on ne saurait désormais plus imposer par fait de prince des réformes rejetées par la société, ne serait-ce que du fait de l’obligation du passage par le parlement.

Sur ces deux points, je nuancerai la validité de la position de M. Jourchi en notant d’abord que l’islam n’a pas d’église, et donc ses experts ne sont pas et ne doivent pas être des religieux qui ne sont que des porteurs d’un dogme qui a été voulu comme étant la loi religieuse et qui n’est que son interprétation pouvant et devant évoluer, tout en étant ouverte à tout un chacun, civil ou religieux en islam, sous la juste condition de la bonne foi et du savoir.

S’agissant de la réforme qui ne s’impose plus de haut, elle ne doit pas moins l’être par la loi, seule en mesure de faire évoluer la société quand celle-ci est tenue en totale arriération par certaines élites qui trompent la majorité sur ses droits et libertés au nom d’une conception altérée de leur foi. C’est ce qu’a fait Bourguiba que Jourchi cite d’ailleurs, admettant sa démarche et la validant.

Notons que Jourchi considère aussi que la notion d’État civil s’est imposée depuis qu’on l’a acceptée dans la Constitution; aussi note-t-il qu’elle implique, tout autant que les dispositions de la constitution en matière de droits et de libertés citoyennes, que l’on évoque enfin les questions tues à ce jour au nom d’un dogme qui ne peut pas ne pas évoluer sinon il relèvera de Daech.

Il dénonce, à ce propos, ceux qui appellent à un respect obscurantiste des préceptes de l’islam, précisant que c’est exactement ce que fait Daech qui, dit-il, est doté de très bons jurisconsultes traditionalistes, dont la caractéristique est donc d’être bornés. Et il demande ; veut-on cela en Tunisie, comme de jeter les gays des hauteurs des immeubles? Sa réponse ne fait pas de doute !

Contrer utilement la désinformation

On ne peut douter, comme on veut le faire accroire, de la volonté réformatrice de M. Jourchi; la question n’est pas si elle existe, mais jusqu’où peut-elle aller ? Il évoque, par exemple, le cas de la Turquie disant que l’islam y est bien respecté, rappelant qu’on y reconnaît l’homosexualité et l’égalité successorale. Seulement, il ne va pas jusqu’à soutenir le président Erdogan dans ses velléités de réprimer les libertés citoyennes au nom de l’islam. Va-t-il donc, en Tunisie, jusqu’à soutenir l’abolition de l’homophobie ?

Quant à la nécessité du respect de l’islam et de ce qu’on y présente comme non susceptible d’interprétation, il rejette un tel faux argument, citant nombre de cas supposés intouchables, n’ayant pas moins été réinterprétés ou ne faisant plus l’objet d’application, comme l’ablation de la main au voleur.

On voit bien qu’entre ce qui a été dit globalement par ce membre de la Colibe de manière posée et mesurée et ce qui lui a été attribué il est un abîme, ce qui dit bien l’âpreté de la bataille qui a commencé contre la nécessaire réforme de l’islam en Tunisie; au mieux, ce ne sera qu’un pugilat où il n’y aura que des coups sous la ceinture.

Aussi, il importe aux députés démocrates, pour le moins, de ne pas tarder à soumettre au parlement le code proposé par la Colibe. Bien mieux, et pour obtenir un résultat rapide qui ouvrirait la voie à tous les acquis de ce texte novateur, il serait judicieux de se limiter à un projet de loi qui soit emblématique et facile à adopter, comme celui que nous avons proposé en matière d’égalité successorale et d’abolition de l’homophobie.

C’est bien par ces deux questions éminentes qu’il faut commencer sans plus tarder, car pour différentes raisons Ennahdha, sans le vote duquel rien n’est possible, est prêt à les voter, ou de ne rien faire pour en empêcher le vote.

Les indiscrétions à ce sujet sont de source sûre.

La balle est donc bel et bien dans le camp des humanistes, notamment les députés, dont la présidente de la commission elle-même. N’y aurait-il pas dix députés pour amener le débat au parlement et libérer enfin la Tunisie, avant le 13 août, de deux de ses tares les plus scélérates?

Il serait temps que les démocrates dans ce pays commencent enfin à agir, prenant de la graine sur les ennemis de la démocratie et les intégristes qui ne cessent d’agir. Aussi, au lieu de s’agiter à coup de slogans et de pétitions, bien inutiles, ne relevant que de l’incantation, ils doivent agir; c’est bien l’heure de vérité pour les droits et les libertés en Tunisie !

* Ancien diplomate et écrivain.

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