Caïd Essebsi, l’arbitre qui siffle dans un seul sens…
Souriez, vous êtes en Tunisie, le pays de Tararani, où un chef du gouvernement, adoubé par le président de la république, doit supporter les frasques du fils de ce dernier, qui ne cesse, depuis trois ans, de détricoter l’œuvre de son père, qui s’adresse à l’opinion pour lui vanter les mérites de la pelote de laine…
Par Salah El Gharbi *
Dans l’interview diffusée dimanche soir, 15 juillet 2018, par Nessma TV, Béji Caïd Essebsi a recouru à la même comédie pathétique qui lui permit de se débarrasser de l’ex-chef de gouvernement Habib Essid, en 2016 : livrer en pâture le successeur de ce dernier, Youssef Chahed.
Mise à mort ou harakiri ?
Mais l’interview, trop bien orchestrée par le patron de Nessma TV, Nabil Karoui, le conseiller politique de la présidence de la république, Noureddine Ben Ticha, et le directeur exécutif autoproclamé de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi, tous trois pressés de voir le chef du gouvernement partir, a viré au dérisoire voire au ridicule et n’a pas atteint son but. Et pour cause : la ficelle était grosse…
L’interview fut de bout en bout un réquisitoire contre Chahed où l’illustre interviewé tentait désespérément de rallier l’opinion publique contre ce dernier… Mais la mise à mort espérée n’a pas eu lieu. Ce fut plutôt à un harakiri politique du chef de l’Etat que les Tunisiens ont assisté, non pas surpris, mais écœurées de voir leur président descendre aussi bas.
Le père, le fils…
Béji Caïd Essebsi a critiqué Youssef Chahed à propos du choix de ses collaborateurs, ses relations avec les corps intermédiaires, ses ambitions présidentielles, etc. Le chef du gouvernement serait même responsable de la mort des agents de la garde nationale lors de l’attentat de Jendouba, le 8 juillet, affirmation qui, dans la bouche d’un mauvais journaliste, aurait fait sourire, que dire alors quand elle est proférée par un chef d’Etat ?
Si on ne peut être surpris par l’acharnement des deux journaleux de service, qui avaient du mal à dissimuler leur parti- pris, ou du moins celui de leurs patrons respectifs (il faut bien manger), l’attitude du président de la république a été sidérante pour beaucoup de Tunisiens qui continuaient à croire encore en lui… Il a beau essayé de truffer son discours de sophismes, il était peu convaincant, car cynique et méchant.
Après un silence assourdissant de quelques mois, Béji Caïd Essebsi monte au créneau pour nous dire implicitement qu’il se prépare déjà pour les présidentielles de 2019 (il aura alors approché les 100 ans)… L’ambition de Youssef Chahed, qui est, rappelons-le, sa «créature», devient soudain un obstacle… Information : le président serait «en bonne santé» et prêt pour le combat… Reste à savoir lequel. Il compte sur le «code des libertés», qu’il s’apprête à sortir de son chapeau de prestidigitateur, pour faire oublier à la partie éclairée de sa base ses déboires et ceux de son fils, dont il cherche à servir les ambitions politiques, démesurées au regard d’une majorité de Tunisiens, qui ne supportent plus que leur destin soit pris en otage par des… familles ou des clans.
… et l’empêcheur de tourner en rond.
Les mérites de la pelote de laine
Que l’actuel chef de gouvernement ait commis des erreurs d’appréciation et fait des choix douteux, on pourrait toujours les signaler et les critiquer, mais que le président fasse semblant d’ignorer l’acharnement de Hafedh Caïd Essebsi sur le gouvernement et son chef et qu’il passe totalement sous silence les nuisances de son fils, voilà qu’une majorité de Tunisiens ont du mal à lui pardonner.
Tant de hargne contre Chahed, devenu soudain son ennemi juré et sa principale cible, ne saurait être expliquée et encore moins justifiée…
Souriez, vous êtes au pays de Tararani, où le chef du gouvernement, adoubé par le président de la république, doit supporter les frasques du fils de ce dernier, qui ne cesse, depuis trois ans, de détricoter l’œuvre de son père, un père qui s’adresse aujourd’hui à l’opinion publique pour lui vanter les mérites de la pelote de laine…
* Universitaire et écrivain.
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