Le trône de Kamel Eltaïef est-il en train de vaciller? Hier soir, 28 juillet 2018, Hichem Fourati a obtenu la confiance de l’ARP, tous les observateurs avertis savent que c’est un pas décisif dans la dé-kémalisation du ministère de l’Intérieur, épicentre de l’influence de l’homme de réseaux.
Par Imed Bahri
Le but a été inscrit hier soir peu après 21H à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Hichem Fourati, candidat de Youssef Chahed devenu bête noire des lobbies et lui-même commis de l’Etat n’ayant aucune accointance avec aucun lobby, obtient la confiance de l’Assemblée après une guerre livrée pour faire capoter sa nomination. Une guerre débutée mardi soir à peine sa nomination rendue publique. Que pèse désormais M. Eltaïef au ministère de l’Intérieur?
Kamel Eltaïef et le ministère de l’Intérieur
Véritable cœur d’influence de l’homme de réseaux Kamel Eltaïef depuis des décennies, le ministère de l’Intérieur semble lui échapper. À l’apogée du régime Ben Ali et de la puissance de l’ancienne première dame Leila Ben Ali et en pleine disgrâce, M. Eltaïef a pu conserver les siens au sein de la lugubre bâtisse de l’avenue Bourguiba. Au lendemain du 14 janvier, son influence au sein de ce département, véritable Etat profond, est allée crescendo. Mis à part la parenthèse du très maladroit et très bavard Farhat Rajhi, qui a critiqué dans une vidéo M. Eltaïef et auquel il a attribué d’une manière exagérée un gouvernement de l’ombre, M. Eltaïef a toujours gardé la main sur sa chasse gardée.
Même sous la présidence de Moncef Marzouki et lorsque les islamistes gouvernaient le pays et qu’Ali Laaryadh dirigeait le ministère de l’Intérieur, il n’y a pas eu de dé-kémalisation de ce ministère. Car M. Eltaïef possède une intelligence politique et sait tirer bénéfice de chaque phase politique vécue par le pays et de chaque conjoncture que traverse la nation.
Après le 14 janvier et avec le vent de la liberté qui a soufflé sur le pays et avec la volonté de démocratisation du pays qui était conjuguée à l’affaiblissement de l’Etat, une opportunité a été saisie au sein des institutions sécuritaires, celle de créer les fameux syndicats des différents corps sécuritaires.
La naissance des syndicats sécuritaires a dépassé le taux de fertilité de l’Inde. Ils ont poussé comme des champignons. Il y a même des corps qui comptent plus d’un syndicat.
De cette gabegie des syndicats sécuritaires naîtra une véritable guerre des polices car chaque syndicat rebat nos oreilles en nous prenant pour des naïfs en disant qu’ils œuvrent par pur amour désintéressé de la patrie, or c’est faux, chaque syndicat représente un lobby, un clan et chaque clan a ses propres marionnettistes. Une aubaine pour M. Eltaïef qui pour combattre les islamistes qui ont tout fait pour s’emparer de l’appareil sécuritaire et donc de raser son influence, a saisi l’occasion que lui présentait l’émergence des syndicats sécuritaires pour mener sa guerre de survie au sein de son cœur d’influence, le ministère de l’Intérieur.
À la fin, les islamistes partiront et l’influence de M. Eltaïef restera.
Aujourd’hui Youssef Chahed, et ce depuis des mois, procède à une dé-kémalisation méthodique et profonde du ministère de l’Intérieur. M. Eltaïef se sent dépossédé du bijou le plus précieux de son influence et de sa puissance. M. Chahed, déclara la guerre à M. Eltaïef, le 3 mars dernier, en débarquant celui qui était très proche de M. Eltaïef, que certains considèrent comme ses yeux à l’Intérieur, Taoufik Dabbabi, directeur général de la sûreté nationale, qui constituait avec Lotfi Brahem, ministre de l’Intérieur, le binôme le plus pro-Kamel Eltaïef de l’Histoire du ministère de l’Intérieur. Même sous M. Ben Ali, de 1987 jusqu’au début des années 1990 quand il était l’homme le plus puissant de la République après le président Ben Ali , M. Eltaïef a dû composer avec ses ennemis que M. Ben Ali nommait à la tête du ministère de l’Intérieur pour faire l’équilibre. M. Eltaïef a dû composer avec ses ennemis Chedli Naffati et Abdallah Kallel. Mais en ayant, il y a quelques mois à peine, le duo Brahem-Dabbabi à la tête de l’Intérieur, M. Eltaïef disposait d’une influence sans pareille au sein de ce département, au sein de l’appareil sécuritaire et au sein de l’appareil d’Etat, une influence enviée et crainte.
Tout le monde à Tunis savait que M. Eltaïef a repris de sa superbe et est redevenu un des principaux détenteurs du pouvoir du pays. Ce qui a dérangé M. Chahed qui voyait que M. Brahem, désormais maître du ministère constituant l’Etat profond de la République et soutenu par le lobby le plus puissant du pays, constituait un danger pour sa pérennité en tant que chef de gouvernement et pour sa survie politique tout court.
La dé-kémalisation du ministère de l’Intérieur
M. Chahed, en bon tacticien sous-estimé par ses adversaires, commença le 3 mars par limoger M. Dabbabi, c’était le premier pas entrepris vers la dé-kémalisation du ministère de l’Intérieur. Le très pro-Kamel Eltaïef, Lotfi Brahem, se retrouva non plus en duo mais seul aux commandes. Le 6 juin dernier, M. Chahed débarqua à son tour M. Brahem.
L’influence de M. Eltaïef à la tête du ministère de l’Intérieur se retrouvait amputée. M. Chahed ne s’est pas arrêté là, il a continué et a opéré une série de nominations afin de combler des vides à la tête de postes sécuritaires. Ces nominations ont été vécues comme anti-Kamel Eltaïef par ce dernier et par ses proches, d’ailleurs les pages Facebook sponsorisées qui défendaient aveuglement M. Brahem et insultaient M. Chahed ont décrié ces nominations et ont présenté M. Brahem comme un lion et M. Chahed comme un amateur qui ne comprend rien à rien. In fine, M. Eltaïef a vu son influence s’effriter.
Dernier épisode, mardi 24 juillet, M. Chahed nomme le commis de l’Etat et énarque de formation M. Hichem Fourati, ministre de l’Intérieur et saisit l’ARP pour un vote de confiance. La campagne anti-Fourati s’emballe. Il faut lui barrer la route. Il est nommé par Chahed donc c’est un homme de Chahed. Il ne faut pas que M. Fourati obtienne le vote de confiance pour punir M. Chahed et pour que la dé-kémalisation du ministère de l’Intérieur ne se poursuive pas.
Naturellement le chef du gouvernement informe le président de la République de son choix. En vertu de la Constitution, quand il s’agit du ministre des Affaires étrangères et du ministre de la Défense, il faut non seulement informer le président mais avoir son aval mais quand il s’agit de la nomination à la tête d’un autre ministère y compris l’Intérieur, il faut juste informer le président et non pas avoir son aval.
Pour bousiller et compromettre la nomination de M. Fourati et nuire au chef du gouvernement Youssef Chahed, l’âme damnée de M. Eltaïef, Noureddine Ben Ticha, devenu on ne sait-comment conseiller du président, a déclaré que Youssef Chahed a juste informé le président ni plus ni moins. Saïda Garrache, porte-parole de la Présidence rectifia le tir en disant que toutes les conditions de la nomination sont remplies et par conséquent, qu’elle est conforme à la loi. La tentative de M. Ticha, en soufflant sur les braises, n’a pas abouti. Un flop total. L’amateurisme de M. Ticha a affecté l’institution présidentielle.
Toutefois, le lobbying au sein du clan soutenant la famille Caïd Essebsi qui livre une interminable guerre d’usure à M. Chahed a tout fait pour faire capoter la nomination de M. Fourati à l’Assemblée mais à la fin M. Fourati a fini par avoir la confiance de l’Assemblée et il est devenu ministre de l’Intérieur comme l’a voulu M. Chahed.
La dé-kémalisation du ministère de l’Intérieur a connu un pas décisif et important avec la nomination de M. Fourati mais ce n’est aucunement la fin de l’influence de M. Eltaïef au ministère de l’Intérieur dont l’ampleur des réseaux n’a d’égale que leur discrétion. Egalement M. Eltaïef est un homme opiniâtre et qui ne lâche jamais prise…
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