Dans son dernier film, ‘‘Subutex’’, Nasreddine Shili a relégué le sujet de l’homosexualité au second plan et s’est éclipsé quand il le fallait pour dresser un portrait tout en subtilité d’un «couple» de jeunes dont les paroles et les gestes basculent entre vive violence et tendre affection dans des plans-séquences à couper le souffle.
Par Fawz Ben Ali
Le tant attendu documentaire ‘‘Subutex’’ de Nasreddine Shili sorti, mercredi 5 décembre 2015 dans les salles tunisiennes, avait été projeté dans la compétition officielle des longs-métrages documentaires des dernières Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2018).
Le dernier film de l’acteur, producteur, cinéaste et activiste tunisien n’est pas passé inaperçu, loin de là, il a fait comme l’effet d’une bombe. Mais il ne semble pas avoir forcé l’admiration des membres du jury qui ne lui ont pas décerné de prix.
Heureusement, son écho ne s’est pas éteint aux JCC, puisque le film est actuellement dans nos salles de cinéma, chose plutôt rare pour un documentaire.
Nasreddine Shili était présent, le lundi 3 décembre, à la Cinémathèque tunisienne, lors d’une séance spéciale pour la presse pour présenter et défendre ce projet cinématographique qu’il avait mis plus de 4 ans à filmer dans des conditions assez particulières.
Un tournage pas comme les autres
‘‘Subutex’’ suit le quotidien de Rzouga et Fanta, deux amis-amants originaires du quartier de Bab Jdid. Rzouga, expulsé d’Italie depuis quelques années, a réussi à mettre fin à sa toxicomanie, il joue le rôle du protecteur auprès de Fanta qu’il avait initié à la drogue, alors que ce dernier plus naïf et fragile a encore beaucoup de mal à s’en défaire alors qu’il est diagnostiqué porteur du virus de l’hépatite C, tout comme leur troisième ami Nega.
Le trio mène une vie de clandestinité, squattant un vieux hammam à Bab Jdid, ils se débrouillent tant bien que mal à survivre au jour le jour à travers de petits boulots souvent dans l’illégalité.
Beaucoup l’ont jugé vulgaire, sans intérêt, voire hors cinéma, mais ‘‘Subutex’’ témoigne d’un grand humanisme; rarement le cinéma tunisien n’est allé aussi loin dans le réalisme social sans pour autant tomber dans le voyeurisme ni le jugement.
Pas de voix off, pas de questionnement, ni d’intervention même dans les scènes les plus violentes, voire sanglantes.
Nasreddine Shili qui s’était fait discret lors du tournage, s’est exposé à un réel danger au cœur des bagarres nocturnes les plus violentes, un choix entièrement assumé par cet artiste qui se moque des codes préétablis qu’ils soient esthétiques ou moraux.
Il aura fallu 3 mois et demi à Nasreddine Shili pour tâter le terrain et devenir un des leurs avant de ramener sa caméra. «Cela dit, j’ai commis une faute quand j’ai ramené une équipe technique au début du tournage, cela a déstabilisé les personnages et j’ai dû revenir seul avec le deuxième réalisateur Mourad Mehrzi pour regagner leur confiance et préserver la spontanéité de leur comportement», explique le cinéaste.
Qui sème la misère, récolte la violence
‘‘Subutex’’ est un voyage inattendu dans l’univers de personnes qu’on aurait dédaignées dans la vie de tous les jours mais que Nasreddine Shili a su ramener à la lumière. On n’est pas loin des régions de Tunis, on est au cœur des quartiers vivants de la capitale entre Bab Jdid et Hay Hlel. «Là où j’ai filmé il n’y avait aucune pharmacie, ni d’ailleurs aucun poste de police», précise le cinéaste. On est dans des quartiers où beaucoup de jeunes sombrent quotidiennement dans l’alcoolisme, dans la drogue et dans toute sorte de violence pour échapper à la misère, au chômage et à la discrimination. Le film pointe ainsi cette absence totale de l’Etat et de ses institutions.
Lorsque Fanta souhaite mettre fin à sa toxicomanie, il ne trouve aucun soutien médical, psychologique ou social, il n’a que son ami Rzouga. Et c’est là que le film rentre dans le cinéma social, militant et surtout actuel pour souligner l’inefficacité des gouvernements qui se suivent et se ressemblent dans l’échec de sauver les jeunes marginaux.
L’homosexualité est reléguée au second plan dans ce film, car ce n’est pas forcément ce dont a voulu parler Nasreddine Shili, qui a su s’éclipser quand il le fallait pour dresser un portrait tout en subtilité de ce «couple» dont les paroles et les gestes basculent entre vive violence et tendre affection dans des plans-séquences à couper le souffle.
‘‘Subutex’’ (interdit aux moins de 16 ans) est en ce moment dans les salles : Le Rio, l’ABC (centre-ville de Tunis), Amilcar (El-Manar) et Ciné-Madart (Carthage).
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