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Les calculs d’Ennahdha derrière le soutien de la candidature de Abdelfattah Mourou à la présidentielle

Jeu de rôles dans une république d’opérette.

Il a fallu attendre hier, mardi 6 août 2019, en fin de soirée, pour qu’Ennahdha se résigne à désigner son vice-président Abdelfattah Mourou pour défendre ses couleurs à l’élection présidentielle anticipée du 15 septembre prochain. Une décision qui laisse supposer des calculs politiques et électoraux. Décryptage…

Par Ridha Kéfi

Le verbe «se résigner» utilisé ci-haut s’imposait, car le mouvement islamiste ne voulait pas présenter un candidat à cette consultation électorale, n’étant pas intéressé par le poste de président de la république, plutôt honorifique dans le système politique mis en place par la constitution de 2014, et il a maintenu le suspense, jusqu’à la dernière minute, sur un éventuel soutien à un candidat de l’extérieur du mouvement. Des discussions étaient même menées, en parallèle, avec le chef du gouvernement Youssef Chahed et le ministre de la Défense Abdelkrim Zbidi, le but étant de s’assurer une éventuelle coopération à l’avenir. Certains dirigeants islamistes étaient même favorables à un soutien à la candidature du magnat de télévision Nabil Karoui et son parti Qalb Tounes, donnés, jusqu’à récemment, en tête des sondages.

Les petits calculs de cheikh Ghannouchi annoncent les grandes manœuvres à venir

Le président du mouvement a finalement tranché le débat en proposant lui-même, à la dernière minute, le nom de Abdelfattah Mourou, sachant que ce dernier fait l’objet d’un consensus interne.

En fait, Rached Ghannouchi était opposé à une candidature interne pour la présidence de la république par conviction et par calcul : il voulait éviter un camouflet électoral, étant convaincu qu’aucun dirigeant islamiste, y compris lui-même, le candidat pour ainsi dire naturel, ne pouvait recueillir les suffrages d’une majorité d’électeurs pour siéger au Palais de Carthage, et que son parti n’a pas intérêt à cumuler tous les pouvoirs, législatifs et exécutifs, d’autant qu’il est d’avance assuré de dominer la prochaine Assemblée des représentants du peuple (ARP).

Pourquoi donc ce changement de cap de dernière minute ?

On peut avancer plusieurs explications. La première est que le vieux cheikh, dont le leadership est désormais ouvertement contesté par d’autres dirigeants du mouvement, ne peut continuer à imposer ses vues et à exercer une sorte d’autoritarisme de fait auquel sa position d’argentier – il possède les clés de la caisse – l’habilite, au risque de voir la grogne actuelle se transformer en contestation ouverte et faire éclater le semblant d’unité affiché actuellement.

Or, lors des précédentes réunions de Majlis Choura consacrées au sujet de la candidature à la présidentielle, M. Ghannouchi a vu se dessiner une majorité en faveur d’un candidat islamiste et M. Mourou était perçu comme «l’oiseau rare» susceptible de défendre les couleurs d’Ennahdha. Et pour cause, avec son profil de «beldi» (bourgeois tunisois), policé, drôle et charmeur, il offre un profil plus avenant et, en tout cas, moins sulfureux que ceux d’autres dirigeants islamistes, souvent raides, frustes et ombrageux. L’homme de loi (il est avocat de profession) qui assure l’intérim de la présidence de l’Assemblée a donc, aux yeux de ses «frères» islamistes, plus de chance de recueillir les suffrages de ses concitoyens et peut-être passer au second tour, même si on ne le voit pas remporter le scrutin final.

D’ailleurs, au regard du chef d’Ennahdha, il ne devrait pas le faire, le but de la manœuvre étant de montrer que le mouvement islamiste est, contrairement à ce que l’on dit souvent, capable de présenter un candidat pour la présidentielle, et non pas de remporter la course pour le Palais de Carthage. De là à penser que M. Ghannouchi a envoyé M. Mourou au charbon en pariant sur sa défaite annoncée, il y a un pas que l’on est tenté de franchir.

Ennahdha a planté le décor, les comédiens peuvent entrer…

En fait, et c’est là la seconde raison, Ennahdha veut maintenir de bonnes relations avec tous les autres candidats en ne soutenant ouvertement aucun d’entre eux, car le mouvement est conscient qu’il ne pourra pas remporter les législatives avec une majorité absolue (il n’y est jamais arrivé jusque-là) et qu’il aura donc besoin de s’allier avec d’autres partis pour constituer une majorité gouvernementale.

Ne soutenir aucun candidat de l’extérieur d’Ennahdha pour ne s’aliéner aucun d’entre eux, en perspective des manœuvres politiques à venir, voilà la devise du parti islamiste actuellement.

Garder de bonnes relations avec tous les candidats vise aussi à garder une marge de manœuvre avec celui d’entre eux qui sera le prochain président de la république, sachant que la compétition s’annonce dure et qu’aucun candidat ne semble se détacher du lot : ce sera une arrivée au finish, comme on dit dans le jargon du sport.

Il y a aussi une autre raison à ce choix tactique : éviter de se trouver, lors de la campagne électorale, dans la position inconfortable du punching ball, celle du parti à abattre que tous les candidats des autres partis attaquent. Et là, on peut parier qu’à l’exception de Abir Moussi (et son PDL) et de Mongi Rahoui et Hamma Hammami (et leur Front populaire), on n’entendra pas (ou très peu) d’attaques frontales contre Ennahdha de la part des candidats des autres partis. Et cela, on l’imagine, est bon à prendre par le parti islamiste, qui veut éviter que certains sujets gênants (pour lui) soient au cœur de la campagne à venir.

A ce propos, on peut d’ailleurs parier qu’on entendra peu parler, dans les prochaines semaines, de l’Organisation secrète d’Ennahdha, du procès des assassins de Chori Belaid et Mohamed Brahmi, des réseaux d’envoi des jihadistes tunisiens vers les zones de conflits, et autres joyeusetés où le parti islamiste est impliqué, à un niveau de responsabilité ou un autre.

Ennahdha a donc ainsi planté le décor qui lui convient le mieux, les grandes manœuvres commencent et le spectacle est assuré…

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