La campagne électorale pour le 1er tour de la présidentielle anticipée a pris fin vendredi dernier, 13 septembre 2019, deux jours avant le vote ouvert aujourd’hui, dimanche 15 septembre. Elle a été comme prévu assez déprimante… Et ne présage rien de bon pour l’avenir du pays.
Par Dr Mounir Hanablia
Cette campagne était déprimante pour les électeurs particulièrement ceux qui sont à la recherche de l’homme miracle dont ils pensent espérer toujours qu’il sera capable de redresser la barre d’un pays depuis huit ans à la dérive sur le plan économique.
Les prestations collectives télévisées des candidats, impeccablement organisées, ont suscité l’intérêt du public et conféré à ces élections une tenue de haute facture; du moins en apparence.
La Tunisie pauvre et sans ressources apparaît ainsi pour une fois depuis des années vraiment à l’avant-garde du monde arabe en matière de libertés politiques et de conquête pacifique du pouvoir, ce dont, étant donnés les événements actuels au Moyen Orient, dans le Golfe, et au Maghreb, beaucoup de Tunisiens s’enorgueillissent avec raison. Mais au-delà des apparences, il s’est avéré que beaucoup de candidats à la présidentielle ne répondaient pas délibérément aux questions posées par les journalistes par incapacité ou par ruse et utilisaient leur temps de parole pour diffuser des mots d’ordre politiques en espérant influencer les téléspectateurs.
Populisme, démagogie et postures électoralistes
Nous avons eu ainsi droit à un candidat défendant le socialisme des années 60 avec l’application de la chariâ et dénonçant le colonialisme français en Tunisie, au défenseur des collectivités locales au nom de la sécurité nationale et de la répartition équitable des richesses, et au touche-à-tout capable d’émettre des opinions autant sur l’égalité de l’héritage que sur l’accident nucléaire de Tchernobyl.
À côté de ces candidats anecdotiques, d’autres, sans références politiques sérieuses, ont adopté des attitudes d’autorité et un langage pompeux, censés démontrer leur capacité à gouverner.
D’aucuns, jouant la carte du souverainisme, ont fait l’apologie de Victor Orban, le président populiste hongrois, du protectionnisme dans un pays qui ne produit rien, et ont condamné les droits internationaux de l’enfance en tant que législation minant la cohésion et l’autorité de la famille. Last but not least, dans un pays criblé de dettes, et dont le principal créancier est la France, ils ont demandé la révision des traités inégaux avec ce pays, mais en omettant de mettre sur la table les non moins problématiques relations entretenues avec les Etats-Unis, la Turquie, ou le Qatar.
Cette remise en question de la France a fait des remous parce qu’elle s’est accompagnée de l’irruption sur la scène télévisée d’un huissier chargé de récupérer des objets que les candidats n’avaient pas le droit de détenir sur les lieux du débat, conférant ainsi à son auteur l’aura d’un héros défenseur de la cause nationale, empêché de s’exprimer sur un sujet sensible.
Mis à part les populistes démagogues, il y a naturellement eu des personnes maîtrisant totalement le sujet, autant sur la forme de la communication que sur le fond, la plupart du temps des personnes ayant occupé ou occupant de hautes fonctions dans les partis politiques les plus en vue ou au sein de l’Etat. Et il n’y a rien d’étonnant que ces personnes là n’aient nullement remis en cause l’orthodoxie libérale issue de la mondialisation et n’aient pas proposé de solutions originales aux problèmes du pays. Un ancien ministre, candidat parmi les plus en vue, a même prêté le flanc à une attaque en règle impliquant sa propre implication en tant que membre coresponsable du gouvernement lorsqu’il a admis que la corruption était devenue un fléau généralisé qu’il se proposait de combattre. Le chef du gouvernement a été quant à lui qualifié de corrompu par un populiste de gauche.
Mis à part cela le plus remarquable c’est que les islamistes d’Ennahdha ont adopté un discours modéré assez banal, laissant aux candidats populistes l’opportunité de tenir un langage démagogique faisant l’apologie de la religion, de l’identité, et dénonçant les relations entretenues avec la France.
Sanctionner une classe politique globalement déconsidérée
Dans tout ceci personne n’a évoqué les solutions concrètes pour sortir du marasme économique ou pour ne serait-ce qu’améliorer le quotidien des citoyens. Il faut rendre à cet égard justice à un candidat actuellement en fuite à l’étranger et qui avait proposé l’instauration de zones franches financées par les fonds souverains, et l’encouragement de la jeunesse par le financement et le suivi de start-ups pour des activités économiques à haute valeur ajoutée.
Il y a donc un sérieux problème qui se profile à l’horizon lors de ces élections présidentielles et législatives. Les candidats les plus expérimentés et les plus compétents, et parfois, les plus intègres, ne semblent malheureusement pas bénéficier de la crédibilité nécessaire pour l’emporter à cause de l’implication qui leur est attribuée dans l’échec patent dans la gestion de la chose publique dont les gouvernements successifs ont été responsables durant huit années.
Le gouvernement actuel n’a pas fait l’exception, et le recours à la justice contre des rivaux politiques, qui lui est reproché, ainsi que les avantages conférés par les fonctions à la tête de l’Etat pour mener une campagne électorale tonitruante, n’ont pas amélioré l’image de marque du pouvoir en place. Et ce sont les candidats populistes démagogues, dont l’un est emprisonné, qui semblent actuellement avoir la faveur d’électeurs à la recherche de changements, ou désireux de sanctionner une classe politique globalement déconsidérée. Cela ne présage rien de bon pour l’avenir du pays.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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