Comme prévu, un 1er débat télévisé a été organisé hier soir, lundi 30 septembre 2019, par la chaîne publique Wataniya 1, donnant la parole à neuf candidats et candidates (deux) aux législatives issus de divers partis et formations politiques invités à débattre de leurs programmes et visions politiques, dans une perspective de mobilisation les votes et espérer être présents au prochain parlement.
Par Moktar Lamari, Samir Trabelsi et Najah Attig *
Deux heures durant, divers enjeux ont été discutés et contrairement aux débats organisés pour les élections présidentielles, les enjeux posés par le marasme économique, les déficits des finances publiques et la corruption ont occupé une place de choix.
Les formations politiques représentées sont : i) le parti Amal, ii) le Parti destourien libre, iii) le parti Amal Tounes, iv) le parti Tahya Tounes, v) le parti Ecologie et progrès, vi) le parti El Mahabba, vii) le Parti socialiste destourien, viii) la Formation indépendante Ouled El-Houma, ix) la liste indépendante Citoyens et participants.
Quels sont leurs programmes et visions des enjeux économiques, budgétaires et financiers ? Quoi retenir de ce débat pour élire des députés efficaces et articulés ? Il faut dire que leurs propos étaient fort attendus par les électeurs, dans un contexte de marasme économique, marqué par un chômage inflexible, un pouvoir d’achat divisé par deux, une croissance à genoux, une dette étouffante et un dinar amputé de 66% de sa valeur.
Un débat avec un format renouvelé
Mais avant d’aller plus loin, regardons le format du débat et le casting des interactions entre les candidats, transmises en direct dans les médias, avec toutes les surprises et les improvisations manifestées par les candidats, et aussi les journalistes.
Contrairement aux débats impliquant les candidats aux présidentielles, organisés il y a quatre semaines, le format du débat a été rénové pour une meilleure prise en compte des enjeux économiques et une plus grande fluidité dans les interactions entre les candidats, mais aussi entre les journalistes et les candidats. Cette formule a amélioré la spontanéité et l’attractivité des échanges au sujet d’enjeux parfois complexes et pas toujours familiers aux journalistes et aux candidats.
Mais, dommage que pour les débats au sujet des enjeux économiques, les journalistes n’ont pas été en mesure de faire appel aux chiffres pour étayer l’importance des enjeux discutés : le taux d’endettement, le déficit budgétaire, le nombre de chômeurs, l’investissement, le taux de croissance, la productivité, le déficit de la balance commerciale, etc.
On s’attendait à ce que les objectifs et les programmes mis de l’avant dans le débat soient quantifiés ou mieux cadrés dans un contexte de pression fiscale élevée et de forts déficits budgétaires enlevant toute marge de manœuvre pouvant financer les doléances et les propositions, parfois utopiques, des candidats présents sur le plateau de télévision.
De ce point de vue, les échanges donnaient l’impression que personne ne maîtrisait les quantums décrivant les enjeux économiques examinés.
Les temps forts du débat
À deux reprises, les candidats interrogés ont avoué leur incompréhension du concept sous-jacent à la question posée. Une candidate a étonné les téléspectateurs en avouant son incompréhension de la notion de la gouvernance rationnelle, ajoutant qu’elle ne peut pas définir le concept, amenant le journaliste à expliciter le concept et le définir à la candidate.
Un autre candidat a fait pire, en admettant qu’il ne comprenne pas ce que le journaliste entend par la balance commerciale, et en quoi cela peut être intéressant de tenir compte de ce concept.
D’autres écueils de ce type ont été observés, démontrant l’inculture économique, le faible niveau de formation en finances et le manque de curiosité de certains candidats à l’égard des enjeux d’économie-politique et des instruments requis pour apporter des solutions et des politiques publiques appropriées.
Sur un autre plan, plusieurs candidats se sont mêlé les pédales et dévoilé leur méconnaissance des fondamentaux de l’économie. Pour illustrer cette inculture économique, on se limite à quatre exemples de confusions et incompréhensions tenues.
1) La plupart des candidats ne sont pas en mesure de distinguer entre les missions essentielles de l’État et celles relevant du secteur privé. Plusieurs candidats donnent l’impression que l’État peut tout faire, tout financer et tout prendre en charge. Ces candidats abreuvés aux dogmes de l’État providence pensent que l’État doit tout contrôler et tout commander, comme si ce type d’omniprésence n’a pas de conséquences sur la taille de l’État (sureffectif, corruption, etc.) et sur l’éviction du secteur privé, véritable créateur de l’emploi et de la richesse collective.
2) Plusieurs candidats pensent que les ressources publiques sont illimitées et l’État peut financer toutes les propositions imaginables, sans penser un instant que le budget de l’État est déjà exsangue et les contribuables ne peuvent pas payer plus de taxes pour financer les propositions émises; et qui dans leur ensemble coûtent extrêmement cher dans le contexte des difficultés de l’État à payer les salaires, à rembourser la dette et à avoir de la marge de manœuvre pour investir en santé et en éducation, deux secteurs de plus en plus marginalisés et ayant des infrastructures en décrépitude.
3) Une autre confusion partagée par plusieurs candidats a trait à la confusion entre le diagnostic des problèmes économiques identifiés et les instruments/mécanismes à mettre en œuvre pour solutionner ces problèmes de façon faisable, efficiente et à la portée de la capacité à payer des contribuables. Et ici, la plupart des candidats étaient incapables de distinguer entre les incitatifs économiques et les mesures de contrôle et de pénalisation qui peuvent être utilisés pour lutter contre des fléaux comme ceux de la corruption, la contrebande, ou encore l’intégration du secteur informel dans l’économie formelle.
4) La question de la dévalorisation du dinar et de l’importance de le redresser a aussi été l’occasion de dévoiler un hiatus lié notamment à la faisabilité de certaines propositions voulant interdire l’importation de certains produits, la taxation d’autres produits importés, faisant fi de plusieurs accords internationaux impliquant la Tunisie et des exigences de libre-échange prônées par le FMI pour la Tunisie.
Mais, il y a eu aussi des bonnes nouvelles, quand le débat a permis de mettre en relief, l’importance de la culture du travail, le renforcement de la productivité et l’attractivité des investissements privés pour créer de la richesse, générer la croissance et apporter des solutions au chômage. Et ici, au moins cinq candidats ont décrié les politiques monétaires restrictives imposées à la Tunisie par le FMI et relayées aveuglement par la Banque centrale et le gouvernement, selon leurs dires.
Une candidate n’a pas manqué de souligner l’importance d’alléger la pression fiscale et la mise en place de réformes majeures pour simplifier et harmoniser le système fiscal. La taxe sur la valeur ajoutée a été critiquée et la même candidate a proposé son uniformisation pour des fins de simplification et de modernisation.
Cela dit, quelques thèmes ont été occultés du débat, et on notera ici les réformes douloureuses à mener pour réduire la fonction publique, la purger de ses réseaux de corruption, et privatiser plusieurs sociétés d’État qui sont mal-gouvernées, noyautés par les principaux politiques et grugeant toujours plus de budget public payé par les payeurs de taxes.
* Universitaires au Canada.
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