Après avoir été projeté à la cérémonie d’ouverture de la 30e édition des Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2019), clôturée samedi dernier, 2 novembre 2019, le nouveau film de Nouri Bouzid ‘‘Les épouvantails’’ vient de sortir cette semaine dans les salles de cinéma tunisiennes. Ce long-métrage de fiction est inspiré de faits réels autour du «jihad nikah» ou jihad du sexe, dont beaucoup de Tunisiennes ont été «victimes».
Par Fawz Ben Ali
‘‘Les épouvantails’’ avait été choisi pour ouvrir la session Néjib Ayed où il a été présenté hors compétition et programmé dans la section parallèles «Les JCC dans les régions». Il s’agit du dernier volet d’une trilogie qui avait commencé en 2006 avec ‘‘Making of’’ (Tanit d’or des JCC 2006), puis avec ‘‘Mille feuilles’’ en 2012. Les trois films sont complètement différents avec des histoires et des personnages indépendants les uns des autres. Ils sont cependant liés par une thématique centrale et commune : «l’agression du tissu social par l’esprit islamiste politique», selon Nouri Bouzid.
Une prostitution «halalisée»
Avant de sortir dans les salles tunisiennes, le film a beaucoup voyagé et présenté le cinéma tunisien dans de prestigieux festivals internationaux, comme le Festival international du film francophone de Namur (Belgique), le Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier (France), ainsi que la Mostra de Venise (Italie) où il avait remporté le prix spécial des droits de l’Homme.
Le film se situe en décembre 2013, Zina et Djo, deux jeunes femmes, rentrent en Tunisie après avoir été séquestrées et violées par les jihadistes de l’Etat islamiste (Daech) en Syrie. Un retour que Nouri Bouzid illustre d’abord en filmant les deux victimes dans une cellule de prison, première scène du film, un passage obligé pour tous les revenants du front syrien, précise le cinéaste.
Le film suit cette longue et pénible reconstruction pour deux jeunes femmes aux âmes meurtries, ayant subi les plus horribles des atteintes commises par Daech.
La Tunisie a été le premier exportateur de jihadistes en Syrie par rapport au nombre de sa population, et beaucoup de femmes et de jeunes filles en font partie, certaines partent pour combattre au front, d’autres vont servir d’infirmières, mais il y a aussi celles qui choisissent le «jihad nikah», cette sorte de prostitution halal.
Nouri Bouzid a choisi de parler de cette dernière catégorie et en particulier des jeunes filles qui se trouvent piégées par certains réseaux ou associations islamistes, que l’avocate Nadia, jouée par Afef Ben Mahmoud (également coproductrice du film), est décidée à démanteler, face au silence des victimes qui refusent de porter plainte, par peur d’être accusées ou jugées par leurs proches et par la société.
Un film contre l’oubli
Le film est ponctué de nombreux flash-back en noir et blanc pour raconter l’horreur vécue par les deux rescapées et souligner ce traumatisme qui continue de les habiter. Djo, qui est rentrée avec un enfant au ventre et a perdu sa voix, décide finalement de se donner la mort après avoir tout raconté dans un livre autobiographique qu’elle a intitulé ‘‘Violée’’. Zina, la plus jeune, se réconforte auprès de Driss, une jeune homosexuel renvoyé par tous les établissements scolaires du pays à cause de son orientation sexuelle; un personnage inspiré de l’histoire d’un jeune tunisien qui vit aujourd’hui en France après avoir demandé l’asile politique. Une manière pour Nouri Bouzid d’évoquer la question des libertés individuelles et d’exprimer son soutien à la communauté LGBT, qui continue d’être discriminée et harcelée en Tunisie.
Sept ans après la sortie de son dernier film ‘‘Mille feuilles’’ (2012), Nouri Bouzid signe un nouvel opus où il mise sur de nouveaux visages dans des rôles principaux : Nour Hajri, Mehdi Hajri ou encore Joumene Limam. Un film qui s’inspire de faits réels et qui traduit l’engagement du cinéaste pour les valeurs de la laïcité et pour le respect des droits des femmes et des minorités sexuelles et religieuses.
‘‘Les épouvantails’’ c’est aussi un film contre l’oubli, qui dénonce une certaine complaisance du gouvernement de l’époque, à savoir la «Troïka», coalition conduite par le parti islamiste Ennahdha, vis-à-vis des salafistes et de certains organismes comme la Ligue de protection de la révolution, citée explicitement dans le film.
De plus en plus de films tunisiens parlent des jeunes qui partent combattre au nom de la religion aux côtés de Daech : ‘‘Fleur d’Alep’’ de Ridha Behi, ‘‘Mon fils’’ de Mohamed Ben Attia, ‘‘Les épouvantails’’ de Nouri Bouzid … certains tombent facilement dans les clichés, d’autres sous-estiment le sujet et le traitent superficiellement, et très rares sont les films qui arrivent à capter justement cet aveuglement idéologique dont beaucoup continuent d’être victimes, à travers des drames réalistes qui s’attardent sur le processus de radicalisation ou de manipulation.
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