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Désigné par Ennahdha pour diriger le gouvernement, Habib Jemli doit prouver son indépendance

Dès l’annonce que le choix de chef du gouvernement s’est porté sur Habib Jemli, Ennahdha, du plus haut de sa hiérarchie jusqu’à son rang le plus subalterne, a dit et répété que ce sont les qualités d’homme «indépendant, intègre et compétent» qui ont motivé cette désignation. Restons-en à la première, car elle en dit long sur la stratégie du parti islamiste.

Par Marwan Chahla

Pour se prononcer sur l’intégrité de M. Jemli, s’il est confirmé dans sa fonction de chef du gouvernement, il faudra du temps pour passer au crible sa carrière et s’assurer qu’il mérite bien ce qualificatif… Juger de la compétence du successeur de Youssef Chahed nécessitera également du temps, car il s’agit non seulement de passer en revue ce qu’il a déjà accompli, ce qu’il compte mettre en œuvre à la Kasbah et ce qu’il réalisera. Là-dessus, donc, nous ne nous autoriserons aucun a priori… et nous ne relaierons pas certaines rumeurs qui circulent à ce sujet.

Pour être sûr qu’il n’est pas nahdhaoui…

Son indépendance, par contre, pose un certain nombre d’interrogations, car c’est sur cette qualité d’Habib Jemli que les stratèges de Montplaisir ont le plus insisté.

Tout d’abord, la notion d’indépendance, en elle-même, reste un concept nébuleux et contesté. Qu’Ennahdha dise que, dans ses registres des militants et adhérents, le nom de M. Jemli n’a jamais figuré, cela suffirait-il pour que cet homme ne soit pas au moins un sympathisant islamiste ? Qu’il n’ait pas sa carte de parti, qu’il n’ait pas cotisé ou fait don à Ennahdha ferait-il de lui «une personnalité à égale distance de toutes les formations politiques», comme ils disent ?

Il est clair, donc, que, dans cette désignation d’Habib Jemli, il n’y a pas d’indépendance, de neutralité ou autre impartialité… Devrions-nous poser la question de savoir s’il a voté pour Abdelfettah Mourou, au premier tour de la dernière présidentielle, ou pour un candidat d’Ennahdha, aux législatives du 6 octobre dernier, pour… être sûrs qu’il n’est pas nahdhaoui ?

Attardons plutôt sur ce que cette idée d’indépendance charrie comme ambiguïtés et confusions – tout en gardant à l’esprit cette vérité première qu’Ennahdha, dans sa conquête du pouvoir, a toujours avancé masqué – et pour de multiples raisons.

Les liens entre Habib Jemli avec Ennahdha remontent à (au moins) sa nomination comme secrétaire d’Etat à l’agriculture dans le gouvernement dirigé par l’islamiste Hamadi Jebali.

Les termes du contrat liant Habib Jemli à Ennahdha sont clairs: il y a son «amitié» pour le parti islamiste et son intention de prendre le programme nahdhaoui comme document de base qui sera soumis aux discussions avec les formations politiques et autres corps intermédiaires avec lesquels il négociera la formation de son équipe gouvernementale.  

Une «amitié» en politique, cela veut dire fidélité et plus s’il y a amples affinités: cela peut vouloir dire échange de vues sincère, honnête et d’égal à égal; mais cela peut également vouloir dire que le futur locataire du palais de la Kasbah appliquera à la lettre les ordres de Montplaisir. Hamadi Jébali l’a fait en son temps, jusqu’à n’en plus pouvoir. Ali Laarayedh l’a également fait, jusqu’à ce que le sit-in d’Errahil a eu raison de son obstination.

Appliquer la feuille de route du parti islamiste

Quant au programme nahdhaoui – c’est-à-dire les cinq ou six axes présentés en une vingtaine de pages en arabe –, Habib Jemli retirera peut-être un petit point par-ci et un petit point par-là pour contenter les parties qu’il consultera, pour leur donner l’illusion de les avoir écoutés. Pour l’essentiel, la feuille de route proposée par Ennahdha sera donc la référence de ce que le futur chef de gouvernement mettra en œuvre pendant le temps que durera le mandat qui lui sera accordé.

A l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Rached Ghannouchi et ses troupes nahdhaouies trouveront les moyens, inventeront les consensus et concocteront les potions magiques qui convaincront le nombre nécessaire de représentants pour faire adopter leurs lois et celles qui le seront soumises par la nouvelle équipe gouvernementale – tant que les projets émanant de la Kasbah s’inspireront du programme d’Ennahdha.

Autant dire, donc, que le parti islamiste dirigera les affaires du pays, ainsi qu’il l’a fait depuis le jour où sa «crainte de Dieu» lui a valu 89 sièges au sein de l’Assemblée constituante. Certes, la popularité nahdhaouie s’est érodée, mais les 52 sièges dont il dispose actuellement à l’ARP lui ont permis d’élire son chef à la tête du législatif pour le prochain quinquennat et lui permettront de réaliser bien d’autres tours de magie…

Avec le socle solide de ses membres, qui s’est renforcé par l’apport «précieux» de Qalb Tounes – soit une addition de 52+38= 90 –, il suffira à Ennahdha de trouver les arguments simples –une affaire en justice, un dossier qui sommeille chez un juge ou toutes autres offres tentantes – pour convaincre une vingtaine d’autres députés égarés et faire passer une loi…

De toute façon, s’il est difficile aujourd’hui de prouver la non-indépendance de M. Jemli ou son appartenance pure et simple au parti islamiste qui l’a désigné pour le poste de chef de gouvernement, c’est à ce dernier de faire dissiper tous les doutes et de mettre fin aux supputations concernant ses parti-pris idéologiques et politiques, s’ils existent, en prouvant, par les actes, que sa seule allégeance est à la Tunisie et que les seuls intérêts qui primeront, dans l’exercice de sa future mission, seront ceux de la nation tout entière. Il le prouvera d’autant plus qu’il saura, le jour J, résister aux pressions d’Ennahdha et refuser de se soumettre à ses diktats.

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