La photo de famille est rassurante. Mais derrière les sourires figés et les regards bienveillants autour de la doyenne des chefs d’Etats européens, la reine Elizabeth II, les inquiétudes s’accumulent: l’Otan survivra-t-elle longtemps aux lézardes qui se creusent dans sa vieille carapace.
Par Hassen Zenati *
Réunie à Watford dans un élégant golf de la banlieue résidentielle du nord-ouest de Londres pour célébrer le 70e anniversaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), le sommet de l’organisation politico-militaire vestige de la guerre froide, s’est terminé mieux qu’il n’a commencé.
Les représentants des 29 pays membres étaient arrivés dans la capitale britannique dans une ambiance de crise, traînant des contentieux personnels lourds entre leurs chefs de file. Ils se sont finalement entendus sur une déclaration à minima, insistant sur leur «solidarité, leur unité et leur cohésion». La résolution a arraché au secrétaire général Jens Stoltenberg un commentaire laconique: les observateurs extérieurs s’attachent plus à «nos désaccords, qu’à nos accords», a-t-il dit soulagé.
Les grands soucis de Donald Trump
La résolution, l’une des plus courtes de l’histoire des sommets de l’Otan, pointe le «défi chinois» et la «montée en puissance de la Chine», en mettant l’accent sur «les actions agressives» de la Russie, classés en tête des «menaces» dirigées contre les pays membres de la «famille occidentale». Elle condamne le terrorisme «sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations». Il est considéré comme une «menace persistante pour tous», à la grande satisfaction du président turc Recep Tayyip Erdogan, un des piliers de l’organisation. Pugnace, ce dernier menaçait de faire obstruction à la poursuite des travaux si satisfaction ne lui était pas donnée sur ce point sensible de sa politique antikurde en Syrie, qui l’oppose en un rude bras-de-fer avec le président français Emmanuel Macron depuis l’intervention turque dans le nord-ouest de la Syrie, avec le feu vert implicite de Donald Trump. Du coup, il a approuvé les nouveaux plans de sécurité régionaux pour la Baltique, la Pologne, la Turquie et le flanc sud de l’Alliance. Mais, ne s’avouant pas vaincu, Emmanuel Macron, engagé à fond aux côtés des Kurdes de Syrie et d’Irak, a tenu crânement à marquer sa différence en soulignant que «sur ce point, il n’y avait pas de consensus possible, nous nous sommes donc mis d’accord pour dire que nous ne sommes pas d’accord».
Si le président américain Donald Trump, qui paraissait accablé par les nouvelles de Washington sur la progression des enquêtes en vue d’une procédure de destitution engagée contre lui par ses adversaires démocrates, a quitté le sommet en maugréant, Emmanuel Macron a en revanche marqué un point en obtenant l’ouverture d’un «début de réflexion» sur la nouvelle stratégie qu’envisage l’Otan, alors que «les engagements de la guerre froide sont désormais dépassés», selon lui. La triplette explosive avait nourri les tensions à l’approche du sommet en s’envoyant des piques empoisonnées et tenu la vedette à Londres.
Piqué au vif par sa mise à l’écart par le duo Trump-Erdogan en Syrie, Macron est allé jusqu’à proclamer que l’Otan était désormais en état de «mort cérébrale», propos que Trump qualifiait aussitôt de «très insultants» et «très, très méchants», ajoutant que «personne n’a besoin de l’Otan plus que la France». Pour sa part Erdogan renvoyait sans ménagement son compliment au président français en considérant que c’était sans doute lui qui était en état de «mort cérébrale» et non l’Otan, accusant en outre la France de «parrainer» le terrorisme en Syrie contre la Turquie.
Emmanuel Macron se voit bien endosser en réalité l’habit de chef de file d’une nouvelle défense européenne moins dépendance de l’alliance atlantique face à une chancelière allemande, Angela Merkel, en bout de course, et alors que se profile le Brexit, laissant à la France le monopole européen de l’armée nucléaire. Il est cependant surveillé à la loupe par ses partenaires de l’ancien «glacis» soviétique d’Europe de l’est. Ils lui ont réservé de sévères répliques, lui reprochant de vouloir s’allier avec la Russie de Vladimir Poutine, leur bête noire, au détriment de leurs propres intérêts.
L’Otan confrontée à une crise existentielle
Le président français n’a pas caché pour sa part son mécontentement à l’égard de ses pairs pour leur indifférence vis-à-vis de ce qui se passe au Sahel, foyer actif de terrorisme, où la France est seule à s’opposer militairement au «jihadisme» depuis 2013, en payant le prix fort.
Encore sous le coup de l’émotion, Emmanuel Macron, qui venait de rendre hommage à Paris à treize soldats français morts en opération au Mali, leur a signifié que si «la légitimité de la présence de la France et de ses armées au Sahel est confirmée, qu’il s’agit toujours d’un défi à notre sécurité et que notre responsabilité est d’y faire face, mais pas seuls. Nous devons à très court terme redéfinir le cadre et les convictions de notre engagement». Outre le soutien supplémentaire qu’il réclame de l’Europe et de l’Otan, il s’est interrogé sur les prédispositions des cinq pays du Sahel concernés par l’opération française Barkhane : Mali, Burkina Faso, Mauritanie, Niger, Tchad. «Veulent-ils de nous? Ont-ils besoins de nous?», a-t-il dit, dramatisant le ton à dessein. Il doit les réunir le 16 décembre à Pau (sud de la France) pour s’en assurer et «obtenir des réponses claires pour réévaluer l’engagement français», espère-t-il.
Mais au-delà de ces petites querelles sans conséquences immédiates et des rancœurs qu’elles ont pu engendrer, l’Otan, confrontée depuis plusieurs années à une crise existentielle, s’est engagée à réévaluer sa raison d’être. Les 29 alliés traversent en effet un moment difficile de leur histoire, leur mission originelle de «défense du monde libre» face à «l’ogre soviétique» ayant perdu de sa pertinence depuis la chute du mur de Berlin en 1989, l’effondrement de l’URSS et le démantèlement du «Pacte de Varsovie», pendant communiste de l’Otan.
Les Américains, qui tiennent les rênes de l’organisation politico-militaire, ne cessent de gémir qu’elle leur coûte très cher, alors que leur stratégie est désormais orientée vers l’Asie, notamment la Chine et la Corée du Nord, nouveau venu au «club nucléaire», dont la présence l’embarrasse. Il voudrait s’occuper aussi de plus près de l’Iran, qui malgré les sanctions qu’il lui a imposées, continue à lui tenir tête, avec, laisse-t-il entendre, la complicité des Européens, qui ne lui ont pas emboîté le pas lorsqu’il a décidé de déchirer l’accord sur le nucléaire signé avec ce pays, à l’issue d’une laborieuse négociation.
La nouvelle doctrine stratégique des Etats-Unis ne date certes pas de Trump, mais ce dernier lui a donné un nouvel élan en ordonnant une réduction, qu’il voudrait plus drastique encore, de la part de son pays dans le budget de fonctionnement de l’alliance, appelant ses pairs à mettre la main à la poche pour combler le déficit, et dénonçant les «mauvais payeurs», dont l’Allemagne qui dispose de confortables excédents budgétaires, dont l’existence ne lui a pas échappé. Washington fait ainsi de plus en plus ouvertement pression pour que ses partenaires respectent leur engagement de consacrer 2% au moins de leur PIB en 2024 à leur défense, ce qui facilitera leur équipement auprès… des Etats-Unis, qui verrait ainsi son marché d’élargir auprès de ses partenaires. Pour l’instant, on en est loin, en effet.
Macron et la nécessité d’une «Europe puissante»
Première cible de Trump, l’Allemagne ne consacre guère plus que 1,3% de son PIB à ses dépenses militaires. Même s’il est arrivé à faire délier les bourses (130 milliards de dollars de plus depuis 2016), il sait qu’il aura encore à taper du point sur la table pour parvenir à ses fins (400 milliards de dollars en 2024), au risque d’incommoder les uns et de pousser les autres à se rebeller.
C’est le cas de Macron, qui prône le développement d’une défense européenne permettant une autonomie stratégique et le rééquilibrage de l’alliance dominée par Washington. Le pavé qu’il a jeté dans la mare n’est pas passé inaperçu à la veille du sommet de Londres. Chaque pays l’a considéré à l’aune de ses préoccupations stratégiques. Les anciens pays satellites de l’URSS se sont serré les coudes autour des Etats-Unis, alors que d’autres mettaient en avant la nécessité d’une «Europe puissante» dans un monde qui s’organise en blocs aux intérêts différents, voire divergents.
Il faut remonter au général de Gaulle pour trouver chez un président français un «désaveu aussi piquant» de l’Otan, relevait l’‘‘Irish Times’’. Macron appelle à «un changement total dans l’architecture sécuritaire de l’Europe, dans laquelle le futur rôle de l’Otan n’est pas clair», renchérissait l’agence financière d’informations Blomberg. Plusieurs participants se demandaient à la fin du sommet de Londres, si l’Otan, sous sa forme actuelle, n’avait pas entonne son chant du cygne.
* Journaliste.
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