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Cinéma : ‘‘De la guerre’’ ou le cri d’alarme de Fadhel Jaziri

‘‘De la guerre’’ ou ‘‘Guirra’’, le nouveau film de Fadhel Jaziri est en ce moment dans les salles de cinéma tunisiennes. Une pièce de théâtre qui a évolué vers un projet de film d’anticipation où le grand réalisateur et metteur en scène met en garde contre une éventuelle guerre civile qui pourrait frapper le pays.

Par Fawz Ben Ali

Sélectionné à la compétition officielle des dernières Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2019), ‘‘De la guerre’’ le dernier film écrit et réalisé par Fadhel Jaziri en est sorti bredouille côté prix mais était loin d’être passé inaperçu face à un public intrigué par une histoire qu’on a –au premier abord – du mal à situer dans le temps.

Fadhel Jaziri était également présent aux Journées théâtrales de Carthage (JTC 2019) qui viennent de se clôturer où il avait présenté son adaptation très personnelle de ‘‘Caligula’’ d’Albert Camus.

De la scène au grand écran

Après ‘‘Eclipse’’ sorti en 2016, Fadhel Jaziri revient au monde du cinéma avec un nouveau projet qui fut à la base une pièce de théâtre intitulée ‘‘La révolution de l’homme à l’âne’’ (Thawret saheb el-himar) qu’il avait mise en scène en 2011 d’après un texte d’Ezzeddine Madani. Une adaptation théâtrale qui traduit les appréhensions des artistes face au détournement des vraies valeurs de la révolution et la montée de l’islamisme. La pièce est malheureusement restée dans l’ombre, et lors de ses apparitions médiatiques, Fadhel Jaziri accuse la «troïka», la coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha, et le ministère des Affaires culturelles de l’époque d’avoir saboté la pièce.

Quelques années plus tard, Fadhel Jaziri décide d’orienter le projet vers le grand écran. On parle aujourd’hui de la naissance de ‘‘Guirra’’ avec une nouvelle écriture et une nouvelle mise en scène. Un film de 115 minutes reprenant la ligne directrice de la pièce tout en respectant les codes du 7e art pour refléter cette angoisse toujours aussi présente face à un climat politique tendu et un lendemain incertain. «Ce film est un cri d’alarme, car je crains que l’état actuel des choses ne nous mène vers une guerre civile», explique l’artiste.

Le film s’inspire fortement du personnage historique d’Abu Yazid, surnommé «L’homme à l’âne», ayant vécu entre 873 et 947, un théologien devenu le chef de la plus grande rébellion menée contre la dynastie des Fatimides. Derrière sa fausse allure de film historique, ‘‘De la guerre’’ s’avère une œuvre d’anticipation et une ingénieuse transposition du parcours de «Bouzid saheb lehmar» (comme appelé dans le film) sur la réalité politique actuelle. Un personnage qui prétend lutter contre les injustices pour finalement se transformer en un tyran sanguinaire.

Dans l’intemporalité de la guerre

Fadhel Jaziri tisse un lien fort entre ce personnage et les hommes politiques d’aujourd’hui pour rappeler que la révolution peut dévier de sa trajectoire et mener vers le chaos ou une autre dictature, à l’instar du reste des pays ayant vécu le dit «Printemps arabe» (Libye, Syrie, Yémen…). On y évoque les complots, les assassinats politiques, les appareils secrets, la suprématie des intérêts personnels sur le bien collectif, et toutes ces liaisons dangereuses que nouent les politiques dans leur quête du pouvoir.

Misant sur une panoplie de jeunes acteurs dont la plupart l’accompagnent également dans ses pièces de théâtre, ses spectacles d’‘‘El Hadhra’’ et son dernier film, Fadhel Jaziri a installé une ambiance sombre, angoissante, avec des champs de vision limités pour accentuer cet univers propre aux films de guerre et souvent très masculin mais ce film donne une place importante aux femmes qui incarnent la liberté et la force, à l’instar du personnage d’Aïcha, jouée par la jeune actrice Sarra Hanachi.

‘‘De la guerre’’ a été tourné en 2016 à la ville du Kef durant 6 semaines d’affilée, suivies de plus de 3 ans de montage, de composition de film (signée Ali Jaziri, qui joue également dans le film), et de post-production. Le résultat est un film que l’on pourrait qualifier de cinéma de résistance, qui tient sa force de l’énergie qui se dégage de ses acteurs avec leur jeu quasi théâtral, mais aussi de ce rapport au temps presque indéfinissable, ponctué d’éléments avant-gardistes et autres historiques et qui donnent une dimension intemporelle et universelle au film.

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