Même s’il a affirmé hier, via un communiqué, qu’il n’a pas d’objections sur la désignation d’Elyes Fakhfakh en tant que chef du gouvernement, Qalb Tounes se sent isolé et n’a visiblement pas digéré ce choix du président de la République, Kaïs Saïed.
Par Cherif Ben Younès
Cela a été clairement exprimé ce matin, mercredi, 22 janvier 2020, sur Jawhara FM, par le dirigeant au sein de ce parti, Iyadh Elloumi, qui – et c’est le moins que l’on puisse dire – n’a pas mâché ses mots en critiquant le chef de l’Etat.
Iyadh Elloumi pense, en effet, que Kaïs Saïed a principalement cherché à exclure Qalb Tounes du processus de formation du nouveau gouvernement en zappant tous les noms qui lui ont été suggérés par ce parti, à l’instar de Fadhel Abdelkefi et Hakim Ben Hammouda, qui sont également approuvés par plusieurs autres forces parlementaires et qui bénéficiaient donc, de facto, d’une ceinture politique importante.
Pourquoi Saïed voudrait-il isoler Qalb Tounes?
«M. Kaïs Saïed a une position très négative à l’encontre des partis, et, pour des raisons que j’ignore, particulièrement Qalb Tounes», a lancé Iyadh Elloumi, avant d’ajouter que cela est possiblement dû à la concurrence qu’il a eue avec le président de son parti, Nabil Karoui, lors du 2e tour de l’élection présidentielle.
Une hypothèse qui semble tout de même parachutée puisqu’il n’y a pas eu de conflits entre les deux candidats à cette période-là, ni même de rivalité au vrai sens du mot, notamment au vu du large écart dans le résultat du scrutin (72% en faveur de Saïed contre 27% pour Nabil Karoui).
Étrangement, M. Elloumi ne s’est pas douté que ce sont peut-être les pressions qu’il a, très maladroitement, mis, lui et d’autres dirigeants de son parti, sur Kaïs Saïed, lorsqu’il était chargé de désigner un chef de gouvernement, qui ont conforté ce dernier dans son orientation d’isoler Qalb Tounes.
Une orientation qui a probablement pour raison le fait que ce parti est monté au pouvoir de façon très louche, profitant notamment d’une publicité politique massive sur la chaîne de télévision privée, Nessma, dont son président, Nabil Karoui, est propriétaire.
Sans oublier que M. Karoui fait face, par ailleurs, à de sérieuses accusations de corruption financière, et qu’il serait, de ce fait, et en attendant qu’il règle son dossier juridique, très gênant dans un gouvernement qui prétend vouloir lutter contre la corruption.
«Les Nations-unies suivent les agissements graves du président»
M. Elloumi a poursuivi ses critiques envers Kaïs Saïed : «Je ne comprends pas comment ce monsieur veut que la démocratie ait lieu sans les partis. Ce qu’il fait est très dangereux et nuisible à la réputation de la Tunisie. Il est en train de monter les gens contre les élus», tout en rappelant ses discours à Kasserine et Sidi Bouzid, où il a fait preuve, selon le député de Qalb Tounes, d’une «horrible escalade».
Rappelons que lors de ces sorties, le chef de l’Etat avait particulièrement été populiste et hostile à la classe politique, en déclarant, entre autres, que la vraie constitution est celle qu’écrivent les jeunes sur les murs des rues.
Indirectement menaçant, Iyadh Elloumi a ajouté que l’Organisation des nations unies (Onu) est en train de suivre ces agissements «très graves», une affirmation pour le moins loufoque, M. Saïed n’ayant pas encore déclaré une guerre mondiale et ne disposant même pas d’une armée pour cela. Mais, dans son élan de dénigrement, M. Elloumi n’a pas pu se retenir, et on comprend son désarroi, qui traduit celui du leader de son parti, Nabil Karoui.
Revenant sur les déclaration du frère de Kaïs Saïed, Naoufel Saïed, qui aurait dit, si on en croit M. Elloumi, que «le parlement est un cas maladif», le député a dit : «Ce sont eux [Kaïs Saïed et son frère] les malades», avant d’enchaîner, très respectueusement : «Nous, nous ne sommes pas des malades comme eux pour les insulter», tout en les appelant à consulter un psy. Ambiance.
Iyadh Elloumi a finalement indiqué que Qalb Tounes ne sait pas encore s’il sera dans l’opposition ou dans le gouvernement, assurant qu’il respecte Elyes Fakhfakh et qu’en cas d’invitation pour se concerter autour du prochain gouvernement, le parti répondra présent. Reste que ses attaques contre le chef de l’Etat, par leur excès même, ne plaident pas pour une normalisation des relations entre Nabil Karoui et Kaïs Saïed, deux hommes aux antipodes l’un de l’autre.
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