À lire les clauses et la rhétorique figurant dans le Plan d’action contractuel (PAC), tout indique que rien ne présage que la coalition Fakhfakh va faire mieux que la coalition Chahed. En l’état le document du PAC constitue une profession de foi… un pamphlet de chimères, plutôt qu’un vrai contrat assorti d’objectifs à atteindre, de moyens à mobiliser et de réformes à introduire.
Par Dr Moktar Lamari *
Confiance? Clarté? Voilà grosso modo les deux dissonances du PAC, qui sera dévoilé aujourd’hui, mercredi 26 février, par Elyes Fakhfakh, le chef de gouvernement désigné, aux députés de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). En l’état, ce PAC n’est rien d’autre qu’un contrat de dupes, un «attrape-couillon», élaboré dans une optique de wishful thinking pour décrocher la «confiance» des parlementaires et gouverner ensuite business as usual, comme si de rien n’était!
Faut-il s’inquiéter, faut-il questionner… ou simplement renoncer à ce PAC, et tourner le dos à promoteurs ? Il y a ici un risque moral que les députés de l’ARP doivent assumer en leur âme et conscience, pour l’histoire et pour le devenir de la seule démocratie en terre d’islam.
La suite de la chronique tente d’apporter des éléments de réponses, sous forme de réflexions et sans arrière-pensée partisane ou stratégique.
Où va-t-on avec ce PAC ?
À la tête d’un équipage melting-pot et trié sur le volet, 5 mois après les élections législatives, Fakhfakh, comme commandant de bord, devrait en principe dévoiler son plan de vol, pointer sa destination, son temps de vol, sa vitesse de croisière, son altitude, sa pression de cabine… ses moyens de bord, escales et point de mire.
Rien de tout cela dans le document contractuel du PAC, et sa dizaine de pages. Griffonné par des signatures pathétiques et méritant un diagnostic grapho-psychologique, le PAC ressemble plus à un pamphlet regroupant une multitude d’orientations additionnées et non arrimées, un ramassis de rhétoriques verbeuses, compilées à la va-vite sur un coin de table, sans rien dire sur les finalités et résultats à atteindre, chiffre à l’appui!
Observateurs et experts en économie politique pensent que le PAC de Fakhfakh n’est qu’un contrat de dupes… avec rien de sérieux et de mesurables pour les livrables des ministres et équivalents! Il ne procure pas de démonstrations liant les fins et les moyens, ne dit rien sur les responsabilités de chacun des ministres, motus et bouche cousue sur la valeur ajoutée ambitionnée et mandats des partis impliqués.
La lecture de ce prétendu Plan contractuel laisse perplexe et porte à croire que ce document a été élaboré dans la logique de la pensée magique : «Il suffit de le dire pour le concrétiser».
Une logique désidérative totalement fondée sur le wishful thinking des partis et acteurs politiques ayant participé à sa rédaction… Une logique de berceuse qui veut endormir la conscience avec des comptines prônant toujours la musique du consensus et miroitant un avenir paradisiaque…
En l’état, le PAC de Fakhfakh n’est rien d’autre qu’un cocktail d’errata stratégique. Un cocktail qui évacue tous les enjeux cruciaux du pays, avec un pamphlet qui colporte des promesses populistes et qui occulte tous les arbitrages douloureux, quand il faut réformer et rassurer les bailleurs de fonds qui troquent leurs prêts, contre réformes, ici et maintenant.
L’histoire se répète… et aux dépens du citoyen lambda!
C’est à peine croyable, le PAC est presque un copier-coller du document présenté en 2015-2016, dans le cadre de la coalition initiée par le président Beji Caid Essebsi pour instituer le statu-quo et gouverner en paix pendant cinq ans. Ce piège programmatique, baptisé la Feuille de Route de Carthage (FRC), a donné plein pouvoir à Youssef Chahed, un autre chef de gouvernement désigné et non élu, dont son homologue actuel Elyes Fakhfakh est presque un clone.
Incroyable, mais vrai! La gouvernance politique du pays semble être en court d’idées, en panne de compétences audacieuses et de nouveaux paradigmes pour gouverner et mobiliser carte sur table. À se demander si la classe politique tunisienne est capable de se remettre en cause et d’apprendre de ses erreurs. Par fanatisme religieux ou par déterminisme entêté, les élites et partis représentés dans le gouvernement Fakhfakh veulent faire plus de ce qui n’a pas marché par le passé, avec le gouvernement Chahed.
Il faut rappeler que la FRC a permis au gouvernement Chahed de gouverner pendant plus de trois ans (2016-2019). Avec un bilan économique catastrophique. Mais, contrairement à ce qu’on pouvait anticiper en 2016, cette coalition a été porteuse d’illusions et d’une multitude d’incohérences sur tous les fronts économiques, budgétaires et monétaires.
La croissance a été mise à plat (1% en 2019), l’inflation a atteint des records (7,5%), le dinar a été dévalué de moitié, les gains de productivité ont convergé vers zéro. Le pouvoir d’achat a été divisé par deux, la dette multipliée par deux… avec un recours grandissant aux organisations internationales (FMI, Banque mondiale, Union européenne, etc.) pour financer les budgets publics… avec tous les diktats et intrusions de ces bailleurs de fonds dans les choix publics en Tunisie post-2011.
Le PAC de Fakhfakh s’aligne pour enclencher la Tunisie dans la même trajectoire, reproduisant les mêmes rapports de force… et surtout le même statu-quo dans les institutions économiques, monétaires et budgétaires. Pire encore, Fakhfakh renforce une gouvernance clanique, bureaucratique et surtout averse à l’évaluation de la performance des élites et partis au pouvoir.
Fakhfakh n’a rien appris de l’œuvre de Chahed. Pourtant, les enseignements appris de l’échec économique de la FRC sont de deux natures. D’abord, on a appris que dans la jeune démocratie tunisienne, la stabilité gouvernementale n’est pas une panacée, et pas une fin en soi. Surtout quand elle ne fait que gérer les tensions et les affaires courantes sans prendre des risques politiques en réformant ce qui ne va pas.
Ensuite, on découvre que les coalitions élargies et hétéroclites favorisent le statu-quo, faute d’ententes sur les réformes à introduire et en raison des conflits d’intérêts qui les transcendent.
Errata et desiderata d’Elyes Fakhfakh
C’est une façon de s’interroger sur la pertinence du PAC et de questionner ses non-dits. Le principal bluff du PAC est celui colporté par le parti religieux Ennahdha qui stipule que plus la coalition est élargie, plus l’appui politique au gouvernement est fort, surtout quand vient le temps de réformer et de changer les politiques publiques. Mais ici, les faits sont têtus et montrent qu’on veut gouverner sans changer et sans avoir d’opposition officielle! Le gouvernement Chahed et la FRC en sont la preuve vivante de ce non-sens.
En Tunisie, comme ailleurs dans le monde, plus les coalitions sont hétéroclites, contre-nature et fourre-tout, moins celles-ci sont en mesure de réformer et d’innover en matière des politiques publiques. La recherche d’un minimum de consensus et la négociation d’un dénominateur commun acceptable finissent par étouffer dans l’œuf toutes tentatives de réforme et de changement. Et c’est bien là le drame des coalitions atypiques et fourre-tout!
Mais, à lire les clauses et la rhétorique figurant dans le PAC, tout indique que rien ne présage que la coalition Fakhfakh va faire mieux que la coalition Chahed. En l’état le document du PAC constitue une profession de foi… un pamphlet de chimères, plutôt qu’un vrai contrat assorti d’objectifs à atteindre, de moyens à mobiliser et de réformes à introduire.
Un contrat de dupes!
Si rien ne change, le PAC et la coalition Fakhfakh risquent de reproduire la mal-gouvernance développée sous le règne de la coalition de la Feuille de Route de Carthage. Et ici, la théorie économique des coalitions nous apprend que la performance et la longévité des coalitions sont tributaires de trois conditions de succès; toutes portant sur la coordination et la transparence, chiffre à l’appui!
La première condition porte sur la coordination stratégique au regard des finalités ambitionnées et objectifs assortis d’un horizon temporel et un calendrier précis. Ces objectifs sont plutôt absents et occultés par le PAC d’Elyes Fakhfakh. On ne sait rien sur les taux de croissance visés, sur les investissements requis… et encore moins sur le séquentiel des réalisations.
La deuxième condition porte sur la coordination organisationnelle, et ce au regard des responsabilités à assumer par chacun des partis et organismes impliqués. Encore une fois, le PAC évite les sujets qui fâchent, notamment au regard de l’identification des réformes douloureuses à mener pour restructurer les entreprises publiques, réduire la taille de l’État, purger le gaspillage gouvernemental et juguler les réseaux de corruption qui sévissent au grand jour au sein de l’État et des milieux politiques, notamment parlementaires. Circuler, rien à voir et inchallah tout va bien!
La troisième condition de succès de ce genre de coalition porte sur la coordination opérationnelle. Ce type de coordination devrait préciser qui fait quoi pour implanter les réformes les plus urgentes et qui s’engagent à les pousser le plus loin possible en mobilisant son électorat, ses sympathisants… et réanimant un capital de confiance de plus en plus érodé.
Le PAC fait fi de ces considérations opérationnelles et fait comme si le gouvernement Fakhfakh peut mieux faire… Le tout dans une humeur fondée sur le wishful thinking et encensée d’un fatalisme céleste procuré par les cheikhs et les élus du parti Ennahdha, dominant au sein de l’ARP.
Le gouvernement Fakhfakh doit rassurer les parlementaires et les citoyens au sujet de ces défaillances observables dans son PAC. La Tunisie attend des réponses et des gestes comptables et chiffrés relativement à chacune des propositions et desiderata formulés dans le PAC.
Les citoyens ne font plus confiance à ce type de rhétorique et veulent du changement, des réformes structurantes et des finalités assorties d’objectifs à atteindre, de compromis budgétaires et de sacrifices incontournables. L’enjeu est de taille, et la Tunisie doit sortir de l’illusion du consensus. Elle doit renoncer à ce type de consensualisme truqué dans ses prémisses et finalités. L’économie n’en peut plus, alors qu’elle est capable de fournir des taux de croissance allant jusqu’à 4 %, et même plus!
* Universitaire au Canada.
Donnez votre avis