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Face au coronavirus, l’hôpital tunisien est en danger

Les personnels soignants des hôpitaux tunisiens sont en première ligne de la guerre contre le coronavirus (Covid-19). La vague montante de l’épidémie, avec une phase critique en Tunisie prévue par les spécialistes au mois d’avril 2020, les besoins en hausse en équipements et surtout les cas des nombreux médecins et cadres médicaux en quarantaine et infectés par le virus mettent en danger l’hôpital tunisien.   

Par Hassen Mzoughi

Le chiffre est alarmant. Othman Jallouli, secrétaire général de la fédération de la santé de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et membre du comité permanent chargé du suivi du plan de lutte contre le virus, a affirmé mercredi 25 mars 2020, à l’agence Tunis Afrique Presse (TAP), que plus de 100 cadres médicaux et paramédicaux, des secteurs public et privé, sont placés en quarantaine et au moins 4 médecins de diverses spécialités sont infectés par le coronavirus.

La directrice de l’hôpital Charles-Nicole, Souad Sadraoui, a révélé le même jour, qu’un médecin du département de néphrologie et des voies urinaires a été testé positif au coronavirus, indiquant qu’un deuxième médecin du même département s’était mis en auto-quarantaine pour soupçon d’infection.

Le directeur de l’hôpital de la Rabta, Mongi Khemiri, a annoncé également mercredi dernier, la fermeture du service d’histologie, après qu’un des agents ait été infecté par le coronavirus, ainsi que du service des voies urinaires après avoir découvert qu’un patient résident avait contracté le même virus.

A-t-on les chiffres exacts des cadres médicaux touchés ?

Des cadres médicaux et paramédicaux ainsi que des aides-soignants à l’hôpital Habib Bourguiba de Sfax s’étaient mis en quarantaine, mardi dernier, car ils soupçonnent qu’un des patients qui avait contracté le virus a séjourné à l’hôpital.

La clinique privée El Amen à la Soukra est fermée et tout le personnel placé en isolement, depuis vendredi 20 mars, après la découverte d’un patient infecté du coronavirus, qui avait été opéré, huit jours auparavant, dans cette clinique.

Une autre clinique à Sousse, la Corniche, a été fermée cette semaine parce qu’un médecin a été testé positif au virus.

À Monastir, un médecin du service de chirurgie de l’hôpital universitaire Fattouma Bourguiba a été infecté par le virus.

Pour ne rien arranger, Dr Slim Ben Saleh, président du Conseil de l’Ordre des médecins de Tunisie a indiqué hier, jeudi 26 mars, que son organisme n’a pas obtenu du ministère de la Santé ou de l’Observatoire national des maladies nouvelles et émergentes (ONMNE), le nombre exact des cadres médicaux et paramédicaux soumis à quarantaine et infectés par le coronavirus.

Plusieurs organismes de santé mettent la pression sur le ministère de la Santé pour protéger les cadres médicaux et paramédicaux, conformément aux normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), appelant à l’accélération et à l’extension des tests de laboratoire pour détecter le coronavirus, en particulier pour le cadre hospitalier. Jusqu’à présent les tests de dépistage sont limités aux personnes présentant des symptômes de l’épidémie. Quid de la face cachée de l’iceberg ?

Hommage aux «soldats en blouse blanche»

Tous ceux qui ont un minimum de respect pour la dignité humaine ont été affectés par une image d’un groupe d’hommes de santé, épuisés, étalés sur des cartons à même le sol dans l’un des hôpitaux, après avoir passé de longues journées à traiter des personnes supposées malades ou touchées par l’épidémie, qui afflige et menace tout le monde y compris… le président de la république, Kais Saied, le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Rached Ghannouchi, et tous ceux qui croient au miracle du ciel…

Nous devons tous remercier tous les médecins, paramédicaux, infirmiers, laborantins, agents de service, ambulanciers, ainsi que la protection civile, les forces de l’ordre, l’armée et tous les volontaires pour tout ce qu’ils endurent, afin d’aider à combattre l’épidémie. Leur courage, leur abnégation et leur sens formidable de la solidarité, malgré la menace, les conditions lamentables, l’inconscience collective, n’ont-t-ils aucun prix ?

Leur vie n’a-t-elle aucune signification ? Quand l’hôpital tunisien, premier et seul rempart, se fatigue parce qu’il est atteint de coronavirus, et menace de s’écrouler sous le poids de la myopie des décideurs qui ne font pas l’effort pour protéger avant tout tous ces valeureux soldats de la vie, ceux à qui l’on demande expressément de sauver nos vies, que reste-t-il pour gagner la guerre contre l’ennemi invisible ?

Quand on envoie un soldat en première ligne du combat, il faut lui donner tout ce qu’il faut pour gagner, sinon c’est la défaite garantie. Cela s’est passé au CHU Bourguiba de Sfax, l’un des plus grands du pays.

Nos hôpitaux ne sont pas protégés, ou ne le sont pas assez, nos cadres et nos personnels médicaux non plus. On en appelle à leur compétence, à leur dévouement, mais on les écoute peu ou pas du tout, on exige d’eux de soigner, de ne pas laisser mourir des citoyens, et de sauver le système, mais pense-t-on assez à eux aussi ? Ce qui se passe dans ces circonstances graves d’épidémie de coronavirus est encore la preuve d’une marginalisation de l’hôpital et de son personnel, toutes catégories confondues.

Ils continuent pourtant à souffrir…

On n’oubliera jamais les agressions contre les cadres médicaux, les destructions des équipements médicaux et autres manœuvres pour abattre le système de santé et pousser les citoyens vers la médecine dite «Atteb annabaoui» ou «Rokia Chariia» et autres charlatanisme, comme l’a d’ailleurs préconisé l’ancien ministre islamiste de la Santé, Imed Hammami. Les dégâts ont été considérables et les fautifs n’ont jamais été sanctionnés.

On n’oubliera jamais le scénario catastrophique en 2016, au CHU Habib Bourguiba de Sfax (tiens !), «mis en scène» par le syndicat de l’hôpital et commandé par un certain Adel Zouaghi, avec la bénédiction de l’UGTT, sous le ministère Said Aidi qui tenait à ouvrir les dossiers de corruption dans cet établissement et d’autres centres hospitaliers. L’hôpital a été «immobilisé» pendant au moins un mois, malgré le cri de détresse du personnel médical.

Les médecins continuent à souffrir. Mais on est maintenant devant un ennemi terrible, qui a déjà mis KO des pays avancés. Pour éviter les scénarios français, italien ou espagnol, il faut impérativement protéger les hôpitaux, les soignants, les hommes de terrain, leur fournir le matériel de protection pour eux-mêmes et les moyens de soins pour remplir leur mission, organiser les circuits de prise en charge des malades et des suspects, généraliser le dépistage rapide y compris dans les labos privés, tout en gardant la pression pour faire respecter le confinement total. Sinon préparons nos services de réanimation et les respirateurs ! Et ce sera encore la dégringolade avec cette conséquence catastrophique que nous redoutons, qui frappe la France et d’autres pays, avec des médecins morts par le coronavirus ou en état grave. Avec aussi cette autre conséquence que nous connaissons : la fuite des cadres tunisiens, en France justement, que l’on stigmatise mais à qui l’on «envoie» notre meilleure élite. Celle-là même qui aide maintenant les Français à combattre le coronavirus !  

Taiwan, la Finlande, la Suède et les autres…

Des médecins ont quitté la Tunisie (et la quitteront), pour fuir l’archaïsme et la désorganisation du système de santé… aggravé depuis l’arrivée des «affamés» au pouvoir pour se dédommager avec l’argent de l’Etat et des crédits!

À chaque crise, ils avancent le même alibi: «Qu’avons-nous trouvé ?» Mais qu’ont-ils fait depuis 10 ans qu’ils insultent les dictateurs qui n’ont rien fait? Ces grands sauveurs qui ont accouru pour «réparer les dégâts et rendre leur dignité et leur bien-être aux Tunisiens», promettant travail, croissance économique et progrès social, ont-ils construit un seul hôpital? Y a-t-il un nouveau département dans une faculté de médecine, a-t-on donné quelque chose à la recherche ? Pas la peine de chercher.

Quel budget pour la santé, la recherche, comparé à la Présidence, à l’ARP et aux Affaires religieuses ? Plusieurs pays moins peuplés que la France ou les Etats-Unis se situent aux premiers rangs mondiaux, notamment Israël (la recherche y est le 3e budget derrière la Défense et la Santé), la Finlande, la Suède et… Taïwan. Les universités israéliennes ont été parmi les premières au monde à se doter de bureaux de transfert de technologies. Chaque année, la valorisation de la recherche universitaire du pays génère 250 millions d’euros de royalties, réinvestis dans la recherche et la formation pointue.  

Une affaire de sécurité nationale

Insister sur la souffrance matérielle et budgétaire de la santé tombe sous le sens. En dépit d’importantes réalisations depuis l’indépendance, de larges franges des citoyens ne jouissent pas du droit à la santé, d’autant que le système sanitaire a subi, au cours des 35 dernières années, la double transition démographique et épidémiologique, outre de graves déséquilibres financiers depuis le désengagement de l’État à la fin des années 80. Toutes ces anomalies, comme aussi les déficits des caisses de sécurité sociale, étaient connus, mais depuis 2011, la situation désastreuse de la santé, de l’éducation et autres secteurs vitaux n’a cessé de s’aggraver, parce que les fonds (notamment en crédits), au lieu d’être investis dans les programmes d’intérêt national, ont été «détournés» en dédommagements, légalisés en décembre 2013 en faveur de la quasi majorité issue de la mouvance islamiste, ainsi qu’en masse salariale, suite aux recrutements massifs et abusifs des partisans-électeurs dans la fonction publique. Donc des fonds partis dans les poches sans aucun impact économique ni social. Inadmissible, si ce n’est criminel pour un pays qui fonctionne dangereusement au crédit.

La situation est telle aujourd’hui que la protection du cadre médical et paramédical, par ricochet de la santé publique, relève plus que jamais de la sécurité nationale, étant le premier bouclier face aux maladies et les épidémies. Personne n’est capable de se substituer aux compétences des soignants, ni d’égaler leur bravoure, car on leur demande d’être à 100% tout le temps et ils acceptent les défis.

Le CHU Bourguiba de Sfax a été ébranlé par le premier choc avec environ 40 membres de son personnel en quarantaine, parce qu’ils ont été abandonnés à leur sort face à la propagation de l’épidémie. Cette forteresse contre les catastrophes de santé ne sera pas la dernière si l’on ne décide pas, une fois pour toute, de sauvegarder le potentiel scientifique tunisien, au lieu de jouer les apprentis chamans, de jurer tous les prophètes et les saints de battre le virus, ou de bénir un faux médecin-sauveur inventé sur le web par un escroc recherché en Allemagne!

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