Un mot de trop et ça repart. Depuis plus de vingt cinq ans, les relations algéro-marocaines se nourrissent de polémiques récurrentes, avec pour toile de fonds l’épineuse question du Sahara Occidental.
Par Hassen Zenati
C’est de nouveau une petite phrase qui a relancé le feuilleton des polémiques diplomatiques récurrentes depuis plus d’un quart de siècle entre l’Algérie et le Maroc. En pleine pandémie du coronavirus, recevant des ressortissants marocains venus protester contre le refus des autorités de leur pays de les rapatrier, le consul du Maroc à Oran (ouest algérien), peut-être pour calmer leur colère, a laissé tomber : «Je vous le dis franchement, nous sommes dans un pays ennemi».
Contestée par la partie marocaine, la phrase, qui serait, selon Rabat, un ajout malveillant à l’enregistrement des échanges entre le consul marocain et ses concitoyens, a rapidement fait le tour des réseaux sociaux, provoquant un tollé d’indignation en Algérie.
Incident diplomatique, encore un ?
«La vidéo a fait l’objet d’un montage pour faire tenir à notre diplomate des propos qu’il n’a proférés à aucun moment», a réagi à chaud une source autorisée à l’ambassade du Maroc à Alger, citée par le média marocain en ligne ‘‘Le-360’’. Un peu plus tard, le consulat du Maroc ajoutait que «le montage ne reflète en aucun cas la réalité», en soulignant «la volonté du roi Mohammed VI d’œuvrer pour la consolidation des liens d’amitié entre les deux pays».
Entre temps, l’ambassadeur du Maroc à Alger, Lahcène Abdelkhalek, convoqué par le ministre algérien des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum, s’est vu signifier que «s’ils étaient établis», de tels propos constitueraient «une grave atteinte aux mœurs et coutumes diplomatiques», qu’ils «ne peuvent en aucun cas être acceptés», et que cela «dicte aux autorités marocaines de prendre les mesures adéquates pour éviter toutes les conséquences qui pourraient découler de cet incident sur les relations bilatérales entre les deux pays».
Les uns estiment d’après le ton modéré, selon eux, du ministère algérien des Affaires étrangères, qu’il s’agirait d’une simple mise en garde qui clôt le dossier. D’autres affirment que c’est une invitation implicite aux autorités marocaines de rappeler le consul mis en cause, faute de quoi il serait déclaré «persona non grata» et expulsé.
Des relations diplomatiques constamment heurtées
Un nombre incalculables d’incidents ont émaillé les relations diplomatiques entre les deux pays tout au long des deux dernières décennies. Au mois d’août 1994, alors que la saison estivale battait son plein et que des milliers d’Algériens se trouvaient en vacances au Maroc, l’assassinat de deux touristes espagnols dans un attentat terroriste à Marrakech met le feu aux poudres. Aussitôt, Rabat accuse Alger d’être derrière le commando venu de France. «Composé de trois ressortissants algériens (Stéphane Aït Idir, Rédouane Hammadi et Tarek Fellah) et d’un Marocain (Abdelilah Ziyad)», selon le ministère marocain de l’Intérieur, il est arrêté à Fès. Le visa d’entrée est rétabli pour les Algériens.
L’Algérie riposte en rapatriant ses ressortissants, sommés par les autorités marocaines d’interrompre leurs vacances pour regagner leur pays. Ils étaient victimes, selon Alger, d’une «véritable chasse à l’homme» au Maroc. Un pont aérien est établi par Air Algérie à partir de Casablanca et les moyens de transport par mer sont réquisitionnés pour effectuer l’opération. L’escalade diplomatique atteindra son apogée lorsque Alger décide de fermer sa frontière terrestre avec son voisin, rouverte en 1988 après une courte éclaircie. Une déclaration de soutien du président algérien Liamine Zéroual aux indépendantistes sahraouis du Polisario, alors que débutait le recensement des électeurs qui devaient participer au référendum d’autodétermination des Nations-Unis dans le territoire contesté, avait précédé de peu ces événements.
A l’origine du différend, la question du Sahara occidental
Depuis 1975, les relations des deux pays traversent une zone de turbulences, interrompues par quelques accalmies sporadiques, avec en toile de fond de profondes divergences sur le sort du Sahara Occidental.
Pour Alger, cette ancienne enclave espagnole jouxtant son territoire et s’ouvrant sur l’Atlantique, reste à décoloniser en application du droit des peuples à l’autodétermination dans le cadre des Nations-Unies, alors que, sous le règne de Hassan II, Rabat a mis à profit l’agonie du général Franco et utilisé ses solide appuis à Madrid, pour s’en emparer «illégalement», en novembre 1975, par une «marche verte» pour laquelle il a mobilisé des milliers de Marocains entrés sur le territoire contesté en agitant le drapeau national et en brandissant le livre saint musulman, le Coran.
Depuis, les Nations Unies ont obtenu en 1991 un cessez-le-feu entre le Maroc et le mouvement indépendantiste du Polisario, soutenu par l’Algérie, mais l’Organisation internationale peine à appliquer ses résolutions sur l’autodétermination. Plusieurs dizaines de milliers de Sahraouis, qui avaient quitté l’enclave espagnole au début des affrontements avec le Maroc, et leurs descendants, vivent en exil dans la région de Tindouf (Algérie), de l’aide internationale et des dons d’association internationales amies.
Les passe d’armes se suivent et se ressemblent
Pour Rabat, la «normalisation» des relations entre les deux pays passerait par l’ouverture de leur frontière terrestre. Alger plaide, lui, pour une «solution globale» incluant le dossier sahraoui. Les deux capitales qui continuent à protester de leur volonté de promouvoir les relations «fraternelles» entre leurs deux peuples, ne ratent jamais l’occasion de s’adresser des piques directement ou par presse nationale interposée.
Le dégel amorcé en 2005 au sommet arabe d’Alger par une rencontre entre le roi Mohammed VI et le président Abdelaziz Bouteflika n’a pas duré longtemps. Il a été suivi d’une rapide dégradation des relations entre les deux capitales, marquée notamment par la vive polémique sur la situation des droits de l’homme au Sahara Occidental.
Lors d’un sommet de l’Union Africaine (UA) à Abuja, au Nigéria, le représentant du chef de l’Etat algérien a en effet souligné «la nécessité de la mise en place d’un mécanisme de suivi et de surveillance des droits de l’homme au Sahara» par les Nations Unies, ce que Rabat a considéré comme une atteinte à sa souveraineté sur le territoire.
En mai 2018, Rabat, qui venait de rompre ses relations diplomatiques avec l’Iran, accuse l’Algérie d’avoir aidé Téhéran à faire transiter des armes au Polisario à partir de son ambassade à Alger. «Des propos totalement infondés», selon Alger, de la part du ministre des Affaires étrangères marocain Nasser Bourita, pointé comme le plus «algérophobe» des diplomates de son pays.
Nouvelle passe d’armes, le 4 mai dernier, lors du dernier sommet virtuel du Mouvement des Non-Alignés, lorsque le président algérien Abdelmadjid Tebboune lance un appel au Conseil de sécurité en faveur de «l’arrêt immédiat de toutes les hostilités à travers le monde, notamment en Libye, sans omettre les territoires occupés en Palestine et au Sahara Occidental». Réaction à fleur de peau de Nasser Bourita, qui accuse son voisin «d’alimenter le séparatisme en violation des principes fondateurs du Mouvement des non-alignés».
Les choses se présentaient pourtant sous de bons auspices au début de l’année. Fraîchement élu, le président Abdelmadjid Tebboune a marqué sa volonté de faire évoluer les rapports entre les deux voisins. Dans une déclaration à ‘‘Russia Today’’, il a fait la genèse des événements qui avaient conduit à la fermeture de la frontière, avant d’ajouter : «Nous ne portons aucune animosité envers le Maroc. Nous gardons espoir, et si Dieu le veut, les problèmes seront résolus».
«La continuité de la Tunisie c’est l’Algérie, la continuité de l’Algérie c’est le Maroc, la continuité du Maroc c’est la Mauritanie. La continuité de la Tunisie, du Maroc, de l’Algérie et de l’Egypte, c’est la Libye», a-t-il rappelé aussi, dans une allusion à une éventuelle remise en mouvement de l’Union du Maghreb Arabe (UMA).
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