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Covid-19, distanciation physique et ingénierie de contrôle sociopolitique

La pandémie du Covid-19 a chambardé nos vies sur les plans individuel, social, national et international. Et la «distanciation physique» qu’elle nous a imposée est une véritable ingénierie sociale requérant des comportements totalement nouveaux. Jamais l’humanité n’a subi autant de bouleversements profonds et en un si court laps de temps.

Par Mahjoub Lotfi Belhedi *

Il ne se passe pas un jour sans que le Covid-19 nous réserve un nouveau lot de surprises… Parallèlement à sa propagation à la vitesse de la mondialisation, il ne cesse de libérer des vagues de fumées sémantiques sans précédent (confinement général, déconfinement graduel ou total, mise en quatorzaine, isolement volontaire ou obligatoire, dispositifs barrières, dépistage sélectif ou massif, etc.) gravitant autour d’un concept central : la «distanciation sociale», atténuée ensuite en «distanciation physique»!

Ce concept est utilisé à outrance par les Etats, mais aussi par une multitude d’autres acteurs : journalistes, épidémiologistes, médecins, et même psychologues et sociologues. D’où vient-il?

Un concept, des ambiguïtés et des conséquences inattendues

Paradoxalement, on le repéra au ‘‘Petit Larousse de l’histoire de l’art’’, dans le roman ‘‘Splendeur et misères des courtisanes’’ de Balzac, mais aussi chez l’écrivain allemand Bertolt Brecht qui, «désireux de développer l’esprit critique du spectateur, prônait cette théorie, le Verfremdungseffekt, incitant le spectateur à prendre ses distances avec l’action dramatique par le biais de l’acteur prenant lui-même ses distances avec son personnage. Ce processus fut appelé l’effet de distanciation: il ne s’agissait plus de provoquer l’émotion du spectateur mais son esprit critique».

Dans les années 60 du siècle précédent, la formule de «distanciation sociale» évoquait les écarts entre classes sociales ou ethnies sans pour autant aboutir à une définition consensuelle.

C’est, en vérité, à partir de 1919, avec l’avènement de la grippe espagnole, que le concept prit un sens médical à l’instigation du médecin Max C. Starkloff. C’est lui, en effet, qui a «mis en œuvre le principe de social distancing, interdisant notamment les rassemblements de plus de vingt personnes». Cette formule se confirmait ainsi lors de la pandémie de Grippe A (H1N1) de 2009 avant de dominer notre quotidien avec la pandémie du Covid-19 !

Que signifie ce concept? Il renferme une réalité beaucoup plus complexe qu’on ne le croit !

C’est d’abord un concept à caractère dichotomique. Lorsqu’on on associe deux termes antonymes dans la même formule, on obtient un cocktail sémantique difficile à appréhender mais facile à adopter.

Les termes «distanciation» et «sociale» cachent une longue histoire de combat et de souffrance aboutissant au triomphe du social sur la distanciation, de l’interaction sur l’isolement, et du contrat social sur l’ego ou le fameux «Ça» freudien.

Bien entendu, il nous arrive souvent de se distancier de l’autre pour être seul, réfléchir, méditer et autres motifs. Dans ces cas, la distanciation est un simple processus volontaire de déconnexion spatio-cognitive en vue d’une reconnexion sociale inclusive plus efficiente.

Les règles basiques de la «socialisation» impliquent qu’on acquiert des valeurs, des normes et des connaissances par la voie des processus habituels d’«intériorisation» et d’«acquisition» et non à travers un mécanisme-leurre de «distanciation sociale».

Pour sortir de ce piège sémantique, nos alchimistes contemporains ont procédé à un mixage entre «distanciation sociale» et «distanciation physique», donnant lieu à un système de mesure métrique – garder au moins une distance d’1,5 m –, plus difficile à réaliser que l’utopique ‘‘Cité idéale’’ de Platon.

La formule de «distanciation sociale» semble carrément impensable. Imaginons un instant un monde où la mère se dissocie de son nourrisson, le conjoint de son partenaire, les parents de leurs enfants, des cérémonies sans invités, des restos et des cafés sans tables, des tables sans compagnies, des écoles et des universités sans vie scolaire ou universitaire, des plages où on apprend la nage distanciée…

Même l’outil digital, censé apporter une alternative au déficit relationnel direct dû au confinement général, n’a réussi qu’à nous entraîner dans une «auto-quarantaine numérique» sans sensation ni pulsation humaine…

De l’ambiguïté à la manipulation : le contrôle social

En franchissant tous les sentiers battus, le concept de «distanciation sociale» nous propulse dans le grand boulevard de la manipulation… À l’instar de la famille coronavirus, la manip-virus renferme une variété de composantes inter-reliées, où on ne peut saisir l’un de ses éléments qu’à partir du déchiffrage des autres.

La manipulation Peer To Peer (P2P) : c’est une manipulation mentale entre individus, qui consiste à avoir une emprise sur la conscience d’autrui pour pouvoir le contrôler, via l’activation d’une série de stratagèmes subtils bien orchestrés par le manipulateur, tels que le double-jeu, la séduction, la victimisation, le chantage, l’omniprésence, etc.

La manipulation par Social Engineering : c’est une variante de la manipulation high tech venant tout droit de l’univers cybernétique, il s’agit d’une forme de piratage psychologique des internautes, de plus en plus répandue sur la toile.

Suite à une série de scénarios de «mise en confiance» hautement élaborée, la victime se met, soit à donner des informations sensibles à son manipulateur, et ce, sans se rendre compte des risques encourus, ou à activer une pièce jointe parvenue à sa boîte mail faisant croire qu’il s’agit d’un document de travail, alors qu’il s’agit en fait un logiciel malveillant…

La manipulation par Social Distancing : contrairement aux autres classes de la manip-virus, celle-ci est plus innovatrice, de nature massive, reposant essentiellement sur les mécanismes de propagation de la peur qui se répandent plus vite que l’épidémie, insidieusement instrumentalisée par un nombre d’États et intensément enflammée par les médias…

Au départ, ils nous font croire qu’il s’agit d’une grippe qui se soigne à 99% par simple administration d’un comprimé de paracétamol, et que le port de bavettes n’est pas nécessaire pour se protéger du virus sauf pour le corps médical et paramédical, puis par miracle, ils nous contraignent à rester chez nous et à porter des masques sur la voie publique sous peine d’amendes !?

La manipulation ne s’arrête pas à ce stade : les autorités ne cessent de marteler sans arrêt, via des campagnes médiatiques savamment orchestrées, qu’il n’y a aucun autre moyen de salut que de se conformer strictement à la sacro-sainte «distanciation sociale» et ce dans l’attente d’une «grâce divine» qui ferait tourner nos économies en ruine et nourrir nos enfants!

Comme dans toute manipulation, les États dictatoriaux, autoritaires, en voie de transition ou même les plus ancrés dans la démocratie visent à atteindre, entre autres, un double-objectif : tirer pleinement partie de cette pandémie pour renforcer la mainmise sur la société par la voie d’une batterie de mesures sécuritaires et administratives et d’une panoplie de solutions digitales de surveillance de masse; et promouvoir une géopolitique d’autarcie ultra-nationale où la notion d’Etat-nation est poussée à son extrême !

* Chercheur en réflexion stratégique, enseignant universitaire en géopolitique classique et digitale, ex-rapporteur général et directeur de département cyber sécurité du Centre tunisien des études pour la sécurité globale.

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