La position de la Tunisie sur ce qui se passe à ses frontières sud a été clairement explicitée hier, lundi 22 juin 2020, à deux reprises, par deux hauts responsables tunisiens et à deux dirigeants étrangers qu’inquiètent au plus haut point les derniers développements en Libye.
Par Imed Bahri
D’abord, lors de la conférence de presse conjointe, avec son homologue français Emmanuel Macron, dans les jardins de l’Elysée, à Paris, au cours de sa visite de travail en France, le président de la république Kaïs Saïed a réaffirmé l’attachement de la Tunisie à une solution politique négociée entre toutes les parties concernées et son rejet de toute intervention étrangère en Libye, sachant que la Tunisie est le pays voisin qui a le plus souffert des tensions qui y sont en cours depuis 2011, a-t-il insisté.
Rejet de toute intervention étrangère en Libye
M. Saïed répondait ainsi aux inquiétudes de son homologue français face aux agissements de la Turquie en Libye et son activisme militaire en Méditerranée, faisant peser des menaces sécuritaires sur l’Afrique du Nord, les pays du Sahel, la Méditerranée orientale et même sur l’Europe. Mais, le chef de l’Etat tunisien s’est gardé, lui, de nommer la Turquie, en exprimant le rejet de toute intervention étrangère, mettant ainsi sur le même pied d’égalité toutes les parties prenantes étrangères du conflit, la Turquie et le Qatar, bien sûr, mais aussi les Emirats arabes unis, l’Egypte, la Russie et l’Arabie saoudite, sans oublier les pays occidentaux intéressés par les ressources naturelles libyennes et les éventuels travaux de reconstruction du pays.
Le président Saïed a aussi tenu à rappeler que la Tunisie soutient le pouvoir en place à Tripoli qui bénéficie d’une légalité internationale assurée par le parapluie des Nations Unies, à savoir le Gouvernement d’union nationale (GUN) conduit par Fayez Sarraj, mais il a tenu à préciser que cette légalité est limitée dans le temps, donc temporaire, et qu’elle doit être remplacée par une légitimité interne portée par la volonté du peuple tunisien, exprimé par un dialogue inter-libyen, avec la participation des chefs de tributs, couronné par un accord de cessez-le-feu et l’adoption d’une nouvelle constitution, définissant les contours d’un nouveau pouvoir.
Pour une mise en cohérence de la position tunisienne
Sur ce plan, Kaïs Saïed souligne une divergence de taille avec le parti islamiste Ennahdha, et son président Rached Ghannouchi, également président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), qui ne font pas mystère de leur alignement idéologique et politique sur la position de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.
Aussi une mise en cohérence de la position tunisienne sur la question libyenne s’impose-t-elle d’urgence car la Tunisie ne peut pas continuer à tenir deux discours différents sinon opposés sur une question aussi importante, impliquant la paix intérieure, mais aussi régionale et internationale. La cacophonie a trop duré et il faut y mettre fin pour préserver l’union nationale, car c’est de cela qu’il s’agit désormais : il n’est pas question de laisser la crise libyenne diviser les Tunisiens.
Recevant, hier, le général Stephen J. Townsend, le chef du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom), à la base militaire de Laouina, au nord de Tunis., en présence de l’ambassadeur des Etats-Unis, à Tunis et à Tripoli, et des membres du Conseil supérieur des armées, le ministre de la Défense, Imed Hazgui, a tenu à rappeler la position tunisienne sur la question libyenne, à savoir l’attachement à la légalité et à une solution politique négociée, qui tienne compte d’abord et surtout des intérêts du peuple libyen; et le rejet de toute intervention étrangère et de toute tentative de partition du pays.
Le général Townsend, qui venait de rencontrer les autorités libyennes, à Tripoli, a affirmé, de son côté, que son pays a une position semblable à celle de la Tunisie, en soulignant la nécessité de mettre fin aux violences armées et de rechercher une solution politique négociée.
Re-dynamiser la diplomatie régionale
Maintenant que la position tunisienne sur la Libye a été solennellement réaffirmée, il s’agit désormais de la faire partager par tous les acteurs politiques nationaux, afin d’éviter toute cacophonie, d’unifier la voix de la Tunisie sur le plan international et de sortir de la position de neutralité passive, qui a été jusque-là celle de la diplomatie tunisienne, et de s’impliquer davantage sur la voie de la recherche d’une solution politique. Car la Tunisie a intérêt à une pacification rapide de la situation en Libye, un pays qui a toujours constitué, pour elle, un poumon économique.
A cet égard, une concertation est également nécessaire en vue d’une harmonisation des positions avec les Etats voisins de la Libye, notamment l’Egypte et l’Algérie, ainsi qu’avec les grands partenaires internationaux de la Tunisie, notamment la France, l’Italie, l’Allemagne et les Etats-Unis, dont les positions doivent mieux converger sur la question libyenne. Et la Tunisie pourrait y aider…
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