Qu’il est loin le temps où Mohamed et Samia Abbou posaient ostentatoirement aux côtés de membres des Ligues de protection de la révolution (LPR), les fameuses milices islamistes violentes au service du parti Ennahdha.
Par Imed Bahri
C’était, souvenons-nous, en 2012, au Kram et à Sidi Bou Saïd. À l’époque, le couple était membre du Congrès pour la république (CpR), faisant alors partie de la «Troïka», la coalition gouvernementale conduite par Ennahdha.
Depuis beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et les Abbou ont appris à mettre de l’eau dans leur vin en revenant à un positionnement plus centriste, même si souvent ils se trouvent assis le cul entre deux chaises.
C’est dans cette position très inconfortable qu’ils se trouvent d’ailleurs aujourd’hui. Après les élections de 2019, où son nouveau parti, Attayar, a occupé une bonne quatrième place, avec 22 sièges, M. Abbou a été bombardé ministre d’Etat chargé de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption (tout un programme !) dans le gouvernement Elyes Fakhfakh. Son épouse, quant à elle, a remporté un siège à l’Assemblée. Mais elle semble s’être assagie, car ses interventions sont moins tonitruantes et ses adversaires ne sont plus les mêmes.
À nous deux Seifeddine Makhlouf !
Rached Ghannouchi et Ennahdha ont eu certes droit à ses excès de langage auxquels on s’est habitués (cela fait désormais partie du folklore de l’Assemblée des représentants du peuple, ARP), ainsi que Abir Moussi et Nabil Karoui. Youssef Chahed et Tahya Tounes sont désormais ménagés car ils sont membres de la coalition où siègent son parti et son époux. Ses principaux adversaires sont devenus les membres d’Al-Karama, le parti islamiste radical venu à la cinquième position lors des dernières législatives, avec 21 sièges, un satellite (ou un parachoc) d’Ennahdha.
C’est ainsi que, dans son intervention, aujourd’hui, vendredi 26 juin 2020, à l’aube, lors de l’interminable audition du chef de gouvernement Elyes Fakhfakh à propos des 100 premiers jours de son mandat, Mme Abbou a d’emblée désigné ses souffre-douleurs pour la prochaine étape : les «frères musulmans» de Seifeddine Makhlouf, président du bloc Al-Karama. C’est, dirions-nous, de bonne guerre, et puisque ça amuse la galerie. Alors tant qu’à faire, il faut y aller sans filet…
Dans son intervention, Mme Abbou a dénoncé la campagne dont fait l’objet le président de la république Kaïs Saïed et qui est conduite par «des gens qui sont arrivés au pouvoir sur ses épaules et ont utilisé son nom dans leur campagne électorale», dans une allusion limpide à Al-Karama. S’inscrivant clairement contre la motion présentée par ce dernier et non adoptée par l’Assemblée exigeant des excuses et des compensations de la France pour la période de colonisation française de la Tunisie (1881-1956), Mme Abbou a déclaré que les déclarations du chef de l’Etat dans son entretien télévisé avec la chaîne France 24 selon lesquelles la présence de la France en Tunisie était dans le cadre d’un accord de protectorat et n’était pas à proprement parler une colonisation, du point de vue juridique.
«Il y a une différence entre le protectorat en Tunisie et la colonisation de l’Algérie», a-t-elle souligné, en raillant les juristes au sein d’Al-Karama qui ne font pas la différence entre protectorat et colonisation. «Non, bien sûr, ils savent la différence, mais ils feignent de l’ignorer parce qu’ils cherchent plutôt à s’attaquer au président de la république», a-t-elle ajouté, dans une touchante défense du chef de l’Etat.
Un changement radical de position
Pour mesurer l’importance du changement radical de M. et Mme Abbou, il convient de savoir que c’est M. Saïed qui a choisi le chef de gouvernement Fakhfakh et permit ainsi à M. Abbou d’entrer au gouvernement avec le titre pompeux de «ministre d’Etat», en plus de trois autres départements ministériels attribués à des personnalités issues d’Attayar.
Il convient de savoir aussi que les membres d’Al-Karama sont dans leur majorité d’anciens membres des LPR, aux côtés desquels M. et Mme Abbou aimaient poser devant les photographes. Mais ça, c’était dans une autre vie…
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