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Le poème du dimanche: « Fiançailles pour rire » de Louise de Vilmorin

Louise de Vilmorin, de son nom complet Louise Levêque de Vilmorin, est une poétesse et femme de lettres française de renom. Elle était parfois surnommée «Madame de», en référence à son roman à succès porté au grand écran. Son présent poème ‘‘Fiançailles pour rire’’ a donné son nom au recueil publié en 1939.

Louise de Vilmorin, née le 4 avril 1902 à Verrières-le-Buisson (Essonne), est une femme de lettres française, poétesse mais aussi romancière, genre qu’elle inaugura avec les encouragements d’André Malraux. Elle a toujours baigné dans un monde d’intellectuels, Malraux mais aussi Saint-Exupéry qui fut son fiancé et son grand ami Jean Cocteau qui la lança dans le monde des lettres en 1934. Une longue correspondance entre les deux poètes s’étala tout au long de leur vie.

Louise de Vilmorin a appartenu à un autre cercle non moins prestigieux, la Café Society – milieu cosmopolite apparu au lendemain de la Première Guerre mondiale, ancêtre de la jet set – qui comptait dans ses rangs Charles et Marie-Laure de Noailles, Francis Scott Fitzgerald, le baron Alexis de Rédé, l’Aga Khan, Guy et Marie-Hélène de Rothschild, le marquis de Cuevas, Francine Weisweiller, Peggy Guggenheim et bien évidemment Charles de Beistegui qui permit à la Café Society d’atteindre son ultime apogée grâce au «Bal du siècle» qu’il avait donné en son palais Labia, à Venise, le 3 septembre 1951.

Grande voyageuse, Louise de Vilmorin séjournait fréquemment en Suisse chez son ami le prince Sadruddin Aga Khan. Elle termina sa vie avec son amour de jeunesse André Malraux et décéda le 26 décembre 1969.

Elle se mit au roman avec les encouragements d’André Malraux.

Amants et séducteurs de belles imprudentes
Dans les chambres perdues passagers d’une nuit,
Le sort aux mille doigts vous indique la plante
Qui grimpe son conseil des jardins jusqu’aux lits.

Captifs de l’enfance, vous rêviez d’être Princes
Battant monnaie d’amour au battement des cœurs,
Lorsque vous regardiez passer dans la province
Les robes du hasard qui portaient vos couleurs.

Volants volant, belles robes sans pieds ni têtes,
Cortège de dentelle aux lisières des bois,
J’ai beaucoup de ces robes pour un soir de fête,
Beaucoup de rêves à déshabiller en moi.

Ah ! rêves en gants blancs, ma main tourne une page :
Elle est noire d’ennui. Ah ! rêves en gants noirs,
Je tourne une page : Roi de cœur en voyage.
À la tour de l’adieu l’oiseau pose un mouchoir.

Et sur la pente des faux jours j’entends l’abeille
Au violon de sucre, empeser les rameaux
Que tresse un bohémien entouré de corbeilles
Avec les herbes drues coupées au bord de l’eau.

C’est demain le jour des fiançailles pour rire,
La page ne ment pas et la plante à mon mur
Grimpe son bon conseil jusqu’à mes mains de cire
Et mes épaules blanches et bleues de ciel pur.

Il va me dire : «Bonjour Madame la Lune»,
Et je le suivrai aux ruines d’un château
Que ronge le lierre et bat le vent des dunes,
Fiancée n’emportant que son cœur pour trousseau.

Sa belle main alors décrira dans l’espace
Les créneaux effondrés où guettaient les seigneurs
Et l’humble chapelle qu’incendia la grâce
Et qu’un cierge fantôme éclaire aux Chandeleurs.

À travers des salons devenus botaniques
Il cueillera pour moi les roses aux cloisons,
Sur le cadre moussu d’un portrait historique
Veillera l’insecte qui fait perdre raison.

D’un violon de sucre, une abeille hardie
Tirera les notes des baisers à venir,
Je me ferai souple pour que ma taille plie
À mon bras d’aventure et à son bon plaisir.

Nos vœux nous ouvriront une chambre lointaine
Tapissée de damas et meublée d’arbres verts
Ombrageant un grand lit où mon roi et sa reine
Iront feuille à feuille s’aimer à ciel ouvert.

Et puis nous n’aurons plus en nous que du silence.
Le temps muet passé il faudra repartir,
«En amour il est toujours plus tard qu’on ne pense
Dira-t-il, riez car je noircis aux soupirs.»

Et le jeu sera de rire au bonheur qui cesse.
Je dirai : «J’aimerais vous écrire bientôt».
«Ah ! fera-t-il, un homme adroit n’a pas d’adresse,
Je fuis les souvenirs : ils me tournent le dos.»

D’un geste il remettra son manteau de poussière,
Du revers de sa main il essuiera mes yeux
Et il repartira, pèlerin sans prières,
Me laissant à broder le mouchoir des adieux.

Craignez les séducteurs, oh! belles imprudentes,
Les fiançailles pour rire peuvent blesser,
Le sort aux mille doigts peut arracher la plante
Qui conseille au bonheur de ne plus voyager.

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